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ZURICH
20& 21/11/02
DON CARLO
Opéra de Giuseppe
VERDI
version italienne en
4 actes
Direction musicale : Adam
Fischer
Mise en scène : Werner
Düggelin
Décors : Raimund
Bauer
Costumes : Sue Willmington
Lumières : Jürgen
Hoffmann
Chef de choeur : Ernst Raffelsberger
Don Carlo : Neil Shicoff
Rodrigo : Renato Bruson
Philippe II : Ruggero Raimondi
Le Grand Inquisiteur : Pavel
Daniluk
Un frère : Giuseppe
Scorsin
Elisabeth : Elena Prokina
Eboli : Stefania Kaluza
Tebaldo : Christiane Kohl
Choeurs
et Orchestre de l'Opéra
de Zürich
Zürich, Opernhaus, 20
novembre 2002
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BENVENUTO CELLINI
Opéra d'Hector BERLIOZ
Direction musicale : John Eliot Gardiner
Mise en scène : David Poutney
Décors et costumes : Richard
Hudson
Lumières : Jürgen Hoffmann
Chefs de choeur : Ernst Raffelsberger
et Frank Meiswinkel
Chorégraphie : Elaine Tyler-Hall
Cellini : Gregory Kunde
Teresa : Chiara Taigi
Ascanio : Lilana Nikiteanu
Balducci : Alfred Muff
Fieramosca : Thomas Mohr
Le Pape Clément VII : Nicolaï
Ghiaurov
Choeurs
et Orchestre de l'Opéra de
Zürich
Zürich, Opernhaus, 21
novembre 2002
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L'Opernhaus
de Zürich est de ces opéras qui proposent pratiquement un spectacle
différent chaque soir de la semaine : on peut trouver ce système
enviable et alléchant (bien qu'il n'y ait pas de place en-dessous
de 25 euros !). Des productions sont ainsi reprises chaque année,
voire dans la même saison (deux séries de représentations,
à plusieurs mois d'intervalle, avec une distribution parfois différente).
Les spectacles incluent des "chanteurs-maison" mais aussi des "stars" :
Bartoli, Gruberova, Raimondi, Nucci, Bruson, Shicoff, Harnoncourt, etc.,
sont des habitués de Zürich.
Cependant, on peut raisonnablement
se demander dans quelles conditions les reprises sont répétées
quand on constate l'impression de routine qui se dégage, par exemple,
du Don Carlo donné en ce mois de novembre.
Le metteur en scène,
ou un assistant, a-t-il réellement travaillé avec les chanteurs
de cette reprise ? On en vient à se poser la question lorsqu'on
sent les artistes littéralement errer sur scène... Dans ces
cas-là, il semble qu'il ne faille être attentif qu'aux voix...
(d'autant plus que la mise en scène est peu intéressante,
la direction d'acteurs inexistante, le décor unique moche, les costumes
franchement laids, je n'insiste pas).
Quant aux voix, l'Opéra
de Zürich n'a pas lésiné sur les noms pour ce qui est
de la distribution masculine : Neil Shicoff, Renato Bruson, Ruggero Raimondi,
des habitués de leur rôle respectif, mais plus tout jeunes...
Cela est particulièrement
vrai pour Ruggero Raimondi dont la voix est en lambeaux : médium
complètement détimbré, grave absent, seul l'aigu peut
encore faire illusion. Le chanteur a été ce soir là
moins détestable qu'il n'a pu l'être ces dernières
années (notes prises par en dessous, glissando systématique
entre chaque note faisant office de legato), il n'en reste pas moins
que ce chant-là n'est pas beau. Ajoutons que Raimondi n'a jamais
été une basse, seule une interprétation minimale arrive
à donner quelque intérêt au personnage de Philippe
II. C'est vraiment très peu. Que l'on songe à José
Van Dam, pas plus basse que Raimondi, mais qui convainc pourtant autrement
dans ce rôle...
Renato Bruson non plus n'est
pas tout jeune, la voix est aussi "usée" (le vibrato est
très important dans l'aigu), mais quel art ! quelle ligne de chant
! Nous avons là un authentique baryton-Verdi (dont la beauté
du timbre est toujours sensible) et un interprète intelligent et
touchant. C'est un bonheur d'entendre ce grand artiste.
Neil Shicoff a tenu à
montrer qu'il avait encore de la réserve, notamment des aigus très
solides et beaux (on lui reprochera, par contre, d'être particulièrement
"cabot" en les tenant à outrance). Mais ceci se fait au dépens
de la tenue du chant : médium très ouvert, voyelles changées
(les "o" deviennent souvent des "a"), prononciation approximative... Le
plus décevant concerne l'interprète. On a pourtant connu
Neil Shicoff très engagé et marquant dans de nombreux rôles
(dont ce Don Carlo) mais ici, il faut bien constater un laisser-aller qui
frise le grotesque (au dernier tableau, il est caricatural et fait pratiquement
n'importe quoi). Bref, Shicoff a donné l'impression ce soir-là
de venir toucher un cachet proportionnel à la durée de ses
contre-ut... Décevant.
Les dames sont complètement
dépassées par leur personnage. Elena Prokina, si elle affiche
un physique enchanteur et réussit de belles demi-teintes, n'a pas
l'ampleur nécessaire pour le rôle d'Elisabeth de Valois, sa
voix est en outre atteinte par un vibrato trop sensible, et elle est souvent
basse. Stefania Kaluza n'est nullement le mezzo requis pour Eboli, la voix
est trop légère et peine à surmonter l'orchestre,
elle n'a, par ailleurs, absolument pas l'étoffe du personnage.
Pavel Daniluk est un Inquisiteur
grotesque, aboyant, appuyant à outrance, écrasant les graves,
la voix ne résistera certainement pas longtemps à un tel
traitement.
Giuseppe Scorsin convainc
bien davantage dans le personnage du frère/Charles Quint, tout comme
Sen Guo dans la "voix du ciel".
Les choeurs sont également
séduisants. L'orchestre enchante par une belle sonorité d'ensemble,
des solistes solides (superbe violoncelle au début du IIIème
acte), sauf un hautbois et un cor anglais épouvantables.
Tous sont conduits par Adam
Fischer, sans partition (bravo), de manière efficace : bel élan
dramatique, bonne mise en valeur de l'écriture verdienne, MAIS une
coupure incompréhensible juste après le choeur initial du
tableau de l'Autodafé : il s'agit rien de moins que de la longue
intervention de l'orchestre de scène, qui dialogue ensuite avec
l'orchestre de fosse, de la reprise du choeur, de l'intervention du Hérault
précédant l'entrée de Philippe II et du choeur qui
lui répond, soit pratiquement cinq minutes de musique ! Et pourtant,
cet orchestre de scène était bien présent puisqu'on
l'entendait par ailleurs dans ce tableau ! Pourquoi alors une telle coupure,
qui de plus, fait s'enchaîner la tonalité de mi majeur
à celle de do majeur, ce qui est d'une part, peu orthodoxe,
mais surtout une souffrance pour l'oreille ?
Pour s'en tenir aux spectacles
que j'ai vus depuis le début de cette saison (des pages entières
supprimées dans Boris Godounov à l'Opéra Bastille,
dans Eugène Oniéguine à l'Opéra du Rhin),
il faut constater avec beaucoup d'amertume, voire de colère, que
le temps des coupures et des tripatouillages perpétrés par
les chefs d'orchestre est loin d'être révolu.
Heureusement, il est des
chefs qui se penchent avec attention sur les partitions qu'ils exécutent,
c'est le cas par exemple de John Eliot Gardiner qui dirigeait le lendemain
de ce Don Carlo, le très rare Benvenuto Cellini de
Berlioz.
Les problèmes posés
par les différentes versions de cet ouvrage sont importants : entre
ce qui a été répété pour la création
de 1838, joué à la première, supprimé et transformé
pour la reprise à Weimar (sous la direction de Liszt), édité,
puis projeté par la suite, c'est un véritable casse-tête,
et l'opéra peut prendre, selon les chefs, et ce de manière
tout à fait légitime, la forme d'un opéra comique,
avec dialogues parlés (tel que Colin Davis l'a enregistré),
ou d'un opéra "sérieux" avec mise à l'écart
de nombreux passages plus comiques.
Il semble que Gardiner ait
fait un mélange de tout cela, et qu'il ait rassemblé le maximum
de musique composée par Berlioz pour cet opéra. Nous avons
ainsi une action intégralement chantée, la présence
d'airs pas toujours donnés et enregistrés, ainsi que des
lignes vocales légèrement différentes de celles qu'on
a l'habitude d'entendre, notamment la fin de l'air de Fieramosca qui atteint
(sauf erreur) le sol dièse aigu, au lieu d'un "simple" fa dièse
(Gardiner n'explique pas ses choix dans le programme, ce qui est curieux
et fort dommage).
Sa direction est soucieuse
de ne pas en faire trop et d'être la plus précise possible.
Ce n'est pas une mince affaire tant l'écriture, favorisant le rythme
de manière incroyable (par exemple, superposition de mesures à
3/4 et 4/4 à la fin du premier acte, succession de mesures à
7/4, 6/4 et 5/4 dans l'air de Fieramosca !) est d'une complexité
et d'une difficulté extrêmes (et stupéfiante pour 1838
!). Songeons au fameux épisode du Carnaval Romain, véritable
scherzo
endiablé, chef d'oeuvre dans le chef-d'oeuvre mais dont la mise
en place musicale (et scénique !) est à faire pâlir
plus d'un chef d'orchestre.
Gardiner reste donc prudent
: il préfère la précision à l'élan.
Nous ne saurions lui donner tort, même si on aurait souhaité
ici ou là un peu plus d'intensité dramatique.
L'orchestre de l'opéra
est à nouveau superbe, ainsi que les choeurs dont la partie est
très chargée et exigeante. Je n'insisterai par contre pas
sur leur prononciation, ni sur celles des chanteurs : le texte est hélas
dans l'ensemble plutôt méconnaissable...
Trouver le ténor
qui saura traduire les diverses facettes du personnage de Cellini et rendre
les différences d'écriture vocale de la partition n'est pas
chose aisée. On peut se tourner vers des ténors "légers",
comme Alain Vanzo, Nicolaï Gedda, ou vers des voix plus lourdes et
imposantes, comme Chris Merritt. Avec Gregory Kunde, nous sommes davantage
du côté des ténors légers. Le timbre est plaisant,
le chant soigné, l'acteur à l'aise, que manque-t-il donc
pour qu'il soit totalement convaincant ? Des aigus plus "francs", plus
développés, un charisme surtout, que Merritt offrait largement,
mais parfois au dépens du style... Non, vraiment, il n'est pas facile
de trouver un Cellini idéal.
Chiara Taigi est une Teresa
agréable, pas inoubliable vocalement, mais d'une justesse et d'un
engagement scénique qui forcent l'admiration.
Liliana Nikiteanu campe
un très bel Ascanio, vocalement et scéniquement.
Ce n'est rien moins que
Nicolaï Ghiaurov qui incarne le Pape Clément VII, un luxe,
mais, avouons-le, un luxe inutile. J'ai profondément admiré
ce chanteur dans le répertoire italien mais, franchement, que gagne-t-il
avec ce rôle ? Que comprend-t-il de l'écriture berliozienne
? Si on ajoute que la voix n'est plus que l'ombre d'elle même, on
comprendra la déception, voire la tristesse que l'on ressent. M.
Ghiaurov, mieux vaut nous laisser sur les impressions de vos magnifiques
Philippe II, Fiesco ou Banco...
Alfred Muff en Balducci
et Thomas Mohr en Fieramosca sont parfaits, jamais ils ne sacrifient le
chant au jeu (et pourtant, ils ont fort à faire !), jamais ils ne
sont caricaturaux. Il faut dire qu'ils ont été parfaitement
guidés par le metteur en scène David Poutney.
Car ce soir-là, nous
avons bénéficié d'une véritable mise en scène,
une véritable direction d'acteurs, une vraie vision : ça
fait du bien ! Ce qui frappe en effet, d'emblée, c'est une invention
et une vivacité assez prodigieuses. Le rendez-vous secret de Cellini
et Teresa (au premier acte), tantôt gêné par Balducci
ou Fieramosca, est d'une mise en place confondante, mais aussi, d'une drôlerie
inénarrable, tout comme le Carnaval. Quand on dira que Poutney a
su, en outre, rendre toute l'ambiance sombre de l'atelier du sculpteur,
toute la dimension du désespoir de Cellini dans le deuxième
acte, mais aussi le côté ridicule du personnage du Pape, on
aura compris qu'il a parfaitement su mettre en valeur les différentes
facettes de cet ouvrage si délicat. Un grand coup de chapeau donc.
Vraiment une très belle production.
Pierre-Emmanuel Lephay
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