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SAINT ETIENNE
06/02/05
© Cyrille Sabatier
DIALOGUES DES CARMELITES

Francis POULENC

Livret : Georges Bernanos
d'après une nouvelle de Gertrude von Le Fort
et un scénario de Philippe Agostini et du R.V Bruckberger

Opéra en trois actes et douze tableaux
Création : Teatro alla Scala, Milano, 26 janvier1957
Première représentation en version originale : Opéra de Paris, 21 juin 1957

Direction musicale : Jean-Luc Tingaud
Mise en scène : Jean-Louis Pichon
Décors : Alexandre Heyraud
Costumes : Frédéric Pineau
Lumières : Michel Theuil
Assistante à la mise en scène : Sylvie Auget

Orchestre Symphonique de Saint-Etienne
Choeurs Lyriques de Saint-Etienne
Chef de choeur et assistant à la direction musicale : Laurent Touche

Coproduction : Teatro de la Maestranza de Séville

SOLISTES

Le Marquis de La Force : Christian TREGUIER
Blanche de La Force : Sophie MARIN-DEGOR/Michelle CANNICIONI
Le Chevalier de La Force : Alexander SWAN
Mme de Croissy, Prieure : Sylvie BRUNET
Mère Marie de l'Incarnation : Marie-Thérèse KELLER
Madame Lidoine : Michèle LAGRANGE
Soeur Constance de Saint-Denis : Nathalie MANFRINO
L'aumônier du Carmel : Christian JEAN
L'officier-Thierry-Javelinot : Jean-Pascal INTROVIGNE
Mère Jeanne de l'Enfant Jésus : Patricia SCHNELL
Soeur Mathilde : Marianne DELLACASAGRANDE
Premier commissaire : Eric CHORRIER
Mère Gérald : Evelyne CREUX
Soeur Catherine : Roselyne GIRAUD
Soeur Félicité : Marie BASSON
Soeur Gertrude : Françoise DELPLANQUE
Soeur Alice : Karen PERRET
Soeur Valentine : Véronique RICHARD
Soeur Anne de la Croix : Patricia PALAMARA
Soeur Marthe : Catherine GOUJON
Soeur Antoine : Marie-Hélène BEIGNET
Soeur Saint-Charles : Pascale CHAREYRE
Soeur Claire : Frédérique DEJOIE

Chef de chant : Catherine FUCHS-ASTOR
Régisseur Général : Elsa RAGON

L'Esplanade Opéra Théâtre de Saint-Etienne
Le dimanche 06 février 2005

"A la mémoire des carmélites de Compiègne mortes pour la foi le 17 juillet 1794. Leurs corps reposent derrière cette muraille". En lieu et place du rideau, un tulle d'avant-scène reproduit fidèlement le marbre gravé des seize soeurs décapitées, après avoir fait voeu de martyre. Les premières notes de l'oeuvre de Poulenc ne se sont pas faites entendre que le spectateur est d'ores et déjà plongé dans l'insondable mystère de la Foi, confronté ici à la folie destructrice des anges noirs de la Terreur.

 48 ans après leur création triomphale à la Scala, les Dialogues des Carmélites n'en finissent pas de livrer leurs secrets. Au-delà des considérations religieuses (transfert de grâce cher à Bernanos) et musicales (choix de la tonalité), ils nous parlent avant tout d'espoir, de courage, de peur, d'amour, de fraternité, de soif d'absolu et de sacrifice, sentiments qui fondent la condition d'homme. Par le truchement du cheminement de Blanche vers la Lumière, la pièce de Bernanos conte une bouleversante aventure humaine que Poulenc a mise en musique avec la sensibilité qu'on lui connaît. A ces femmes courageuses et obstinées, qui font offrande de leur vie à Dieu, le compositeur a dédié ses plus belles notes ; sa science de la modulation, sa générosité mélodique et l'attention portée à la prosodie y faisant ici, plus qu'ailleurs, merveille.

Une distribution entièrement francophone, regroupant quelques-unes des plus grandes chanteuses de l'Hexagone, une mise en scène et des décors chaleureusement applaudis à Séville en 2002 : la production stéphanoise avait quelques atouts maîtres à faire valoir. Sans atteindre à l'excellence à laquelle elle pouvait prétendre, la représentation de dimanche après-midi a pourtant tenu nombre de ses promesses.

Il s'en est pourtant fallu de peu qu'une catastrophe se produise... Livide, en méforme vocale évidente, Sophie Marin-Degor (Blanche de la Force) a dû déclarer forfait à l'entracte. A l'inverse de son personnage, qui cède devant l'obstacle et la peur, la soprano est allée au bout de ses forces. Cela n'a pas suffi et c'est sa remplaçante, Michele Caniccioni, qui devrait assurer les prochaines représentations. Décidément l'air de Saint-Etienne ne réussit pas aux sopranos, que l'on se remémore l'aphonie subite de Magali Léger, en septembre dernier.


© Cyrille Sabatier

Alors que Francesca Zambello noyait la scène de l'Opéra Bastille sous les oripeaux d'une imagerie conventionnelle, Jean-Louis Pichon a opté pour la sobriété, quelques objets ou meubles (une bibliothèque, un lit, des tabourets, une table, une grille) symboliques suffisant à transporter le spectateur dans la résidence du marquis ou dans les cellules du Carmel. Si l'épure scénique met en valeur le jeu des comédiens, elle peine cependant à recréer l'atmosphère de claustrophobie qui règne dans le couvent, l'un des points forts de la production de Marthe Keller à Strasbourg. L'actrice suisse réussissait par un savant jeu de lumières (admirables visions, presque oniriques) à restituer la vie du Carmel, monde à lui tout seul, rythmé par les offices, la prière et les activités manuelles.

La production stéphanoise n'atteint pas, à l'évidence, à la même puissance d'évocation. Quelques idées feront pourtant dates, tel ce lever de rideau sur le cimetière de Picpus, aujourd'hui jardin serein, où deux orantes de la Congrégation du souvenir se recueillent, en souvenir des carmélites. Dès les premières mesures de l'opéra, les religieuses disparaissent mais pas le jardin, qui viendra rappeler en permanence la réalité du martyre des religieuses. Pour la problématique exécution finale, le metteur en scène a eu recours à des images de synthèse. Bien lui en a pris, l'effet visuel est magnifique : seize guillotines flottent sur l'eau avec pour seul horizon, l'immensité étale de l'océan. Les couperets tombent, colorant de rouge une mer devenu houleuse, les religieuses s'effondrent, les guillotines disparaissent peu à peu. Restent l'infini, la délivrance, la béatitude ou l'insoutenable de l'arbitraire. Etranglé par l'émotion, le spectateur retient son souffle. Un ange est passé.

Musicalement, ces Dialogues n'ont sans doute pas trouvé en Jean-Luc Tingaud un maître d'oeuvre idéal. De par sa nature délicate de "conversation en musique", qui doit autant à Debussy qu'à Monteverdi, l'oeuvre est très difficile à appréhender. Une conception trop symphonique risquerait de couvrir les voix tandis qu'une conception par trop analytique, à la Nagano, dessècherait de facto le lyrisme prégnant d'une musique qui s'adresse, avant tout, à l'âme. Dans le meilleur des cas, la direction de Tingaud pourrait apparaître comme un compromis entre les deux, même si elle n'a pas toujours su maintenir l'équilibre sonore fosse-scène. Comment expliquer aussi l'impression de statisme que ressent l'auditeur à l'écoute de cette baguette métronomique, et sans doute trop univoque, pour porter à son plus haut degré d'émotion la musique, si variée, contrastée et colorée, de Poulenc ?

Pas toujours irréprochable sur le plan de la cohésion, l'orchestre symphonique de Saint- Etienne demeure sans doute l'un des meilleurs orchestres de région, capable de se frotter à des univers musicaux très différents.


© Cyrille Sabatier

A une ou deux exceptions près, la distribution réunie par Jean-Luc Pichon chante un français parfaitement intelligible, condition sine qua non pour rendre justice aux beautés de la partition. Nous l'avons dit, Sophie Marin-Degor, malade, n'a pu venir à bout de la représentation. Que vocalement l'artiste n'ait pas été à son meilleur est un fait. On se doit pourtant de concéder que cette Blanche de la Force, fiévreuse et rongée de l'intérieur par une force qui la dépasse, est une très belle création. Et ce malgré un vibrato prononcé, qui enlève un peu de juvénilité à son incarnation. Sa remplaçante, la sensible Michèle Caniccioni, n'a pas démérité, et il conviendra de réentendre cette artiste à la voix saine et bien projetée.

Sans doute trop jeune pour incarner une Prieure vraiment crédible, la trop rare Sylvie Brunet est une personnalité vocale passionnante. Maîtrisant toutes les potentialités d'un instrument riche en couleurs, la chanteuse se révèle impressionnante dans la scène d'agonie de la Prieure, où le reniement divin trouve en la diction tranchante de la mezzo un angoissant porte-voix. Sous les traits (et les notes) de Marie-Thérèse Keller, l'autoritaire Mère Marie-de l'Incarnation ne gagne guère en humanité, et les problèmes d'intonation de l'artiste (aigus émis en force), vocalement assez limitée, en font l'un des maillons faibles de la distribution.

D'une bienveillance protectrice, presque maternelle, Madame Lidoine ne vote pas le martyre. Mais elle accompagne ses filles jusqu'au bout, leur rendant, par ses mots lumineux, la mort plus douce. Afin de soutenir la ligne de chant, Michèle Lagrange chanteuse est obligée de recourir à des artifices vocaux qui gênent l'intelligibilité de la diction... La chanteuse ne marque pas le rôle de son empreinte mais il y a ici un art, une maîtrise du legato qui témoignent d'une évidente science du chant, quand bien même le son ne se sera jamais, en ce dimanche de février, épanoui véritablement.

Antithèse de Blanche, la pimpante et espiègle Constance trouve en la jeune Nathalie Manfrino, lauréate du concours Voix Nouvelles, une interprète aussi délicate que sensible. Son manque de présence scénique et parfois vocale, est seulement imputable à son manque d'expérience. C'est Christian Tréguier qui prête sa belle voix de baryton, et la rigueur de son style, au Marquis de la Force, figure paternelle inquiète et résignée. Il est d'autant plus dommage que le ténor Alexander Swan, nasal et renfrogné, ait quelque peu gâché les accents magnifiques qu'a prêtés Poulenc au Chevalier de la Force. Tous de belle école, à l'instar de l'aumônier de Christian Jean, les seconds rôles masculins témoignent du soin particulier accordé à la distribution jusque dans les plus petits rôles.

Une production attachante, une équipe soudée. Malgré les réserves, un beau travail d'ensemble, chaleureusement accueilli par le public.
 

Arnaud BUISSONIN
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