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BERGAME
15 & 17/10/2006
© Gianfranco Rota
Gaetano Donizetti (1797-1848)
Roberto Devereux
« Tragedia lirica » en trois actes et six tableaux de Salvatore Cammarano
Créée au « Teatro di San Carlo » de Naples, le 29 octobre 1837.
Première de la version révisée
pour le Théâtre-Italien de Paris : 27 décembre 1838
Elisabetta Prima Tudor, regina d’Inghilterra : Dimitra Theodossiou
Roberto Devereux, Conte di Essex : Massimiliano Pisapia
Lord Duca di Nottingham : Andrew Schröder
Sara, Duchessa di Nottingham : Federica Bragaglia
Lord Guglielmo Cecil : Luigi Albani
Sir Gualtiero Raleigh : Giorgio Valerio
Un paggio : Tommaso Norelli
Un familiare di Nottingham : Tommaso Norelli
Orchestra e Coro « Bergamo Musica Festival Gaetano Donizetti »
Maestro del Coro : Corrado Casati
Maestro Concertatore e Direttore : Marcello ROTA
Mise en scène : Francesco Bellotto
Décors et costumes de David Walker
pour le « Teatro dell’Opera » de Rome
Révision des costumes : Cristina Aceti
Lumières : Valerio Alfieri
« Teatro Donizetti di Bergamo »
Vendredi 15 et Dimanche 17 septembre 2006
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Un splendide Roberto Devereux « chez » Donizetti
Un Teatro Donizetti flamboyant de roses rouges, offertes à
toutes les dames, nous attendait en cette luxueuse inauguration de
saison lyrique bergamasque. Rouge, couleur de passion, de sang,
convenant exactement à l’opéra probablement le plus
dramatique de Gaetano Donizetti, illustre fils et prestigieux
ambassadeur de la Cité lombarde de Bergame.
Saison dédiée à la mémoire d’un autre
insigne enfant de la Ville, disparu il y a dix ans, le Maestro
Gianandrea Gavazzeni, aristocratique chef lyrique et musicologue
distingué, dont le buste orne le grand foyer et rappelle ses
traits altiers à ceux qui eurent le bonheur de le
connaître personnellement. Quant au Maître des lieux, le Cavaliere
Donizetti, comme on l’appelait à son époque, il
n’était pas oublié, un discret bouquet de tendres
roses blanches étant déposé aux pieds de sa statue
accueillant les spectateurs… sans parler de son image romantique
venant charmer toutes les vitrines de la ville !
On apercevait au parterre la fine fleur de la critique lyrique
italienne, Giorgio Gualerzi en tête, et parmi les
personnalités, un Pier Luigi Pizzi tout ému de
s’entendre rappeler un théâtre français
où il travailla tant : l’Opéra de Nancy.
Comment passer sous silence le choc initial de voir non
exécutée la splendide ouverture, électrisante au
possible ?… et voir au lieu de cela, commencer
l’opéra intimement dans l’interrogation des
courtisans et la triste Romance de Sara ? Ce manquement
s’explique par la volonté première du Teatro
Donizetti d’offrir un Devereux
particulier en se tournant vers la partition originale, non plus
exécutée aujourd’hui. Néanmoins, la
confrontation entre les moutures des passages concernés par la
révision de 1838 tourna nettement en faveur de cette
dernière version, devant évidemment améliorer
l’ouvrage dans l’esprit du compositeur. Un seul exemple,
évident au possible : on sait que lors d’une Stretta
finale de duo, les interprètes chantent pratiquement toujours,
l’un après l’autre, le même motif musical, or
Donizetti dans sa conclusion du duo Elisabetta-Roberto (acte I),
recompose la partie de Roberto qui, différant alors de celle
d’Elisabetta, rend la conclusion déjà
électrisante, plus riche, plus dramatique et séduisante.
Le Teatro Donizetti conserva donc les modifications apportées
par Gaetano pour le Théâtre-Italien… mais pas
l’ouverture, composée pourtant au même moment !
Cette déception passée, on découvrait une
interprétation soignée, et de la part de tous les
chanteurs. On entendait d’abord une douce Sara di Nottingham,
délicate, presque effacée, par comparaison à
l’image habituelle que l’on donne de ce personnage,
déchiré entre ses passions et ses devoirs, et poussant
l’exaspération dramatique au détriment de la ligne
de chant. Rien de cela avec Federica Bragaglia, au timbre gracieux au
service d’un chant sensible et raffiné. Son époux
est le velouté Andrew Schroeder au timbre aussi uni que son
chant est égal : on sent qu’il doit se faire violence
pour devenir un véhément mari jaloux, ivre de vengeance.
On pouvait du reste constater avec émotion ses efforts physiques
l’aidant dans ce sens et le public lui fut d’autant plus
reconnaissant.
Massimo Pisapia prêtait son timbre délicat mais chaleureux
au rôle-titre, qu’il assumait avec noblesse du chant et du
personnage, nous régalant du da capo
de sa délicieuse cabalette, où Donizetti fait merveille
dans cette fusion d’adieu à la vie avec panache, de brio
dans le désespoir, mélange romantique pas toujours
compris de ceux qui entendent ainsi marcher à la mort sur un ton
allègre.
Dimitra Theodossiou se range parmi les « reines
métalliques », pour ainsi dire, au timbre
corsé et incisif, mais si ses aigus coupants, emplissant le
pourtant vaste Teatro Donizetti, glaçaient le sang lors de la
première, elle nous stupéfia pourtant (et plus encore le
dimanche) de pianissimi
impalpables mais sonores, dont peu de soprani dramatiques
d’agilité sont aujourd’hui capables. La preuve en
est d’une touchante coutume
théâtrale, aujourd’hui devenue rare.
Lorsqu’en effet le public applaudit après un air,
l’interprète concerné demeure d’ordinaire
immobile, selon la convention. Or, si les applaudissements sont nourris
et portent même l’émotion jusqu’à
devenir des ovations, l’interprète abandonne son
immobilité et adresse un signe au public, touchant accord
faisant redoubler le bonheur de ceux qui l’acclament. Cela se
passa après l’air d’entrée
d’Elisabetta, et la qualité de son interprétation
nous fait d’autant regretter le choix, pratiquement jamais
adopté par les autres interprètes de ce rôle, de ne
pas exécuter le da capo de la cabalette.
La grande cantatrice grecque dramatise son chant sans excès,
réservant aux gestes les effets les plus
véhéments, comme cette chaise lancée de toutes ses
forces en travers de la scène (!), juste avant d‘aborder
le terrible « Va !!! » débutant la
vibrante Stretta-Finale II°.
Dimitra Theodossiou
© Gianfranco Rota
On
sait que sur ce personnage, et non sur Roberto Devereux, repose le
grand Finale, saisissant moment dramatique où le
désespoir et l’hallucination deviennent musique, et une
musique incroyablement dramatique pour l’époque, à
tel point que l’on ne connaît pas de page
équivalente dans les opéras de Donizetti connus
aujourd’hui. Dimitra Theodossiou est déjà
visuellement impressionnante dans sa sobre robe de deuil et sans sa
perruque royale, mais pas non plus dotée de quelques rares et
tristes cheveux, réalisme inutile et sordide, coupable
d’empêcher le rêve des spectateurs
d’opérer. On sait en effet que le Romantisme italien prend
ses livrets comme des prétextes à exprimer des sentiments
exacerbés, or pour que le rêve fonctionne, il faut un
minimum de prestige, d’impressionnant,
d’éclat… il s’agit d’une reine tout de
même ! Déchirée, anéantie, certes, mais
digne dans son humanité. Cela, Francesco Bellotto l’a
compris et les courts cheveux blancs qu’il permet à
Dimitra Theodossiou ne lui retirent pas ce minimum de dignité
humaine, disparu dans les « quatre poils »
désolés voulus par d’autres metteurs en
scène satisfaisant la soif actuelle des spectacles en spectaculaire sordide, en sensationnel heurtant.
L’interprétation vocale est exemplaire : de la
rêverie douce-amère de la première partie de
l’air « Vivi, ingrato », à
l’extraordinaire cabalette finale « Quel sangue
versato », cri de désespoir vers une folie presque
salvatrice d’une réalité insoutenable : la
mort de l’être aimé.
Les rappels n’en finissaient pas sous une pluie de fleurs
lancées des loges d’avant-scène et les
interprètes épuisés, Dimitra Theodossiou en
tête, durent faire adieu de la main devant le rideau rouge, pour
signaler au public affectueux qu’ils ne reviendraient plus
saluer !
© Gianfranco Rota
Aux interprètes principaux, il faut ajouter les impeccables
Luigi Albani et Giorgio Valerio, respectivement en Lord Cecil et Sir
Gualtiero Raleigh, tout comme Tommaso Norelli, à la fois page et
domestique de Nottingham.
Le « Coro del Teatro Donizetti » nous
régale, comme toujours, de la même fraîcheur, du
même enthousiasme et de son professionnalisme dans le fait
d‘aborder les musiques de l’Enfant chéri de la Ville, dont le « Spirto gentil » plâne partout dans ce Théâtre.
La direction de Marcello Rota étonne au début, tant nous
avons dans l’oreille des conceptions plus
électrisées, voire sèches et alla tedesca, comme nous disions à propos du Dvd avec E. Gruberova
dirigée par le chef autrichien F. Haider. Avec le Maestro Rota,
nous découvrons la conception opposée : des tempi
étirés, alanguis même, dans le sentimental,
posés et marqués dans le passionnel. Une exécution
musicale qui se déploie, s’épanche, mettant en
valeur à chaque instant les poétiques touches
donizettiennes confiées aux instrument solistes
préférés des Romantiques : la clarinette, la
flûte et le hautbois. Certes, on aurait attendu parfois un peu
plus de « nerf » mais cette conception
intériorisée et approfondie, posée et
fouillée, même, sert différemment les
beautés de la partition. Un détail, frappant s’il
en est : au moment crucial où la reine angoissée
accuse sa rivale : « Tu perversa… tu soltanto /
lo spingesti nell’avello… » (Toi, perverse, toi
seulement / fut celle qui le poussa dans la tombe), aucun chef
n’a fait exécuter aussi staccato les implacables phrases des violons soulignant les paroles terribles de la reine, que Cammarano fait parler ici « convulsée de rage et de douleur. », selon la didascalie.
La mise en scène est à la fois somptueuse,
poétique et intelligente, en même temps que sobre, car
elle allie avec bonheur respect du livret et stylisation
évoquant sans recopier. L’espace, notamment, est ainsi
délimité par de vastes tapisseries évoquant
l’époque élisabéthaine : en fait, de
grands rideaux peints à la manière traditionnelle du XIXe
siècle et selon une technique ancienne d’épais
traits de peinture, fort coûteuse aujourd’hui, me suis-je
laissé dire en coulisses. Les différents tableaux
étaient ainsi proposés comme autant de tableaux
(au sens pictural), en jouant de l’ouverture-fermeture de ces
tapisseries, au long du spectacle, (sauf pour la prison de Roberto,
délimité par des mûrs crénelés,
surmontés de l’immanquable lune, écho visuel
logique du rêveur prélude musical du tableau).
© Gianfranco Rota
On notait également quelques trouvailles, comme lorsque
Nottingham dans son air explique à Roberto que Sara consume ses
jours en pleurs mystérieux, un rideau s’écarte
alors et on a la vision un peu brumeuse de la duchesse, penchée
sur la fatidique écharpe qu’elle brode pour son Roberto
bien-aimé. Les riches costumes, dont on pouvait apercevoir
quelques exemplaires dans les vitrines des magasins de la captivante
Cité lombarde, sont non seulement
« d’époque » mais s’inscrivent
tous dans une harmonie fondant des couleurs pourtant marquées et
capiteuses.
Une
mise en scène se situant en somme à l’exact
opposé de celle de l’Opéra national bavarois,
analysée dans une critique récente et à laquelle
nous nous permettons de faire allusion, tant l’opposition est
curieuse. A Munich, nous étions plongés en pleine
époque contemporaine, mais les chanteurs devaient se
prêter à des mimiques appuyées jusqu’à
la grimace. A Bergame, on retrouvait l’époque voulue par
Donizetti mais au contraire une sobriété de gestes et
dans les attitudes, n’empêchant nullement, du reste, ni
passions ni exaspérations !
Caméras de télévision et micros d’une firme
de CD bien connue venaient parfaire cette belle atmosphère de
contentement, de bonheur même, d’un public trouvant le Donizetti qu’il était venu chercher !
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