OUVERTURE DE SAISON A MONACO
UN PÉTILLANT DON PASQUALE
MALGRÉ TOUT
Importé de Zurich, le Don
Pasquale de Donizetti a ouvert avec succès et dans un fantastique
éclat de rire la saison lyrique monégasque. Dans cet ouvrage,
il est facile pour un metteur en scène digne de ce nom de laisser
libre cours à son imagination, d'accumuler gags ou idées
les plus délurées sous prétexte que le livret s'y
prête. Il l'est beaucoup moins de bâtir un spectacle intelligent,
dicté avant tout par la partition, capable aussi de restituer à
ces mécaniques de génie, au-delà de leurs sourires
et de leur insouciance, leur tendresse, leur poésie, voire leur
cruauté. Et par-dessus tout, leur rythme qui est leur raison d'être.
Dans de jolis et luxueux costumes et
de somptueux décors tournants de Luigi Perego, la régie de
Grischa Asagaroff, avec ses mouvements vifs et colorés, brille comme
la meilleure des opérettes à succès, telle une porte
ouverte sur le rêve : le héros infantilisé jouant avec
ses ours en peluche, la bataille rangée autour de sa perruque, le
poster imposé d'Ernesto, des gags digne du plus savoureux théâtre
de boulevard... Le tout fait pétiller avec humour, bon goût
et talent, sans une once de vulgarité, cet opéra bouffe...
comme du champagne !
Asagaroff n'a pas oublié que
Don Pasquale est un peu Le Barbier revisité après
vingt-cinq ans de réflexion musicale et dramatique, juste le temps
pour Donizetti de découvrir l'opéra romantique. Car la cruauté
dans cette course poursuite au mariage et à la dot est toujours
sous-jacente. Au rideau final, la belle Norina - sait-elle ce qu'elle veut
cette pécore ? - ne tendra-t-elle pas la main, encore dans les bras
de son amoureux, au si sexy Docteur Malatesta ! Qui trompe qui ? Qui joue
à quoi ? Qui veut quoi et qui ?
Comme pour Le Trouvère,
il faut réunir les quatre meilleurs artistes du moment et laisser
aller la musique...
Certes, dans cet opéra d'ensembles,
de premier ordre, d'excellents chanteurs/acteurs doivent s'imposer individuellement,
mais être aussi capables de se plier à l'interminable série
de duos, trios, quatuors qui surabondent.
Le très jeune Dario Solari (Malatesta),
depuis ses débuts romains fracassants voici deux ans, pourrait bien
s'imposer comme le baryton de sa génération. Maîtrise
du son, de la note, du mot, sens comique et dramatique parfait.
Isabel Rey (en troupe à Zurich
et donc bien connue des mélomanes suisses) en vraie maîtresse-femme
ne fait qu'une bouchée de Norina (ici vamp de cinéma érotisée
à l'extrême). Son soprano corsé, agile, à l'aigu
brillant, facile, séduit et fascine.
Un bémol à tout cela
avec le sympathique Ernesto de Luigi Petroni. Pas toujours dans la portée
en première partie de spectacle... à son actif un Com'è
gentil raffiné et d'une préciosité bienvenue.
On attendait, il est vrai, Bruce Ford.
L'immense, le tellurique Ruggero Raimondi
entre en scène et le malaise s'installe. Dès les premières
notes. En fin de soirée, la gêne et la migraine auront leur
dernier mot. Pour quelques beaux aigus bien placés et sonores, une
vis comica irrésistible, une connaissance du rôle et
une présence indéniables, la star "marque" souvent plus qu'elle
ne chante. En totale inadéquation avec ce répertoire, malgré
de louables efforts et effets, que de négligences vocales, de parlando
outrancier ou inaudible (ce grand artiste pourra se vanter d'avoir inventé
le sprechgesang donizettien !), de notes savonnées, d'approximations
musicales même, ne faudra-t-il pas subir, le rire dans la gorge,
la compréhension amicale ou le respect venant à la rescousse.
Par bonheur, Nello Santi était
dans la fosse. Aux petits oignons, en premier pour la star monégasque.
On peut bien l'imaginer. Ce vétéran de la baguette, toujours
bon pied bon oeil, concocte des tempi irrésistibles, déroulant
pour son ami Ruggiero - et le reste du plateau bien sûr - un tapis
sonore à l'ébriété rythmique revigorante et
qui nous vaut un spectacle délectable. Le coeur encore une fois
a ses raisons... que la raison ne connaît pas.
Christian COLOMBEAU