DON GIOVANNI PREND L'AIR
Depuis des décennies, la vie
musicale parisienne a pris l'habitude de s'arrêter durant l'été.
Pendant ce temps, Paris continue à
vivre : tout le monde n'est pas en congé (surtout pas durant 2 mois
!), les touristes débarquent par centaines de milliers, sans compter
ceux qui n'ont pas les moyens de partir pour les vacances et qui restent
chez eux. Autant dire qu'il existe un sacré public potentiel pour
un vrai festival d'opéra populaire et parisien !
Parallèlement, les budgets se
resserrent mais les petits théâtres continuent à faire
comme si de rien n'était, continuant à monter des oeuvres
identiques, chacun dans son coin et pour quelques représentations
seulement. Là aussi, quel potentiel pour un spectacle de qualité
partant en tournée !
Monter un Don Giovanni en plein
air et destiné à tourner dans les cours de château
était donc parfaitement légitime.
Pour renforcer le caractère
"vendeur", la production s'était même assurée la collaboration
de Gérard Corbiau, metteur en scène de cinéma,
mais ayant essentiellement travaillé sur l'opéra (Le Maître
de Musique, Farinelli et Le Roi Danse).
Preuve de l'attente du public, le
succès commercial est au rendez-vous, permettant aux organisateurs
d'ajouter des représentations supplémentaires.
Le résultat est pourtant décevant.
Les jardins et les cours ont rarement
une bonne acoustique, et plutôt que de sélectionner les lieux
ou de mettre en oeuvre des solutions "naturelles" pour renvoyer le son,
la production a choisi la sonorisation de l'orchestre et des chanteurs.
Difficile d'apprécier le spectacle
dans ces conditions, dès lors que le son semble provenir d'une source
unique alors que les interprètes s'agitent dans toutes les directions.
Si encore le matériel était de qualité, "alla Pavarotti"
: malheureusement, ce n'est pas le cas, les chanteurs n'ayant d'ailleurs
visiblement pas tous été également dotés (le
soir du 19, la voix de Don Giovanni semblait sortir d'un vieux mange-disque
!).
Enfin, l'oeuvre a été
sauvagement amputée (une demi-heure de musique sur les deux heures
cinquante habituels, soit vingt de coupe). Même si les raccords sont
très correctement faits pas Jérôme Pillement (qui assure
la direction musicale en alternance), on reste perplexe devant une telle
démarche : pourquoi ne pas choisir un ouvrage plus court ou tout
simplement commencer à l'heure (20 minutes de retard le 19 juillet
!) ?
Difficile d'émettre un avis
pertinent sur les chanteurs compte tenu de leur amplification à
géométrie variable.
Marc Claesen est un Don Giovanni sans
grand rayonnement, à la voix un peu trop engorgée dans le
bas médium.
Latchezar Lazarov est au même
niveau en Leporello, la sonorisation le faisant couvrir son maître.
Alex Grigorev est un bon Ottavio, à
la voix petite (quand son micro tombera en panne, il se révèlera
inaudible), mais bien chantant (le premier air est malheureusement
coupé).
Jean-Marie Lenaerts en Commandeur et
Shadi Torbey en Masetto assurent leurs rôles, correctement mais sans
génie particulier.
Dans des rôles autrement difficiles
à distribuer, Annemarie Kremer, Anne Renouprez et Céline
Scheen sont tout à fait correctes : on aimerait entendre ce qu'elles
sont capables de donner dans un vrai théâtre.
La direction d' Eric Lederhandler est
plutôt enlevée. Il réussit l'exploit d'éviter
les décalages avec les chanteurs alors que l'orchestre joue sous
une tente, loin de la scène.
Côté mise en scène,
on est loin du flamboyant Farinelli : décor unique (un plancher
en forme de catafalque : c'est sobre, très sobre) posé devant
la façade du Sénat. Les costumes sont un peu plus "fun",
mais sentent l'économie. Pour le reste, c'est d'un classicisme à
pleurer.
Le spectacle est donné sans
entracte : malgré cela, quelques centaines de spectateurs déçus
réussiront à s'échapper au changement d'acte (mes
voisins regretteront à voix haute de ne pouvoir en faire autant,
leurs places étant trop éloignées des circulationsÖ).
Rendez-vous manqué, mais à
charge de revanche.
Placido Carrerotti