C O N C E R T S
 
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PARIS
28/04/2004

© DR
Concert Lyrique
 

Vers la voûte étoilée, nocturne pour orchestre (Koechlin)
La mort de Cléopâtre, scène lyrique (Berlioz)
Shéhérazade, Trois poèmes de Tristan Klingsor (Ravel)
La Mer, Trois esquisses symphoniques (Debussy)

Iris Vermillon, mezzo-soprano
Orchestre Philharmonique de Nice
Marco Guidarini

Opéra de Nice, le 07/05/2004



Ce programme très "franco-français" voulu par le chef et directeur-musical de l'opéra de Nice, Marco Guidarini, est assez représentatif des options qu'il défend depuis trois ans à la tête de la maison azuréenne. Une juste partition entre les "tubes" du répertoire et l'exploration systématique de chemins de traverse peu fréquentés. Ainsi fait-il voisiner Debussy et Koechlin, ce qui est historiquement justifiable et musicalement excitant. Las, cette belle initiative que nous aurions voulu saluer d'un coup de chapeau respectueux n'est qu'une demi-réussite, la partie symphonique écrasant irrémédiablement le versant lyrique du programme.

Annoncée souffrante, Jennifer Larmore, très attendue, a été remplacée au pied levé par Iris Vermillon. Une fois constatée la solidité nerveuse qu'il a fallu à la mezzo pour surmonter le stress induit par des habits musicaux taillés pour une autre qu'elle, il faut reconnaître que cette artiste attachante, auréolée de succès incontestés n'était pas, elle non plus, dans une forme olympique. Si l'on recherchait à tout prix le bon mot, on serait même tenté de dire que lorsque Iris Vermillon saute en marche dans le bateau de l'opéra de Nice, c'est Berlioz et Ravel qui tombent à l'eau. Mais la situation est tout de même plus complexe...

Telle qu'elle est apparue vendredi soir, la voix de Vermillon constitue un cas d'école qui rendrait dépressif le phoniatre le plus impénitent. Jouant sur un ambitus époustouflant, solidement assise sur un grave aux couleurs de braises délicatement luminescentes, et cependant poitriné et presque poussif, culminant dans un aigu très présent à défaut d'être toujours orthodoxe, elle témoigne toutefois d'un médium creux, vite couvert par l'orchestre. Les passages eux-mêmes sont négociés prudemment, comme l'on saute au-dessus d'un gouffre, et la colonne d'air est mise à rude épreuve pour assurer la tenue d'une ligne au bord de la rupture (son "j'apparus triomphante" de Cléopâtre est tout sauf glorieux, et à un coma de l'accident). Même les registres qui semblent les plus confortables (dans le début d'Asile de Ravel, par exemple) ne sont pas exempts d'arrangement douteux avec la justesse et Vermillon a une fâcheuse tendance à passer d'une note à l'autre par de voluptueuses petites glissades qui effaroucheraient le premier Beckmesser venu.

L'intégrité interprétative de l'artiste elle-même n'est pas en cause, toujours juste, surtout dans une Cléopâtre outragée dans son honneur de femme et de reine, et l'on n'oubliera pas son ultime César, projeté dans un souffle, presque rauque, véritablement expirant. Son "Grands pharaons, nobles lagides" qui ne violente jamais des cordes vocales éprouvées, rayonnant d'une sonorité enfin pleine et chargée d'humanité, est magnifiquement tenu avec des apprêts de bel-cantiste consommée. Sa Shéhérazade, enfin, est plus convenue, en difficulté toujours, et le sentiment de devoir sortir indemne du voyage vers l'Orient ravélien condamne toute intention à une marginalité dommageable.

Le chef pourtant soutient sa chanteuse avec conviction, talent même, et l'orchestre n'est pas en cause dans ce jeu de massacre vocal. Passé quelques incertitudes dans l'agitato liminaire de Berlioz, il faut reconnaître au Philharmonique de Nice, qui assume avec constance le répertoire de fosse et d'estrade, une couleur pleine, déliée, qui dans Ravel surtout fait merveille. Le hautbois est éclatant, la flûte dessine de souples arabesques, le violon solo chante avec délicatesse et plénitude, la percussion est vive à défaut d'être toujours fine. L'ensemble enfin respire la torpeur moite d'une nuit d'été, charriant des effluves capiteux d'encens mêlés de douceur presque sucrée. Alors que chez Ravel percent, çà et là, quelques éclairs d'inquiétude et de mystère, Berlioz lui, joue sur une empathie naturelle, sur une perception très fine du drame qui amène le chef à des fulgurances presque hitchcockiennes dans l'ostinato de cordes graves, étreignant, qui soutient la mort de la reine.

Là n'est pas le lieu, il est vrai, de parler du volet symphonique du concert, mais il est sans doute le plus à même de témoigner du talent que Guidarini développe par ailleurs dans ses habits de chef lyrique, inhibé ici par la précaution ambiante développée autour de sa soliste chancelante. Il faut l'entendre sculpter le son dans le nocturne de Koechlin, irradiant de moelleux, il faut aussi le voir mener son orchestre, le malmener presque, le pousser dans les derniers retranchements de ses traits virtuoses, pour une Mer de Debussy d'une motricité implacable, d'une mobilité fine, qui se termine en transe collective tétanisante.

Finalement, entre une chanteuse à qui l'on souhaite de vite retrouver l'intégrité de moyens qui font, dans le monde entier, les délices des mélomanes les plus avertis, et l'apothéose que constitue la pétrification du chef et de son orchestre dans un moment d'excellence proche du sublime, ce concert pourra apparaître comme une triste occasion manquée.
 
 
 

Benoit BERGER
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