Un carré coloré posé
au milieu de la scène. Disséminés un peu partout,
des pupitres d'écoliers multicolores, des tréteaux, des barres
de bois. En dehors du carré, mais toujours sur la scène,
le continuo (clavecin et violoncelle) et des bancs sur lesquels
les chanteurs viennent parfois s'asseoir quand ils ne participent pas à
l'action. Voici tout le dispositif scénique imaginé par Peter
Brook pour ce Don Giovanni.
Pas de reconstitution historique donc,
et place à l'imagination : les tréteaux se muent en fenêtre,
en barrière, en portillon - qui n'a jamais joué à
ça, enfant ?- les pupitres et les barres de bois se transforment
en à peu près tout ce qu'il est possible de concevoir. Le
fantôme de Don Giovanni, une fois descendu aux enfers, reviendra
sur scène accompagné du commandeur et se mêlera aux
vivants, approuvant la décision de Donna Elvira de rentrer au couvent.
Pour parvenir à rendre ce dispositif
crédible, à accrocher le spectateur, à le rendre haletant
comme s'il découvrait Don Giovanni, il faut un titulaire
du rôle titre d'envergure. C'est le cas de Peter Mattei, irradiant,
incandescent, foyer d'énergie brûlant tous ceux qui l'approchent.
Au point qu'il est permis de penser que cette mise en scène ne fonctionnerait
pas avec un autre interprète.
Condamné d'entrée de
jeu, pervers, malsain, le Don Giovanni de Peter Mattei fascine d'autant
plus que l'interprète possède un physique de rêve,
une force herculéenne (il jette une table à bras ) et une
voix magnifique. Face à lui, les autres protagonistes sont exactement
ce qu'ils se doivent d'être face au libertin : des ombres attirées
par la vitalité intense qui en émane.
Mal mise en valeur par une robe vraiment
peu seyante, Mireille Delunsch réalise une entrée d'Elvira
un peu décevante, mais elle prend peu à peu la mesure de
son personnage, et offre un "Mi tradi" de grande classe.
Le très british Mark
Padmore apporte au si bien élevé Don Ottavio l'indispensable
touche de correction et de distinction - physique et vocale - qui sied
au rôle.
Hélas, le reste de la distribution
oscille entre l'anodin et le décevant. On le remarque à peine,
aimanté que l'on est par Peter Mattei, mais le fait est là
: Lisa Larsson, Nathan Berg et Gudjon Oskarsson n'ont ni voix, ni personnalité
marquante. L'Anna d'Alexandra Deshorties est quant à elle une véritable
déception : le chant est piaillard, l'interprétation quelconque.
Reste le Leporello uniformément
comique de Gilles Cachemaille : il est tout à fait crédible
dans cette optique unidimensionnelle, vocalement à l'aise, mais
peu sûr rythmiquement (se tromper au début de l'air du catalogue
quand on a interprété Leporello sur toutes les scènes
internationales ?)
C'est la première fois que Daniel
Harding est épinglé dans les colonnes de Forumopéra.
Fatigue pour cette dernière prestation d'un festival bien chargé
et pour lequel il a assumé deux productions ? L'ouverture est trop
rapide, trop brutale, elle perd son angoisse et son mystère, et
on entend, de-ci de-là, tout au long de la soirée, des décalages
auxquels nous n'étions pas habitués de sa part.
Catherine Scholler