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BILBAO
19/01/2008
© E. Moreno Esquibel
Wolfgang Amadeus MOZART
COSI FAN TUTTE
Opera buffa en deux actes
Livret de Lorenzo Da Ponte
Production de l’Opéra de Wroclaw
Mise en scène et costumes, Michal Znaniecki
Scénographie, Luigi Scoglio
Lumières, Bogumil Palewicz
Fiordiligi : Soile Isokoski
Dorabella : Laura Polverelli
Despina : Marta Ubieta
Ferrando : Topi Lehtipuu
Guglielmo : Franck Leguerinel
Alfonso : Lorenzo Regazzo
Choeur de l’Opéra de Bilbao
Direction : Boris Dujin
Orchestre El Ayre Espanol
Direction musicale : Eduardo Lopez Banzo
Bilbao, ce 19 janvier 2007
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Alfonso la méchante
Prenez un chef dirigeant pour la première fois un opéra
en version scénique et n’ayant eu que peu de
répétitions, adjoignez-lui un metteur en scène
plus soucieux d’efficacité que de finesse et semblant
croire que certains aspects de l’œuvre ne sauraient
être compris du public si on ne les soulignait pesamment ;
pour peu que le même metteur en scène interprète un
personnage selon une clef destinée, on le suppose, à le
rendre comique, mais qui le déforme et par ricochet vide de sa
substance une composante importante de l’œuvre, et vous
obtenez la recette pour qu’un spectacle, en dépit
d’un plateau vocal de très haut niveau, ne décolle
pas
Venue de Pologne, cette production repose sur une interprétation
problématique du personnage de Don Alfonso. A scène
ouverte, un coiffeur allume la radio, dans son salon miteux : on
va retransmettre Cosi fan tutte
dirigée par Eduardo Lopez Banzo. Pendant l’ouverture, il
s’affaire de ci de là. Son accoutrement –
boléro de couleur et pantalon très proche d’une
jupe-culotte – ses déhanchements et son jeu devant les
miroirs où il s’admire dans un peignoir drapé en
forme de minijupe ne peuvent laisser aucun doute : c’est un
antiphysique, comme on eût dit à l’époque de
Cosi. L’homosexuel efféminé fait peut-être
encore rire à Wroclaw. A Bilbao le public, même peu
familier d’une œuvre très rarement
représentée dans cette ville, semble avoir perçu
aussitôt le problème posé par cette
conception : la piètre opinion qu’Alfonso a des
femmes n’est plus liée à une
« sagesse » puisée dans les livres mais
découle de son inversion sexuelle. Du coup le couple
qu’Alfonso forme avec Despina, son double sceptique, est
privé de la logique voulue par Da Ponte et Mozart. Et comme le
metteur en scène développe son idée, par instant
le spectacle frôle La Cage aux Folles, comme
lorsqu’Alfonso, feignant de reconnaître les
pseudo-Albanais, leur met la main aux fesses, ou quand il joue avec le
linge étendu par Despina et s’en coiffe à la
manière d’Elie Kakou en Madame Sarfati. On ne peut que
louer ici les interprètes qui parviennent – probablement
à cause de réticences quant à cette lecture
– à éviter le pire. Michal Znaniecki ne
semble pas comprendre que la grivoiserie n’est plaisante que si
elle reste à l’état de sous-entendu.
© E. Moreno Esquibel
Non
que son travail soit inintéressant ; auteur des costumes,
il exprime la personnalité différente des deux
sœurs en leur donnant la même veste, que Fiordiligi
boutonne et que Dorabella porte ouverte. Il laisse Fiordiligi
près du rocking chair où gît Ferrando dans la
scène du sauvetage tandis que Dorabella plus empressée se
retrouve à califourchon sur le pseudo-suicidé
qu’elle tente de ranimer. Il utilise avec à propos,
même si on peut trouver le procédé redondant, des
projections video pour illustrer tel ou tel air et les
téléphones portables qui immortalisent les adieux ou
l’emploi d’une télécommande par Alfonso pour
actionner le dispositif sonore destiné à berner les
jeunes filles lors du faux départ de leurs soupirants
n’ont rien de répréhensible. Mais certaines
idées sont réchauffées – pour leur premier
duo les jeunes filles sont dans leur gymnase – et d’autres
comme du plomb. Ainsi le balai que Fiordiligi saisit pour chasser les
intrus est accroché au mur de la cour, comme dans une cour
réelle, et le geste semble aller de soi. En fait cet ancrage
dans le prosaïque et les mouvements menaçants qu’elle
effectue avec son arme soulignent pesamment le décalage
parodique entre le ton grandiloquent qu’elle a adopté et
les circonstances qui motivent sa protestation. Le metteur en
scène doute-t-il de l’efficacité de la
musique ? Croît-il le public incapable de saisir les
sous-entendus suggérés par la « certaine
différence » entre les deux garçons au point
de demander aux interprètes un geste précis ? Et
faire chanter « Non siate ritrosi » à
Guglielmo tandis qu’il déshabille Ferrando, devenu objet
dont l’air vante les mérites, n’est-ce pas, outre
l’ambiguïté supplémentaire ici introduite,
dénaturer le personnage, dont la vanité est
essentielle ? Quant au parti pris par Luigi Scoglio de diviser la
hauteur de l’espace scénique afin de situer dans la partie
supérieure le décor et les personnages de la scène
à venir, il exploite efficacement les ressources techniques de
l’auditorium et donne de la fluidité mais comme on le voit
– éclairages mal réglés ? - ce
dispositif distrait au détriment des scènes en action.
Dans la fosse, Eduardo Perez Banzo et les musiciens de El Ayre Espanol
ne semblent pas avoir encore embrassé la totalité de la
complexité de l’œuvre. Pas d’accident, hormis
quelques moments pénibles pour les cors lors du « Per
pièta » de Fiordiligi, mais après une
ouverture oscillant entre ralentis prudents et
accélérations précipitées, donnant une
impression de mécanique tournant à vide, puis des tempi
à la limite de l’ennuyeux – même si
« un’aura amorosa » est à intention
parodique, l’enjeu n’est pas de l’étirer
jusqu’à l’écoeurement – et à la
fin l’impression dominante d’une relative pauvreté
des couleurs. Probablement les choses iront de mieux en mieux, au fil
des représentations successives, mais en ce 19 janvier on en est
là.
© E. Moreno Esquibel
Heureusement le plateau apporte un bouquet de satisfactions. Après avoir mentionné le chœur, qui remplit sa fonction sans démériter, honneur aux dames. La Despina de Marta Ubieta
est charmante à regarder ; on peut s’interroger sur
la jeunesse du personnage, car il semble que sa connaissance pratique
des comportements masculins soit le fruit d’une expérience
commencée très tôt, et sur sa blondeur, car Despina
ne répond vraiment pas au cliché les concernant, mais
vocalement, après quelques stridences dans les aigus initiaux,
la chanteuse réussit une interprétation honnête,
les scènes en travesti étant de grande qualité.
Dans le rôle des deux sœurs, deux excellentes musiciennes
et bonnes techniciennes qui contrôlent leur chant dans les
règles de l’art et dosent exactement leurs voix, dont les
couleurs se marient délicieusement. Le registre grave de Soile Isokoski
est un peu à la peine lorsqu’il est le plus
sollicité mais on veut croire que l’interprète,
plus reposée, serait plus à son aise. Laura Polverelli
n’en est pas à sa première Dorabella et
s’installe à son aise dans le personnage de façon
primesautière et charmante, aussi bien scéniquement que
vocalement.
Chez les hommes aussi brelan d’as. Franck Leguerinel
est un Guglielmo bien chantant dont la diction de l’italien est
d’une remarquable qualité. On sait la facilité
apparente avec laquelle cet interprète entre dans la composition
de personnages comiques ; sa démarche, peut-être
inspirée par quelque personnage célèbre de notre
actualité, ses mimiques, sont du meilleur effet. Son
élégance naturelle lui permet d’esquiver la
pantalonnade où la mise en scène tend à glisser.
Cette qualité, Topi Lehtippu
la partage, ainsi que le goût pour l’engagement
scénique ; sa désinvolture d’acteur
l’emporte même parfois sur celle de son partenaire. Ils
parviennent tout en jouant le jeu à maintenir leur duo bouffe
aux marges de la bouffonnerie. Vocalement le ténor confirme sa
musicalité et la qualité d’une émission qui
lui confère une place de choix désormais dans Mozart
après son Ottavio remarquable à Toulouse.
Le nihiliste absolu, celui pour qui la seule règle est celle du
désir et qui semble prendre un plaisir malin à
détruire la candeur plus que les illusions et la sottise –
tel est du moins le rôle que lui donne la mise en scène,
alors que dans l’opéra ce maître
sévère a une visée morale positive – trouve
en Lorenzo Regazzo un
interprète accompli d’une expressivité et
d’une intelligence exceptionnelles. Sa belle voix de basse
s’allie très heureusement à celles des deux autres
hommes, tout aussi souples, et ainsi ces bonheurs vocaux permettent de
surmonter les pesanteurs détaillées plus haut.
Tempérament taciturne ? Perplexité devant
l’œuvre ? Devant cette version ? Le public nous a
semblé très réservé. Mais on nous a
assuré que ces applaudissements mesurés, qui nous
semblaient peu payer le talent des chanteurs, étaient ici
l’expression de l’enthousiasme. Dont acte.
Maurice SALLES
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