À
Montréal, on sait peu de chose de Didon et Énée
bien que dans le passé l'oeuvre y ait déjà été
donnée soit en version de concert soit en version scénique.
Elle vient d'entrer au répertoire de l'Opéra de Montréal
(OdM), mais par le biais de son Atelier Lyrique et dans une production
qui met à contribution ses stagiaires ainsi que des membres de l'École
nationale de Théâtre du Canada (comme figurants et dans l'équipe
technique). La réussite de cette production a valu à la troupe
un beau succès marqué par des applaudissements nourris à
la fin du spectacle.
Vu sa brièveté, l'opéra
est précédé d'un concert Monteverdi. Cinq madrigaux
dont l'écriture illustre de façon significative le sens dramatique
et la maîtrise contrapuntique du compositeur. Par leur rigueur stylistique,
les solistes en font ressortir l'intensité émotionnelle même
si on note ici et là un peu de retenue alors que cette musique fait
appel à une palette sonore ample et fort élaborée.
C'est dans un petit théâtre
plus que centenaire de 800 places, à l'acoustique idéale,
que Didon et Énée est présenté. Ce côté
intimiste joue en sa faveur. Du début à la fin, on éprouve
un réel plaisir à explorer, avec les artisans du spectacle,
toute la richesse de l'oeuvre. Sur le plan scénique comme sur le
plan purement musical, le public est convié à une réalisation
de bonne tenue.
La mise en scène traditionnelle
de Robert Racine est remarquable par son efficacité et sa justesse
expressive. Il s'en dégage une pensée élégiaque
et des effluves qui nous ramènent au temps où l'oeuvre fut
créée, elle concentre notre attention sur le jeu des protagonistes,
en particulier Didon, personnage central des trois actes dont on suit le
parcours, de l'amour naissant à la mort. Il ne laisse pas pour autant
les autres personnages dans l'ombre. Belinda, par exemple, surveille activement
les amours des héros éponymes. Pour Énée, il
exige pourtant une discrétion un peu à l'image du temps qu'il
passe en scène, ce qui a pour effet d'atténuer la portée
dramatique du héros, heureusement, sans aucune conséquence
fâcheuse sur l'impression d'ensemble. Racine tempère également
le jeu de la magicienne et des sorcières dont on sait que l'action
débridée pourrait en quelque sorte briser cet équilibre
qui fait en partie la grandeur de l'ouvrage. Les contrastes ne sont pas
évacués, loin de là, mais tout est fait avec mesure.
Réduit à sa plus simple
expression, le dispositif scénique souligne la sobriété
du jeu des acteurs. Un mur de pierre partiellement amovible jusqu'à
la première scène du deuxième acte et ensuite, jusqu'à
la fin de l'opéra, un écran sur lequel un arbre est projeté.
Quelques pierres éparses et à la fin un petit rocher sur
lequel Didon vient mourir. Avec des éclairages judicieusement orientés,
le metteur en scène obtient des images diaphanes et d'une grande
beauté dans le registre bucolique, en particulier au troisième
acte. À l'exception des vêtements de Didon, d'Énée
et des sorcières, tous les costumes sont dans des teintes pastel
de gris ou de jaune. La reine vêtue de rouge, Énée
dans son équipage guerrier et la magicienne en noir portent en somme
la marque le leur emploi. Ce n'est pas exempt de ringardise, mais les contrastes
sont saisissants.
Il faut saluer un plateau d'une belle
homogénéité, avec une mention particulière
pour Étienne Dupuis. Son baryton bien timbré ne cesse de
bonifier au fil des apparitions. Malgré son jeune âge, il
déploie une belle musicalité et possède un agréable
grain de voix. Après un excellent Lesbo (Agrippina) en début
de saison et cette prise de rôle particulièrement réussie,
on peut prévoir que des emplois plus importants sur la grande scène
de l'OdM seront à sa portée. On lui reprochera tout au plus
des gestes quelque peu stéréotypés, notamment sa réaction
assez fruste lorsque Didon lui demande de partir. Ariana Chris, un peu
moins à l'aise vocalement, incarne une reine à la fois douce
et fière, dont la composition est plus aboutie. Sa voix cristalline
aux aigus libres manque un peu de projection, surtout dans les moments
de plus forte tension dramatique. Rien toutefois qui ne compromet sa prestation.
En Belinda, Alison Angelo convainc
par l'engagement scénique et la beauté d'un organe souple
et fluide. Pour ce qui est des rôles secondaires, on retiendra le
timbre velouté de la mezzo-soprano Michèle Lozier et la belle
projection du ténor Pascal Charbonneau.
Notons encore l'excellente contribution
du choeur. Composé également de stagiaires de l'Atelier Lyrique
de l'OdM, il est impeccable de cohésion. À la direction de
l'Ensemble Arion (douze instrumentistes), Jean-Marie Zeitouni offre aux
chanteurs un soutien alerte et précis tout en prenant soin de faire
ressortir les beautés harmoniques de l'oeuvre ainsi que les sonorités
contrastées qu'elle renferme. Il sait lui communiquer un souffle
épique digne de mention.
Réal BOUCHER