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PARIS
02/02/2008
© DR
André-Cardinal Destouches (1672-1749)
Le Carnaval et la Folie (1703)
Comédie-ballet en quatre actes et un prologue.
Livret d'Antoine Houdar de la Motte,
d'après l'Eloge de la Folie d'Erasme.
Carnaval : Marc Callahan
Folie : Camille Merckx
Momus : Paul-Henry Vila
Plutus : Mathieu Montagne
Jeunesse : Emmanuelle De Negri
Jupiter : Markus Serrano Lopez
Vénus : Marion Tassou
Chef des Matelots : Marc-André Pronovost
Professeur de Folie : Enrique Alberto Martinez Rivero
Un musicien : Daniel Cabena
Un poète : Sorin Dumitrascu
Chœur et orchestre de la 14e Académie Baroque européenne d'Ambronay.
Hervé Niquet, direction
Jacques Osinski, mise en scène
Paris, Opéra Comique, 2 février 2008
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Un Carnaval sans folie
Le Carnaval et la Folie constitue un OMNI
(Objet musical non identifié) de 1703, parvenu
jusqu’à nous dans une partition plus tardive.
Expérimentation de Destouches, compositeur, théoricien
mais aussi soldat pendant sa jeunesse turbulente, l’œuvre
traduit le vent de liberté soufflant sur l’Académie
Royale de Musique après la disparition du grand Lully. Le
prologue de propagande est ici réduit à son minimum
syndical, le livret d’Antoine Houdar de la Motte ne comprend que
4 actes aux proportions assez bancales, et l’intrigue – si
l’on peut parler d’intrigue – enchaîne les
tableaux burlesques sans souci de cohérence dramatique. Car
avant même le Don Quichotte chez la Duchesse
de Boismortier (également exhumé par Hervé Niquet)
ou la fameuse Platée de Rameau, voici une parodie corrosive des
archétypes de la tragédie en musique. L’acte III
contient en outre une savoureuse caricature du chant italien, de sa
virtuosité creuse et des ses rimes de bas étage.
Hervé Niquet a hélas amputé la partition - déjà courte - à la fois de son Prologue
(cela devient une fâcheuse manie), de danses et d’airs. Sur
scène, les jeunes chanteurs, visiblement ravis de se trouver
là, laissent admirer des voix puissantes bien que vertes. Le
Carnaval de Marc Callahan et le Momus de Paul-Henry Vila
possèdent des timbres assez semblables, profonds et
grainés. L’émission est stable, les ornements
appliqués. La Folie de la ravissante Camille Mercksx
souffre d’une diction un peu brouillonne et d’un chant
voilé, mais sa recherche de caractérisation et de nuances
est tout à fait louable. Ainsi, le duo sur un rythme de Chaconne
du Carnaval et de la Folie a été magnifique de naturel et de candeur et rappelle celui de Médor et d’Angélique dans le Roland du Florentin.
Les grands vainqueurs de la soirée ont été sans nul doute le chœur et l’orchestre.
Chaque intervention du chœur s’est avérée
d’une homogénéité sans faille,
extrêmement dynamique, et avec un bel équilibre des
pupitres. Ce n’est pas pour rien qu’Hervé Niquet a
dirigé tant de grands motets au long de sa
carrière ! De même, l’orchestre a
été proprement éblouissant : précis,
coloré, jouant sur les sonorités des bois, la phalange se
révèle digne de son aînée du Concert
Spirituel. Cette performance d’un grand professionnalisme est
d’autant plus étonnante que certains instrumentistes
– la violoncelliste par exemple – n’ont pas
même 20 ans et qu’une partie d’entre eux ne parle pas
français. On remarquera en particulier le continuo, avec ses 2 théorbistes omniprésents recouvrant presque violoncelliste et gambiste.
Hervé Niquet étreint la partition à bras le corps
du début à la fin de la représentation,
délaissant un jeu de tension et de relâchement qui
briserait un peu cette sensation de marche forcée
jusqu’à la dernière mesure. A la place, le chef
privilégie le mouvement et les timbres, met fortement en valeur
les chœurs et les danses au détriment des
récitatifs (d’une écriture d’ailleurs
particulièrement alambiquée comparée à
Lully, Marais ou Campra), cloue le spectateur à son fauteuil. Si
son approche volontaire permet d’éviter tout temps mort et
rythme un drame sans réel fil conducteur, elle néglige la
variété des climats, et la poésie
« fleur bleue » des scènes galantes.
Il faut dire que la mise en scène de Jacques Osinski
laisse perplexe. L’action est transposée dans une sorte de
fin XVIIIe – début XIXe siècle anglais (à en
juger par les sombres boiseries, et la coupe des costumes masculins)
indéterminée, et s’inspire du théâtre,
Marivaux notamment. Un rideau plus ou moins transparent délimite
la scène en deux espaces distincts, reléguant ainsi
souvent le chœur et les danseurs à
l’arrière-plan. Malheureusement, le jeu est totalement
statique : « je ne veux pas théâtraliser
l’instant où il n’y a pas de théâtre.
Je ne cherche pas à combler le vide » se justifie
Jacques Osinski dans les notes de programme. Mais alors que dire de ce
Carnaval sans foire, de cette Folie si raisonnable, de ses libations
bachiques où l’on brandit une bouteille à
moitié vide en déclamant placidement son
« françois » restitué ?
L’admirable scène de la tempête et le chant des
matelots n’étaient-ils pas prétexte à
quelques joyeusetés spectaculaires ? La destruction magique
des jardins également ? A force de tout ramener à un
très british Jane Austen vu par la BBC, l’œuvre perd
toute sa portée comique et critique, l’humour tombant
même franchement à plat dans la scène du professeur
de chant italien. On recherche vainement ce bouillonnement
d’idées qui caractérise la partition, cette vie
débordante et capricieuse pleine de sautes d’humeur
imprévisibles que le livret réclame. Rieurs, passez votre
chemin, ici, c’est la Cour de Marbre. Et cela est dommage car les
chorégraphies de Marie-Geneviève Massé sont
admirables, en dépit de leur côté danses de salon
où nos 5 danseurs en robes ou gilets évoluent sous les
sombres boiseries. « Ah, un menuet ? Faites entrer les
danseurs. Ah, un Tambourin, faites-les vite
revenir ! ». On en regretterait presque les transitions
hyper artificielles de Quinault lorsque les peuples
s’avançaient soudain, ou lorsque les démons
surgissaient pour introduire les divertissements.
En bref, en dépit de cette froideur visuelle, la soirée
fut l’occasion de découvrir une partition rare, servie par
de jeunes talents enthousiastes, et dont on espère qu’on
les retrouvera très bientôt.
Viet-Linh NGUYEN
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