L'éternel
retour...
Initialement programmé en avril,
ce récital devait consacrer le retour à la scène de
Natalie Dessay après une longue convalescence (en juillet 2003 déjà,
elle avait choisi le Théâtre des Champs-Élysées
pour faire sa rentrée parisienne, après sa première
intervention aux cordes vocales). Entre-temps, les échos on ne peut
plus favorables de son concert à Montréal en mai dernier
et de son doublet Gabriel/Eve dans la Création de Haydn au
festival de Saint Denis en juin, laissaient présager une grande
soirée.
Rayonnante, dans une robe rouge très
estivale, Natalie Dessay nous a proposé un programme consacré
au premier romantisme italien, à l'exception de l'extrait des Vespri
siciliani de Verdi qui ouvre le récital. Un choix pour le moins
inattendu s'agissant d'un rôle qui n'est pas dans les cordes de la
cantatrice. L'eût-elle chanté dans l'original français,
cela aurait donné quelque intérêt à l'entreprise
car, si Dessay possède toutes les notes du boléro d'Elena,
on a coutume d'entendre ici une voix plus corsée et le trac légendaire
de la chanteuse nous a valu quelques attaques imprécises et une
vocalisation par moment laborieuse.
Passé l'écueil du premier
air, la suite du récital nous révèle une Natalie Dessay
transfigurée dans des pages bien mieux adaptées à
ses moyens actuels. Le medium, qui a conservé toute sa rondeur et
sa séduction immédiate, s'est élargi et la cantatrice
dispose désormais d'un grave plus étoffé, tandis que
l'aigu n'a rien perdu de son insolence, comme en témoigne l'air
de Giuletta extrait des Capuleti dont elle donne une interprétation
infiniment plus aboutie, tant vocalement que dramatiquement, qu'en 2003
sur cette même scène.
La première partie se conclut
avec une héroïne que Natalie connaît bien pour l'avoir
déjà fréquentée à maintes reprises (Lausanne,
Vienne, Milan) : Amina est désormais tout à fait dans ses
cordes et elle lui apporte toute la fragilité et la délicatesse
qu'il convient, soutenue par une maîtrise du souffle superlative
et d'infinies nuances. Notons que la scène est chantée dans
son intégralité : récitatif, aria et cabalette
doublée avec au second couplet les variations qui s'imposent. Ce
sera également le cas pour les extraits de Donizetti : le fait est
assez rare pour être signalé.
Nul doute que Lucia di Lammermoor ne
laisse de fasciner Natalie Dessay qui lui consacre toute la seconde partie
du concert. Elle avait déjà interprété la version
française de l'ouvrage à Lyon et l'avait enregistré
aux côtés de Roberto Alagna (EMI). C'est la version italienne
qu'elle propose ce soir avec les deux grandes scènes de ce personnage
qu'elle a désormais fait sien et qu'elle campe avec une assurance,
un art du clair-obscur, une sensibilité et une perfection technique
qui laisse le public pantois.
Dans l'air de la folie, la flûte
a été remplacée par un harmonica de verre selon le
voeu du compositeur (1). Cet instrument aux sonorités
étranges, quasi irréelles, confère un plus grand mystère
à cette scène qui est véritablement le clou de la
soirée. Le public, du reste, ne s'y trompe pas qui réserve
à la cantatrice dès la fin de l'air une ovation debout aussi
spontanée que méritée.
Au pupitre, Evelino Pido' se révèle
un partenaire idéal. Très attentif à son interprète,
il lui concocte un tissus orchestral de tout premier ordre, veillant à
ne jamais la couvrir.
Comme le veut la tradition, dans ce
genre de récital, quelques ouvertures d'opéras s'intercalent
entre les airs. Si le choix de Pido' ne brille pas par son originalité,
il n'en demeure pas moins pertinent. Secondé par un Orchestre National
en grande forme, sa direction souple et nerveuse, qui n'évite cependant
pas certaines brutalités dans les tutti, nous vaut de belles ouvertures
de Norma et de Guillaume Tell.
En bis, Natalie Dessay nous
offre la scène d'entrée d'Amina et conclut avec un "quando
me'n vo'" étincelant d'humour et d'abattage.
De belles retrouvailles avec une chanteuse
attachante qui réussit pleinement sa reconversion.
Christian PETER
_______
(1) En effet, à l'origine, c'est
l'harmonica de verre qui devait donner la réplique à Lucia
dans la scène de la folie. Pour des raisons de commodités,
Donizetti s'est résigné à le remplacer par une flûte.
Au disque, la seule intégrale qui restitue l'instrument original
est la version de Thomas Schippers avec Beverly Sills, Carlo Bergonzi et
Piero Cappuccilli ressortie récemment chez Universal Classics dans
la collection Westminster the legacy.