Si le départ fracassant
de Charles Dutoit, le printemps dernier, semble avoir provoqué par
ricochet quelques discrets changements dans la programmation artistique
de l'Orchestre Symphonique de Montréal, ce n'est pas le cas de Michel
Plasson qui a assuré, comme prévu, les 22 et 23 octobre la
direction de la "légende dramatique" de Berlioz, La Damnation
de Faust. Ces deux représentations à la salle Wilfrid-Pelletier
de Montréal devaient servir de prélude à une représentation
au Carnegie Hall le 26 octobre, avec la même distribution.
A qui la faute ? A la version
de concert ? A l'absence d'entractes ? Toujours est-il que la représentation
du 23 octobre se joue devant une salle pleine seulement aux deux tiers
et devant un public, qui, à la mezzanine du moins, semble plus prompt
à bâiller et à applaudir les "tubes" (ah, ma bonne
dame, la marche Rákóczy c'est quelque chose...) qu'à
s'émouvoir des amours malheureuses de Faust et de Marguerite. Grande
injustice assurément, car la musique de Berlioz, outre le fait qu'elle
compte parmi les plus belles pages de l'histoire de la musique française,
était honnêtement interprétée ce soir là.
Le héros, ou plutôt
les héros de la soirée, sont incontestablement les choeurs
de l'Orchestre Symphonique de Montréal. Qu'ils chantent en français,
en latin ou en langue infernale, ils assurent, sous la direction d'Iwan
Edwards, une présence vocale et dramatique soutenue qui ne se relâchera
jamais pendant les quelque deux heures que dure le spectacle. A l'épilogue,
un choeur d'enfants se joindra aux musiciens pour interpréter les
esprits célestes qui accueillent l'âme de Marguerite au paradis,
un ajout qui, malheureusement, s'avère superflu, le pupitre féminin
des choeurs de l'OSM couvrant totalement les voix d'enfants ... Dommage
!
Giuseppe Sabbatini, initialement
prévu (et dont on se rappelle qu'il interprétait le rôle
à Bastille il y a deux ans sous la baguette de Seiji Ozawa) était
avantageusement remplacé par Michael Schade. Malgré des débuts
quelque peu engorgés, sa voix acquiert au cours de la soirée
une belle rondeur et une consistance certaine dans la projection. Malgré
cette bonne impression d'ensemble, avec ce ténor, on a parfois l'impression
d'être dans Faust chez les nouveaux beaufs : lorsqu'il dit
"Viens, viens" à Marguerite, on croirait plus l'entendre s'adresser
à son chien qu'à sa dulcinée ! De même, la manière
dont il s'affale sur sa chaise, toutes jambes écartées, quand
il ne chante pas, n'est pas des plus distinguées... La diction française
est correcte, mais laisse entrevoir, à l'occasion, quelques petites
approximations regrettables : "éteindre" au lieu de "étendre",
"traîner à mes pieds sa louange" au lieu de "traîner
à ses pieds ma louange"... Mais au moins le ténor germano-canadien
nous laisse-t-il l'occasion de déceler ces quelques défauts...
Car on aurait du mal à pratiquer le même genre d'exercice
avec la mezzo-soprano Ruxandra Donose dont je passerai toute la soirée
à me demander si ce n'est pas la version roumaine du texte qu'elle
est en train de chanter ! Certes, la voix est soyeuse et belle (l'artiste
aussi !), mais cette diction catastrophique conjuguée au manque
d'engagement dramatique dans la romance du roi de Thulé ne sauraient
emporter vraiment l'adhésion... Surtout quand, sur le plateau, on
trouve le jeune baryton-basse canadien John Relyea qui, en plus de chanter
dans un français impeccable, se révèle être
un Méphistophélès absolument stupéfiant : tour
à tour beau parleur grandiloquent, persifleur fier et plein d'esprit,
démon roublard et sans scrupules à la voix noire et pénétrante,
son identification au personnage est parfaite. Une carrière à
surveiller donc...
Quant à Michel Plasson,
il fait du Michel Plasson : objectivement, rien de scandaleux - tout est
en place, l'orchestre ne couvre pas les chanteurs (même si les trompettes
se rappellent parfois à notre souvenir de manière un peu
trop sonore dans les parties chorales), mais la lecture est parfois un
peu trop académique et manque de tension dans l'avant-dernière
scène : on est loin de la direction échevelée, urgente
d'Ozawa il y a deux ans.
En conclusion, une représentation
honnête d'une oeuvre majeure du répertoire dont on espère
qu'elle rencontrera davantage son public au Carnegie Hall qu'à la
salle Wilfrid-Pelletier...
Rémi Bourdot