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STRASBOURG
21/03/2006
Mireille Delunsch © Aude Boissaye
Récital Mireille Delunsch
Erich Korngold
Songs of the clown
Four Shakespeare Songs
Alexandre Borodine
Romances
Claude Debussy
Proses lyriques
Gabriel Fauré
La Chanson d'Eve
Leonard Bernstein
La Bonne Cuisine
Mireille Delunsch, soprano
Marie-Josèphe Jude, piano
Strasbourg, Opéra
21 mars 2006
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Maître-enchanteuse
"Il chanta, ne pouvant faire autrement. Et ne pouvant faire autrement, il trouva la manière." C'est ainsi que dans les Maîtres chanteurs,
Hans Sachs résume le chant nouveau qu'il a entendu de la bouche
de Walter. Ainsi pourrait-on également décrire celui de
Mireille Delunsch : une sorte d'intuition, voire d'empirisme, qui lui
permet d'affronter avec une assurance confondante – et un brin
d'inconscience – toute l'étendue de son ample tessiture,
depuis le médium chaud et velouté des Shakespeare Songs de Korngold et l'aigu irradiant des Romances de Borodine.
Les Beckmesser, quant à eux, auront tôt fait de remplir
leur tableau. Il est vrai que ce récital n'est pas exempt
d'imperfections. Jugez plutôt : rivée à son
pupitre, tournée vers son accompagnatrice, la soprano
débute son programme avec une apparente indifférence.
Refusant de se donner en spectacle, cette bête de scène
ménage jusqu'à ses effets. Les gestes et mouvements sont
rares, mais savamment mesurés : un bras qui esquisse un
mouvement d'adieu lorsqu'elle chante les "gestes éperdus" des
voyageurs dans De soir, un regard qui s'élève furtivement lorsqu'elle évoque "l'air limpide du paradis " dans la Chanson d'Eve... Rien de plus.
D'où vient alors la magie qui se dégage d'un programme
des plus ardus et éclectiques ? Tout d'abord d'un art de
diseuse, de conteuse qu'on ne lui connaissait pas. Mireille Delunsch
distille chaque mot, déroule à l'infini les textes telle
une Shéhérazade des Mille et Une Nuits, susurre, durant les dix poèmes de la Chanson d'Eve,
un fil qui jamais ne se rompt, couronné d'un ineffable " pour
qu'elle embaume la terre sombre et le souffle des morts ".
Un chant ensuite qu'elle semble réinventer à chaque
instant. On cherchera longtemps souvenir de pareils vertiges à
l'écoute des Proses lyriques,
qu'elle est la seule à oser faire avec la simplicité
naïve qui rend pleinement justice aux vers et à la musique
de Debussy, et de la Bonne Cuisine, où elle ose, a contrario,
jouer les divas, en savourant le moindre mot des recettes de cuisine
d'Émile Dumont comme d'autres savourent du Heine ou du Verlaine.
Enfin un rapport au public qui lui est propre, prenant plaisir à
tenir chacun des spectateurs en haleine, jubilant des effets qu'elle
retarde le plus possible et dont elle se régale par l'avance.
"L'oiseau qui chanta aujourd'hui était vraiment inspiré;
s'il a troublé les maîtres, il a ravi Hans Sachs". Et nous
avec.
Sévag Tachdjian
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