DOMMAGE
!
Chacun à Genève se souvient
du Pelléas et Mélisande admirablement mis en scène
par Moshe Leiser et Patrice Caurier et de l'enchantement de la Mélisande
d'Alexia Cousin aux côtés d'un somptueux José van Dam
en Golaud et d'un lumineux Simon Keenlyside en Pelléas. C'était
en 1999. Deux saisons après ces débuts prometteurs, la soprano
française revenait sur la scène du Grand-Théâtre
de Genève pour camper une très belle Tatiana (Eugène
Onéguine). Quelques récentes critiques sur le crépuscule
de la voix d'Alexia Cousin avaient titillé la curiosité des
fans de la soprano qui attendaient de ce récital avec piano un test
de vérité.
Si d'aucuns auraient aimé que
la jeune soprano offre un florilège de mélodies françaises,
sa langue maternelle, elle lui a préféré une soirée
entièrement dédiée à des lieder en langue
allemande. Dès les premiers accents de son récital, on comprend
les raisons éminemment théâtrales de ce choix. Etait-ce
celui de la chanteuse ou celui d'un directeur désireux d'entendre
la jeune femme dans un répertoire inhabituel ? Quand bien même
ce serait le cas, un programme ne se décide pas sans l'approbation
de l'artiste.
Rompant avec la tradition qui veut
qu'un récital se déroule dans la pénombre pour permettre
à chacun de suivre les poèmes interprétés sur
le programme (qu'il a acheté !), la nuit la plus totale tombe sur
les spectateurs du Bâtiment des Forces Motrices. Seul un halo descendant
des cintres éclaire le piano. Vêtue d'une belle robe décolletée
de satin brun orange, Alexia Cousin fait son entrée suivie de son
accompagnateur. Révérences, saluts, chacun prend place. On
s'attend alors à un accord de piano introduisant le premier air.
Rien de tel. Alexia Cousin prend la parole. D'une voix dont la portée
n'excède pas les vingt premières rangées du public,
on comprend finalement qu'elle dit en français les poèmes
qu'elle chantera en allemand. Ainsi, chaque lied se voit traité
comme une entité unique au détriment d'une certaine continuité
dans le cycle des mélodies. Est-ce une manière de reposer
son instrument vocal entre chaque chant ? Reste que passé le malaise
passager imposé par ce cérémonial insolite, l'auditeur
retourne vite au chant, focalisé sur les protagonistes de scène.
Alors s'impose l'évidence. La
voix d'Alexia Cousin n'a plus d'unité. Elle conserve une belle sonorité
dans le registre médium, mais les aigus manquent singulièrement
d'éclat et sont affublés d'un tremblement de la mâchoire
symptomatique d'une usure précoce. Quant au registre grave, sa tendance
à flotter est manifeste. La dissociation des trois registres, l'aigu,
le médium et le grave, donne l'impression d'entendre trois voix
qui semblent ne pas appartenir à la même personne. Le passage
d'un registre à l'autre est constamment heurté, sans legato.
Un chant "par paliers" qui casse la ligne mélodique. C'est l'amer
constat d'une voix incontrôlée. Passant de forte à
fortissimo et vice-versa avec brusquerie, le chant d'Alexia Cousin
est plat, sans modulation. Quant aux pianissimi, ils sont étouffés,
voire quasi inexistants.
En dépit de maints gestes théâtraux,
les lieder de Brahms n'émergent pas du brouillard vocal dans
lequel Alexia Cousin les enferme. Ceux d'Hugo Wolf auraient subi le même
sort si quelques couleurs n'avaient habité un léger et attrayant
"Lied de Philine", Ne chantez pas sur un ton funèbre,
dans lequel la soprano, tout à coup retrouvée, fait habilement
ressortir les personnages du poème de Goethe.
La deuxième partie (dont les
Sieben frühe Lieder d'Alban Berg ont été retirés,
sans explication) comporte l'oeuvre majeure du récital d'Alexia
Cousin, à savoir les fameux Wesendonck-Lieder de Richard
Wagner. Personne n'imaginait que les problèmes vocaux de la décevante
première partie disparaîtraient comme par enchantement. Bien
au contraire. Malgré toute l'application et la musicalité
du piano de Bertrand Halary, la soprano n'a jamais pu exprimer la beauté
de ces sublimes chants d'amour. Comme absente du romantisme de l'oeuvre,
faisant état de la seule puissance de sa voix, Alexia Cousin se
prend au piège de sa vocalité en désarroi. Une technique
défaillante fait peu à peu chanceler l'énergie de
la chanteuse. Fatiguée, elle ne peut donner l'entière mesure
d'un répertoire qu'elle ne domine pas, sinon plus.
Dommage ! "Dommage" était d'ailleurs
le mot qu'on entendait ici et là à l'issue de ce récital.
Dommage qu'une si jeune et si prometteuse interprète n'ait été
qu'un feu de paille dans le monde de l'art lyrique. Les problèmes
vocaux d'Alexia Cousin ne datent pas d'hier. N'aurait-on pas dû renoncer
à l'engager dès lors qu'on savait qu'elle ne pourrait artistiquement
pas assumer sa prestation ? Il faudrait aussi poser la question à
l'intéressée qui, alors qu'elle prépare son récital,
se fait certainement auditionner par des amis ou des connaissances. Les
critiques, les avis contrastés et divers ne sont-ils pas autant
d'appréciations dont on peut tenir compte ? C'est un respect que
l'on doit non seulement au public mais plus encore à soi-même.
Jacques SCHMITT