C O N C E R T S 
 
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AIX-EN-PROVENCE
15/07/05
Elina Garanca
© DR
Wolfgang Amadeus MOZART

Così fan Tutte

Opéra en deux actes

Direction Musicale : Daniel Harding
Mise en scène : Patrice Chéreau
Décors : Richard Peduzzi
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumière : Bertrand Couderc
Collaborateur aux mouvements : Thierry Thieû Niang
Perruque, coiffure : Campbell Young

Fiordiligi : Erin Wall
Dorabella : Elina Garanca
Guglielmo : Stéphane Degout
Ferrando : Shawn Mathey
Despina : Barbara Bonney
Don Alfonso : Ruggero Raimondi

Arnold Schoenberg Chor
Chef de choeur : Erwin Ortner

Mahler Chamber Orchestra

Aix-en-Provence, Théâtre de l'Archevêché,
le 15 Juillet 2005

Sur scène, avec échelles, escaliers, couloirs, plan d'évacuation (avec sortie de secours) et extincteurs, semble se dresser un atelier. Si c'est le cas, cet atelier représente l'autre côté du rideau, l'envers du décor. Pas de théâtre dans le théâtre, donc, mais plutôt "la vie sur le théâtre" (et non pas "sous", comme le voudraient la scène et ses artifices). Les quelques pas séparant l' "être" du "paraître", opposant la vérité au spectacle (d'où sans doute ces passerelles passant au-dessus de la fosse et permettant aux chanteurs de faire leurs entrées et sorties par la salle) se voient donc exposés dans leur plus simple appareil par le seul dispositif de Richard Peduzzi.

Les mouvements de Chéreau (élaborés avec Thierry Thieû Niang) fonctionnent de la même façon que le décor (ou vice versa). La grimace derrière le sourire est patente à chaque geste. L'humour n'est pas exclu pour autant. Mais c'est un humour qui observe, qui commente, qui raille et qui grince. L'humour de Don Alfonso, de l'humour noir, non une farce "buffa". Une question vient alors à l'esprit : "Chéreau n'est-il pas en train d'alourdir, de dramatiser des situations a priori peu tragiques ?" En guise de réponse, une autre question : au fond, Così fan tutte et son intrigue basée sur la découverte du désir "multiple" est-il vraiment charmant et pétillant ? La réponse de Chéreau sur ce dernier point n'est pas un "non" aussi catégorique que lui-même veut bien le dire. Cette réponse se termine aussi par un point d'interrogation. Ce regard si singulier s'imposera-t-il ? Seules les nombreuses reprises prévues (au Palais Garnier, aux Wiener Festwochen, au Festival de Baden-Baden...) permettront d'apporter à cette question (encore une !) une réponse, sans doute définitive. Car pour l'instant, le public ne semble pas entièrement convaincu. Présent à l'heure des saluts, le metteur en scène aura pu en juger par lui-même, compte tenu des sifflets (parmi des bravos majoritaires, il est vrai) qui accueillirent son entrée sur le plateau. Modérons. Si l'austérité (Ô combien relative) de son travail a certes pu dérouter, voire frustrer une partie du public, comment cependant bouder son plaisir devant cette direction d'acteurs prodigieuse, inspirée dans ses moindres battements de cils, suprêmement intelligente du premier au dernier pas, comment ne pas applaudir ce sens du "théâtre vivant", de la géométrie des personnages, du rythme qui n'est pas sans rappeler Wilson (la vie et un semblant de spontanéité, de naturel en plus) ?


© Elizabeth Carecchio

Dans la fosse aussi, tout est vie. Daniel Harding sait attiser "son" Mahler Chamber Orchestra (saluons au passage l'Arnold Schoenberg Chor, excellent comme d'habitude) pour le faire resplendir dans toute sa virtuosité. La veine dramatique occupe toujours une part primordiale dans la direction électrique du jeune chef britannique, même si les changements de tempo, effectués sans la moindre transition, restent un peu brusques.

A soixante-quatre ans, Ruggero Raimondi a perdu de sa voix, de plus en plus éraillée et rocailleuse à mesure que le temps passe. La tessiture reste tout de même celle d'un grand Don Alfonso (sa science sur l'infidélité féminine sent le vécu !) et le cynisme élégant, la sadisme distingué qui habitent le jeu de l'acteur emportent l'adhésion.

Malgré une voix qui ne cache plus sa fragilité, Barbara Bonney est une très belle Despina, nous gratifiant, outre cette fameuse délicatesse du phrasé et cet amour du mot qui est celui des plus grandes Liedersängerinen, d'une aisance scénique et d'une verve comique qu'on ne lui connaissait pas (ou pas assez).

Tout en legato et en rayonnement vocal, le Guglielmo de Stéphane Degout est évidemment superbe (on en attendait ni plus ni moins de la part d'un chanteur de cette envergure), éclipsant ainsi Shawn Mathey, tourmenté, attachant, mais somme toute plutôt impersonnel en Ferrando.

Fiordiligi n'est pas sans poser de problèmes à Erin Wall, dans l'aigu et surtout dans le grave, absent de "Come scoglio". Basta ! L'émouvante sincérité de l'interprète, sa fraîcheur et sa présence, l'emportent sur toutes les failles techniques dont on pourra l'accabler.

Et puis il y a Elina Garanca. Drapée dans une robe turquoise, la jeune mezzo lettone semble s'amuser (après tout que fait Dorabella ?), se rire des difficultés qu'elle doit affronter dans la soirée, roule et articule ses consonnes pour mieux envoyer balader ses voyelles, jongle avec les mots et les notes avec un aplomb et une splendeur qu'on n'a pas l'occasion d'admirer tous les jours.

Des doutes, des certitudes, des réserves et des enthousiasmes : certains reprochent à Chéreau d'éloigner Così de l'esprit de son compositeur, mais a-t-on jamais vu soirée plus mozartienne ?
 
 

Clément TELLIA
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