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VENISE - FENICE
16 & 17/01/2007
Giacomo MEYERBEER (1791-1864)
IL CROCIATO IN EGITTO
Livret de Gaetano Rossi
Nouvelle production
Première exécution à l’époque moderne
Mise en scène, décors et costumes, Pier Luigi Pizzi
Lumières, Sergio Rossi
Aladino, Marco Vinco (14,16,18,20)
Federico Sacchi (17,19,21)
Pallide, Patrizia Ciofi (14,16,18,20)
Mariola Cantarero (17,19,21)
Osmino, Ionio Zennaro
Alma, Silvia Pasini
Adriano di Montfort, Fernando Portari (14,16,18,20)
Ricardo Bernal (17,19,21)
Felicia, Laura Polverelli (14,16,18,20)
Tiziana Carraro (17,19,21)
Armando d’Orville, Michael Maniaci (14,16,18,20)
Florin Cesar Ouatu (17,19,20)
Primo schiavo, Luca Favaron (14,16,18,20)
Dionigi d’Ostuni (17,19,21)
Secondo Schiavo, Emanuele Pedrini (14,16,18,20)
Ferrucio Basei (17,19,21)
Orchestre et choeur du Théatre de La Fenice
Directrice du Choeur, Emanuela di Pietro
Préparation musicale et direction, Emmanuel Villaume
Venise, La Fenice, 16 et 17 janvier 2007
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Meyerbeer brille même sans étoiles
Si, pour rendre compte des représentations du Crociato in Egitto
programmées par l’ex-directeur artistique de La Fenice on
s’inspirait des critères de jugement qu’il utilisait
dans sa revue, ni la production ni la distribution n’en
sortiraient imdemnes. Ayant défini lui-même le rôle
de Palmide comme « coloratura drammatico »
comment justifier le choix de Patrizia Ciofi ? Et l’absence
de décors spectaculaires qu’affectionnait Meyerbeer serait
un autre élément à charge, si nous voulions nous
acharner.
Mais une autre option s’offre à nous : ces
représentations réussissent-elles, à défaut
des moyens somptueux nécessaires, à livrer une version
attirante de cette oeuvre si peu jouée, si mal connue, et
peuvent-elles contribuer à sortir Meyerbeer de son
purgatoire ?
Sans le moindre doute la réponse est : oui.
Dès
le début, on est saisi par l’intéret de cette
partition, pourtant souvent ravalée au rang de musique de
confection. Basée sur le manuscrit original,
propriété de La Fenice où Il Crociato in Egitto
fut créé et dont aucune édition critique n’a
été publiée, la préparation musicale fut
d’autant plus ardue. Le résultat est pourtant
jubilatoire : au prix de coupures qui ne doivent pas
excéder une vimgtaine de minutes et qui sacrifient
essentiellement les interventions des comparses – Alma et Osmino
–, il nous est donné d’entendre une oeuvre
passionnante, et ce de par ses qualités spécifiquement
meyerbeerienne. La variété des timbres et des couleurs
supplée la variété des formes, qui pourtant
existe, et l’effet dramatique s’obtient souvent de
manière inattendue, par le surgissement inopiné de vents
guillerets ou d’une harpe volubile dans un contexte
pathétique. Ce jeu délicieusement déconcertant de
l’écriture est immédiatement perceptible,
probablement parce qu’à la tête d’un orchestre
particulièrement discipliné et réactif, à
la virtuosité irréprochable dans ses différentes
sections, Emmanuel Villaume impose d’emblée et maintient
sans faiblir un excellent équilibre entre vigueur et souplesse.
Jamais la musique entendue à Venise, malgré la richesse
de l’orchestration, ne sonne comme un orphéon ;
à nos oreille séduites se déroule un tissu musical
tour à tour exaltant et savoureux, toujours efficace. Les effets
sont faciles ? Peut-être, mais c’est là
l’esthétique du plaisir sonore propre à Meyerbeer.
Faut-il faire la fine bouche ?
Cette
recherche hédoniste, le compositeur l’affichait aussi dans
la dimension visuelle de ses opéras. Certes, les documents du
XIXe siècle montrent que la réussite, pour le
compositeur, passait par un déploiement superlatif de
décors et d’accessoires. Rien de tout cela dans la
proposition de Pier Luigi Pizzi, d’une sobriété
confinant à l’ascétisme. Toutefois, ce
dépouillement permet au grand scénographe de créer
de images frappantes et ses options ont la force de
l’évidence. L’Egypte est un espace ouvert
dominé par un immense pavillon carré tombant des cintres
– et susceptible d’y remonter à demi ou
entièrement – frappé du signe de Dieu en immenses
caractères arabes. Il a pour pendant la voile latine
ornée de la croix de Malte, déployée au mat
central d’une galère à la proue de laquelle
s’érige un immense crucifix. L’alternance de ces
repères explicite le champ et les enjeux pour les personnages,
la dualité complémentaire du noir et du blanc et ses
dégradés modulent le climat des scènes. Cette
compréhension fine des ressorts dramatiques – le choc de
deux pouvoirs, de deux religions, et les affres des individus qui y
sont confrontés après avoir vécu dans le secret
– et la direction d’acteurs – sans doute
perfectible – rendent lisibles les revirements parfois difficiles
à suivre de personnages déchirés entre diverses
fidélités. Les costumes vont des tuniques noires des
esclaves au caftan immaculé de Palmide, en passant par les
uniformes mariant le gris fer des armures aux manteaux noirs et blancs
des croisés ; sur cette palette réduite, les
eunuques dans la ravissante scène autour de l’enfant de
l’amour, Aladino, Palmide et les émirs pour la
réception de l’ambassade jettent leus soiries
damassées qui semblent sorties des ateliers vénitiens de
Tintoretto.
Et
le chant ? Si l’on considère que Meyerbeer
écrivait pour les grands virtuoses de son temps, sans doute
émettra-t-on des réserves ; mais il nous semble
préférable de regarder la moitié pleine du verre.
Certes, les titulaires du rôle d’Adriano di Montfort
n’ont pas les moyens d’en venir à bout avec les
honneurs, ils n’ont ni l’étendue ni l’abattage
qui permettaient à Rockwell Blake de triompher en juillet 1990
au festival de Radio France et Montpellier. Ricardo Bernal, le 17,
frôle l’accident, et Fernando Portari, le 16, reste
en-decà des attentes. Marco Vinco est davantage pour nous un
baryton-basse qu’une véritable basse et sa jeunesse ne
convient guère pour jouer un père noble, incarnation, au
finale, de la magnanimité. Mais il est très musical et
son émission est exempte des quelques engorgements de
l’autre Aladino, voix pourtant plus large et présence
imposante. Le physique de Laura Polverelli ne se prête pas
vraiment au travesti masculin, mais sa virtuosité belcantiste
est connue et sa Felicia se révèle de premier plan, ce
n’est pas une surprise. La surprise vient de Tiziana Carraro, qui
après un air d’entrée remarquable malgré une
attitude empruntée (probablement à cause du trac) a fait
preuve d’un tempérament et d’un aplomb vocal dont
nous la savions pas pourvue. Enfin, la cause est entendue, ni Patrizia
Ciofi ni Mariola Cantarero ne sont des Palmides philologiques ;
mais la première cisèle avec son talent habituel les
fioritures de sa partie et parvient à traduire toutes les
facettes du personnage alors que la seconde séduit par un timbre
plus opulent, coloré, peut-être plus proche des souhaits
du compositeur.
Reste le problème posé par le rôle-titre. En
l’absence de candidats qualifiés pour succéder au
castrat Velluti, dernier de son genre à paraître sur les
scènes, Armando d’Orville fut distribué à
des mezzo en travesti. A Montpellier, Martine Dupuy relevait le
gant avec panache, et l’on se souvient encore du velours de sa
voix ductile. La Fenice, surfant sur le renouveau et la vogue des
contre-ténors, a engagé deux chanteurs. Le 16, Michael
Maniaci, qui se définit comme sopraniste, s’est
imposé d’entrée par sa musicalité et sa
virtuosité. Voix homogène malgré la faiblesse du
médium, dotée de beaux aigus rayonnants, bref, la
proposition était pertinente et fut tenue jusqu’à
la fin avec une belle générosité. On
s’attendait donc à une prestation de moindre éclat
pour le titulaire de la deuxième distribution ; or il
n’en fut rien et la chose est d’autant plus remarquable
qu’il s’agissait des débuts en scène de
Florin Cesar Ouatu. Non seulement il n’a rien à envier
à son collègue en termes d’éclat ou
d’agilité, mais son registre grave est plus ample et,
scéniquement, son charme viril est des plus convaincants.
On voudrait, pour conclure, saluer tout spécialement la
participation des choeurs. Même si, le soir du 17, un
décalage se fit entendre, il fut rapidement corrigé et
l’engagement, la superbe musicalité des artistes
n’appelle que des éloges. Là, une des
caractéristiques essentielles de l’oeuvre est
restituée.
On lasserait à citer les passages qui ont charmé,
duos, trios, quatuor, choeurs parallèles, ensembles... Oui, il
s’agit bien d’une résurrection réussie.
D’autres théâtres se lanceront-ils dans
l’aventure ? On le souhaite, pour la satisfaction des
maîtres d’oeuvre, et pour le renouveau de Meyerbeer.
Maurice SALLES
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