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TOULOUSE
12/10/05
© Patrice Nin
Giuseppe Verdi
DON CARLO
Opéra en quatre actes
Livret de Joseph Méry et de
Camille du Locle
D'après Don Carlos, Infant von
Spanien (1787) de Friedrich Schiller
Traduit en italien par Achille de
Laurières et Angelo Zanardini
Créé au Teatro della
Scala à Milan le 10 janvier 1884
Nouvelle production
Direction musicale : Maurizio Benini
Mise en scène : Nicolas Joel
Décors : Ezio Frigerio
Costumes : Franca Squarciapino
Lumières : Vinicio Cheli
Elisabetta, plus tard reine d'Espagne
: Daniela Dessi
Eboli, dame de compagnie d'Elisabetta
: Béatrice Uria-Monzon
Don Carlo, Infant d'Espagne : Fabio
Armiliato
Rodrigo, Marquis de Posa : Ludovic
Tézier
Filippo II, Roi d'Espagne : Roberto
Scandiuzzi
Le Grand Inquisiteur : Anatoli Kotscherga
Un moine : Balint Szabo
Tebaldo, page d'Elisabetta : Magali
de Prelle
Lerma / Un héraut royal : Philippe
Do
Une voix céleste : Khatouna
Gadelia
Six députés flamands
: Olivier Heyte, André Heyboer, Jean-Louis Mélet
Vladimir Stojanovic, Frédéric
Bourreau, Yuri Kissin
Orchestre National du Capitole
Choeur du Capitole
Théâtre du Capitole de
Toulouse
7, 12 * et 18 octobre à 20h
/ 9 et 16 octobre à 15 h
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Nicolas
Joel, avec ses partenaires favoris, a choisi la fidélité
au livret. Sur un dispositif fixe composé de trois pans de mur percés
latéralement de portes monumentales, repose un plafond à
caissons susceptible de s'évider pour devenir une treille ou de
disparaître comme dans la scène de l'autodafé. Au lever
du rideau, ce plafond forme la voûte de la crypte du monastère
de Yuste contenant le tombeau de Charles Quint, qui s'y était retiré
après son abdication en 1555 et y mourut trois ans plus tard. Au
premier plan, un homme vêtu de noir gît dans une attitude de
prostration ; au second plan, dans la pénombre mordorée,
un moine de dos semble abîmé dans la prière. Comme
planant sur eux, un Christ gigantesque en crucifié est fixé
à la voûte. Le poids du dogme et de ses représentants
est d'emblée visible, quasiment palpable. Dédaignant la provocation
iconoclaste, Nicolas Joel affronte avec succès les difficultés
d'un opéra qui juxtapose scènes d'intimité et tableaux
à grand spectacle. Le cadre, monumental et dépouillé,
a la grandeur souhaitable et ne rend que plus sensible la fragilité
de ces "grands" dans les moments d'introspection. Il est éclairé
de façon magistrale selon les situations, dans la scène nocturne
du quiproquo ou lors de l'autodafé par exemple. Les costumes ont
la richesse attendue, mais le manteau royal brille moins que les rutilantes
chapes des dignitaires de l'Eglise alignés au-dessus du souverain,
limpide hiérarchie. Certes, le Grand Inquisiteur et ses subordonnés
portent tous l'habit des Dominicains, uniforme très sobre. Mais
les vrais maîtres du jeu n'en paraissent que plus puissants et plus
redoutables, dans cette ostentation de simplicité, riche en outre
pour les Toulousains d'une résonance particulière, puisque
c'est dans leur ville que fut fondé cet ordre, par un Espagnol,
avec pour mission première de lutter contre l'hérésie
cathare.
© Patrice Nin
Anatoli Kotscherga impose vaillamment
son autorité, d'un timbre à peine moins éclatant que
naguère ; le registre grave est toujours aussi impressionnant et
l'efficacité dramatique indéniable. Face à lui, Roberto
Scandiuzzi est un Filippo bien chantant. D'une voix pleine et homogène,
sans la moindre défaillance, il exprime l'ambiguïté
et la richesse d'un personnage complexe, dont désormais il maîtrise
toutes les facettes ; son grand air du troisième acte le démontre
magnifiquement. En outre sa prestance en scène lui donne la majesté
requise.
Face à ces deux grands, le duo
des dames est lui aussi de grande classe. En Elisabetta Daniela Dessi déploie
un timbre riche, moelleux jusque dans les aigus, et les ressources d'une
technique raffinée pour rendre justice aux exigences vocales et
dramatiques du rôle, tour à tout digne, douloureuse, déterminée,
et toujours noble. L'Eboli de Béatrice Uria-Monzon est la séduction
même et il faut être Don Carlo pour lui résister ; si
les vocalises de la romance maure ne sont pas irréprochables, dans
la scène du quiproquo, elle est étincelante et son grand
air "O don fatale" lui permet de dispenser graves et aigus avec une aisance
confondante et une articulation plus que satisfaisante. Pour une prise
de rôle, une grande réussite tant musicale que scénique.
© Patrice Nin
Reste le couple Carlos / Posa. Grande
attente pour Ludovic Tézier, lui aussi débutant dans le rôle
et acclamé plusieurs fois dans la maison pour La Bohême,
Hamlet, Eugène Onéguine et Don Giovanni. Solaire
: voilà l'adjectif qui pour nous correspond à son timbre
et à sa prestation. Diction lumineuse, justesse à rester
bouche bée, voix vibrante et d'un naturel irrésistible, investissement
total, ce jeune artiste vient d'enrichir son répertoire d'une nouvelle
interprétation de premier plan. Las... le duo splendide entre Posa
et Don Carlo a souffert de la prestation de Fabio Armiliato. A-t-il lu
les critiques affirmant qu'à la seconde il avait tardé à
s'échauffer ? En tout cas, ce soir du douze octobre, il démarre
sans retard et s'il donne d'abord l'impression d'une belle générosité,
rapidement s'impose celle du trop plein, sinon un rapprochement avec le
football : sur un terrain, on dirait qu'il joue "personnel". Chantant presque
toujours forte, il contraint Ludovic Tézier à faire de même,
et le duo s'en trouve gâché.
Cependant, si ce Don Carlo plus proche
de la vocifération que du chant ne nous a pas séduit, le
personnage semble scéniquement si instable, passant subitement de
l'exaltation à la perte de connaissance, que ce parti pris semble
justifié : ce chant si peu nuancé reflète la psychologie
de Don Carlo, profondément perturbé par ce qu'il vit et incapable
de se maîtriser. Reste que l'oreille n'est pas à la fête...
Ajoutons, peut-être à
la décharge des chanteurs à propos de ce duo, que le maestro
Benini aurait la réputation de faire sonner l'orchestre assez fort
; est-ce pour parer à cette éventualité que le ténor
a déployé ses décibels ? On dit aussi que le chef
tend parfois à ralentir excessivement ; cela expliquerait l'impression
de décalage éprouvée au début de l'air "Tu
che le vanità". En tous cas, nous n'avons pas constaté que
le niveau sonore de la fosse mettait les chanteurs en difficulté.
En revanche, nous avons entendu un orchestre tissant de façon voluptueuse
pour l'auditoire la superbe partition de Verdi, vents, cordes, tous les
pupitres se montrant à la hauteur de leur renommée. De quoi
pester encore contre ceux, nombreux, qui polluent chacune des attaques
musicales qui suivent les interruptions techniques destinées à
adapter le décor.
Les autres participants, choristes
et rôles secondaires, ont rempli leur fonction avec brio, en particulier
les six députés flamands et le moine, dont le jeune interprète
s'est déjà frotté à Filippo à Hambourg
et l'interprètera prochainement à Barcelone.
Dans un théâtre comble,
tout le plateau et le chef ont été acclamés longuement
par un public reconnaissant... et peut-être un peu chauvin, car plus
chaleureux avec nos compatriotes.
Maurice SALLES
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