UN DON CARLO COMPLET, SCANDALE
INCLUS
Cette production de Hambourg aura fait
couler beaucoup d'encre avant même d'arriver à Vienne. Simultanément,
elle est d'ailleurs reprise à partir du 24 octobre à Hambourg.
Les billets se sont arrachés au point qu'une liste d'attente a été
créée pour ceux qui n'ont pu avoir de places.
La mise en scène de Peter Konwitschny
commence sans grande surprise : scène vide, fond noir pour la rencontre
de l'infant et d'Elisabeth. A l'acte suivant, le fond devient blanc, la
demeure scène vide et les costumes síornent de fraises d'époque.
Rodrigue est juste affublé de lunettes qu'il perd de temps en temps,
ce qui l'oblige à une démarche de bigleux. Rien de bien choquant.
Sur le devant de la scène, une
jeune pousse d'arbre restera pendant toute la représentation le
symbole de la fragilité. La surprise de taille est le "rêve
d'Eboli" pendant le ballet, car la musique du ballet est donnée...
sans danseurs. En revanche les chanteurs sont fortement sollicités
dans un rôle muet.
Nous voilà transporté
dans un intérieur contemporain, Eboli est enceinte, elle attend
que son Carlos de mari revienne du travail. Ils attendent Philippe et Elisabeth
ce soir-là, couple bourgeois comme eux. Entre autres gags, Eboli
oublie d'éteindre le four et le poulet brûle, ce qui oblige
Carlos à appeler Telepizza. On s'amuse comme des fous en attendant
la naissance du bébé.
Le clou de la soirée est la
mise en scène de l'autodafé. Le public peut rester dans la
salle, mais est invité à se tenir aussi dans le foyer ou
le grand escalier. Une charmante speakerine, micro en mains, nous promet,
dans quelques minutes, en direct, un autodafé. Une armée
de photographes est sur le pied de guerre ; un caméraman permet
la retransmission de l'événement sur différents écrans.
Le public massé autour du grand escalier entend donc la musique
qui vient de la salle tout en regardant de malheureuses victimes de l'autodafé
se faire brutaliser. Arrivent Philippe II, la reine, le marquis de Posa,
les gardes du corps; crépitement de flashs, ils passent à
travers le public et entrent dans la salle. Sur scène, les choristes
sablent le champagne en costumes díaujourdíhui. Le public rentre dans la
salle, les artistes retrouvent la scène. Carlos et les flamands
font irruption dans la fête, Carlos distribuant des tracts. Au dessus
de la scène passent des gros plans filmés par le cameraman
sur scène ou des images de déportations, de guerres, les
archives de la violence humaine.
Une minorité des spectateurs
hurle bravo, une autre minorité hue et le reste applaudit, réjoui
de trouver de l'ambiance à l'opéra. Pour l'acte IV et V,
la mise en scène redevient sage, si ce n'est que les chanteurs revêtent
indifféremment des costumes d'époque ou contemporains, selon
les scènes.
Et la musique dans tout cela ? Elle
est donnée dans son intégralité, la représentation
commençant à 17 heures. La direction de Bertrand de Billy
soigne les couleurs orchestrales, adopte des tempi sages, se montre
attentive aux chanteurs en évitant de les couvrir. On peut aimer
cependant une direction plus fougueuse.
Alastair Miles chante avec correction,
mais la voix manque quelque peu de projection. Le même reproche peut
être adressé à Ramón Vargas ; ses meilleurs
moments ne sont pas les passages de tension dramatique, mais ceux où
il déploie morbidezza et demi-teintes. Il a de loin la meilleure
diction de toute la distribution. Bo Skovhus chante avec un style irréprochable
et fait preuve díun bel investissement. Simon Yang a la voix du grand inquisiteur,
mais on ne saisit guère son texte. La pauvreté de l'articulation
se retrouve chez les femmes. Iano Tamar chante une Elisabeth honnête,
mais la voix manque díampleur et le timbre pâlit au souvenir díElisabeth
autrement mémorables. Nadja Michael est une Eboli crédible
scéniquement, jeune et svelte. En outre, la voix a du mordant. Notons
juste la brève intervention d'Inna Los, non pas en coulisse, mais
sur scène, en perruque blonde platine et robe à paillettes
: une voix du ciel plutôt charnelle !
Cette mise en scène sera difficile
à reprendre sans un sérieux travail pour des chanteurs qui
viendront au gré des saisons se substituer à ceux de la création.
Valéry FLEURQUIN