C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
28/05/02

(Dawn Upshaw) 
Récital Dawn Upshaw

Dawn Upshaw, soprano
Gilbert Kalish, piano

Hugo Wolf : Mörike Lieder :
Auf ein altes bild, Auf eine Christblume I, Fussreise.

Paul Hindemith : Das Marianleben, extraits :
Geburt Mariä, Argwohn Josephs, Verkündigung über die Hirten,
Pietà, Stillung Mariä mit dem Auferstandenen.

Béla Bartòk : Chansons populaires hongroises :
Fekete föd, Annyi bànat a szüvemen, "Hatforintos" nòta,
A Tömlöcben, Eddig valò dolgom, Pàrositò I.

Gustav Mahler : Des Knaben Wunderhorn, extraits
Wer hat dies Liedlein erdacht ?, Ich Ging mit Lust,
Das irdische Leben, Lob des hohen Versgtands.

Modeste Moussorgski : Les Enfantines, extraits.
Au coin, Le Hanneton, Avec la poupée, La Prière du soir, Sur le dada

Théâtre des Champs-Elysées, le 28 mai 2002


Dawn Upshaw appartient à cette race de chanteuses qui font voler en éclats l'image traditionnelle de la Diva compassée, une main négligemment posée sur le piano, débitant un programme convenu de mélodies célèbres... Dotée d'une présence indéniable, la cantatrice américaine occupe tout l'espace scénique et incarne non seulement avec sa voix mais aussi son corps les personnages de chaque mélodie comme autant de mini-opéras. On pense immanquablement à la regrettée Cathy Berberian, avec laquelle elle partage en outre cette curiosité qui la pousse à explorer, loin des sentiers battus, des territoires peu fréquentés et cette versatilité qui lui permet de paraître chez elle dans les répertoires les plus divers. Véritable "bête de scène", elle s'intègre aussi bien à l'univers théâtral d'un Bob Wilson qu'à celui de Peter Sellars. Il n'est dès lors guère étonnant que de nombreux compositeurs lui confient la création de leurs ouvrages. Citons pour la seule année 2000 : L'Amour de loin de Kaija Saarihao à Salzbourg et El Niño de John Adams au Châtelet.

Est-ce le souvenir de cette récente prise de rôle qui lui a donné l'idée de ce programme subtil, axé essentiellement sur le double thème de la nativité et de l'enfance ?

Des trois Wolf qui ouvrent la soirée se détache l'admirable Auf eine Christblume I, qui sollicite beaucoup l'aigu, au demeurant impeccable, et annonce comme en pré-écho le propos des cinq mélodies qui suivent.

Trop rare au concert - et au disque - "Das Marianleben" d'Hindemith, sur des textes de Rilke, que Glenn Gould considérait comme le plus grand cycle de lieder jamais écrit, permet à la chanteuse de montrer toutes les ressources d'une voix longue et expressive. L'Annonce aux bergers, grande mélodie à la tessiture ample et aux affects variés, culmine sur un aigu forte de toute beauté. Le timbre, tour à tour pathétique (Pietà) ou nimbé de tendresse (Marie apaisée par le Ressuscité), exerce une séduction immédiate. La cantatrice donne de ces extraits une interprétation captivante, et l'on se prend à rêver qu'elle en grave un jour l'intégrale.

Tandis que la salle est encore sous le coup de l'émotion, Dawn Upshaw a déjà changé de registre avec les chansons populaires hongroises de Bartòk où rythmes saccadés succèdent aux ballades rêveuses et nostalgiques, pour s'achever sur un air de danse chaloupé.

La seconde partie juxtapose deux visions bien différentes du monde de l'enfance. Des extraits du "Knaben Wunderhorn" de Mahler, on retiendra l'émouvant Ich ging mit Lust, exécuté avec une ligne de chant somptueuse et des piani impalpables, et l'art avec lequel la cantatrice passe du poignant Das irdische Leben au désopilant Lob des hohen Verstands émaillé de "coucous" stridents et de "hi han" nasillards à souhait !

Les "Enfantines" de Moussorgski, enfin, sont prétexte à un véritable "show". La chanteuse, qui prend la peine de traduire, non sans humour, chaque lied, explique à quel point le musicien tenait à ce que l'interprète sache prendre une voix d'enfant. De l'enfant Upshaw prend non seulement la voix, mais aussi les grands yeux étonnés, la moue boudeuse, les gestes maladroits... Elle incarne au passage la nourrice, puis la maman avec des timbres parfaitement différenciés. Tout en chantant Sur le dada, elle enfourche un bâton imaginaire, tombe, se lamente, et reprend sa chevauchée effrénée autour du piano, déchaînant l'enthousiasme d'un public conquis par cette prestation réellement ébouriffante.

Imperturbable, Gilbert Kalish offre à sa partenaire un accompagnement raffiné et toujours en situation qui n'appelle que des éloges, en particulier dans la partie pianistique si périlleuse du dernier cycle. 

Trois bis viennent conclure un programme déjà abondant : une mélodie d'Osvaldo Golijov et le magnifique Er ist's de Schumann (extrait de L'Album pour la jeunesse) précédés d'une inattendue "cabaret song" (Amor, de William Bolcom), comme l'annonce la cantatrice qui se métamorphose soudain en "reine de Broadway", la voix canaille, le déhanchement coquin, ponctué d'oeillades complices à souhait.

Étonnante Dawn Upshaw ! Rares sont les artistes qui possèdent à un tel degré ce charisme, cette imagination, cette joie évidente et communicative de chanter, et de faire découvrir et aimer les répertoires les plus inattendus.
 
 

Christian Peter
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]