C O N C E R T S 
 
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LYON
12/04/06

© Michel Cavalca
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

COSI FAN TUTTE

Opéra buffa en 2 actes sur un livret de Lorenzo da Ponte

Fiordiligi, Malin Byström
Dorabella, Tove Dahlberg
Despina, Danielle de Niese
Ferrando, Michael Smallwood
Guglielmo, Markus Werba
Don Alfonso, Wolfgang Holzmair

Choeurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon
William Christie

Mise en scène, Adrian Noble
Décors, Tom Pye
Costumes, Deirdre Clancy
Eclairages, Jean Kalman
Chorégraphie, Sue Lefton

Opéra de Lyon, le 12 avril 2006

Ainsi devraient-ils tous faire

Petite question en forme de préambule : quel rapport entre Così fan tutte et Friends ? Aucun ? Je le croyais aussi jusqu’au lever de rideau, hier soir, sur la dernière production d’Adrian Noble. Autre question avant de poursuivre : et si Jennifer Aniston se glissait dans les oripeaux de Fiordiligi ? Mieux, si l’on dépouillait cette dernière de sa robe napolitaine alla Tiepolo ? Fiordiligi en bikini et mini-short, cela vous paraît aberrant ? Je vous dirais, moi, que vous avez vu pire, ne serait-ce que chez Sellars dans la même œuvre !

Bref, je reprends le postulat brillant d’Adrian Noble. Così est une fable atemporelle qui doit pouvoir s’accommoder d’un léger lifting. Je campe maintenant le décor : vous regardez une sitcom ; l’action se passe en Californie, sur une plage ; au loin, la ville. Trahison ? Non ! Génie ! Génie de mettre la verve de Da Ponte, mais aussi son cynisme, sa cruauté à l’heure du soda et de la société de consommation. Cela est bien vain, me direz-vous… et surtout pas très neuf ! Je veux bien répondre oui à vos deux objections. Mais à la première, surtout, j’opposerai que ce travail-ci apporte à Mozart autant qu’il lui retire. Sous ces éclairages diffus, sur cette plage, derrière ces voilages Ikea, sourd un conflit de sentiments étonnamment moderne ; la langue des cœurs est toujours la même et les larmes ont aujourd’hui le même goût qu’hier : celui de l’amertume.

Un petit test que je conseille : se poster à la sortie et écouter ; simplement écouter les spectateurs et surtout ces lycéens que l’on amène ici en masse célébrer l’année Mozart. C’est faire œuvre militante que de mettre des portables sur scène, même si cela est peu de chose. On s’y reconnaît parfois mieux. Même l’image peut-être belle. Et Noble sait tirer la beauté d’une réalité quotidienne, croyez-moi.

Il faut dire que l’équipe retenue joue, vit cette comédie douce-amère sue l’amour et la peine, le rire et les larmes. Il faut dire aussi que j’ai, moi, rarement vu parler ainsi des corps, si crédibles. Il faut dire, enfin, que l’on verrait mal Guglielmo résister à la chute de reins de Fiordiligi, ni sa promise retenir son émoi face à la gueule d’ange de ce dernier. Il y a, sans doute, bien des cœurs qui ont palpité dans la salle hier soir…

Je le dis donc, voici un Così réinventé. Un Così revivifié aussi par la baguette de William Christie. Je ne suis pas franchement fan de son Mozart. Chauvinisme mis à part (parce que Bill est le plus français des chefs américains), je vous confierai même que sa Flûte m’ennuie un petit peu… Mais là ! Là, quelle vie, quelle exultation, quelle battue, quelles attaques ! Et quelle tendresse aussi pour caresser les lignes de la Sérénade des amants ou les courbes d’un Per pietà en apesanteur. Des cordes agiles, des bois succulents et des cuivres rutilants… Je vois mal que demander de plus.

Une bonne équipe soliste pour répondre à cette direction de haut vol, me direz-vous. J’en connais sans doute de plus impeccables (mais nous sommes en live et cela, seul, excuse quelques accrochages) ; j’en connais peu de plus irrésistibles. Mention toute particulière à la Fiordiligi de Malin Byström. Pour une fois (et c’est tant mieux, et d’un strict point de vue musicologique sans doute plus correct), c’est elle qui a le plus d’ombres dans la voix. Superbe organe, pulpeux, foyer incendiaire, projection fière… Deux airs qui touchent au miracle et une présence de fauve. Sa sœur a le sourire au bord des lèvres et le cœur grand ouvert. La voix est plus menue, plus claire. Le charisme est équivalent et cela suffit à faire un duo délicieux. Troisième dame (même jeune, une grande dame reste une grande dame), Danielle De Niese est une Despina toute en voix… et toute en jambes. Voilà le plus beau farfallone de la soirée, mais aussi le plus redoutable cerveau : celle-là mène son monde du bout du talon aiguille. Méfiance !

Et ces messieurs ! Ils ne sont pas en reste, loin s’en faut. Pas Wolfgang Holzmair, c’est évident, qui reprend des mains de Fischer-Dieskau le flambeau du diseur, du maître de cérémonie insidieux, insinuant et cauteleux. La voix est bien un peu sèche, un peu acide, le souffle parfois court et la projection assez pauvre… mais écoutez Panerai chez Böhm, en live aussi. Vous êtes comme moi, vous l’adorez… malgré tout ! On nous a annoncé que Michael Smallwood était souffrant. La laryngite n’est pas une maladie du cœur, la preuve est faite. Et elle affecte apparemment peu une voix bien menée. L’aura amorosa est simplement excellent, mené comme un ruban que l’on déroule, un beau ruban de satin miroitant. La ligne est envoûtante… comme celle de Markus Werba, mais pour d’autres raisons. Le Papageno de la saison dernière a, lui, la force primale, une voix cuivrée, sonore, un chant buriné, sanguin qui va bien à Guglielmo. Werba a tout pour lui… au-delà même d’un sourire parmi les plus incroyables de la scène lyrique ! Il a l’énergie, la tenue, le « je ne sais quoi » d’humanité trouble et troublante qui fait les mozartiens d’exception.

Rupture d’épithètes, au final, pour qualifier ce Così porté au triomphe… Ah si ! Peut-être un : trop court !

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Benoît Berger
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