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PARIS
15/06/2006
Zerlina, Don Giovanni, Masetto
© Alvaro Yañez
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
Don Giovanni
Dramma giocoso en deux actes
Livret de Lorenzo da Ponte
Production du Théâtre des Champs Elysées
Mise en scène, André Engel
Dramaturgie, Dominique Muller
Décors, Nicky Rieti
Costumes,Chantal de La Coste Messelière
Lumières, André Diot
Chorégraphie, Françoise Gréa
Don Giovanni, Lucio Gallo
Il Commendatore, Giovanni Batista Parodi
Donna Anna, Patrizia Ciofi
Don Ottavio, Francesco Meli
Donna Elvira, Alexandrina Pendatchanska
Leporello, Lorenzo Regazzo
Masetto, Alessandro Luongo
Zerlina, Anna Bonitatibus
Concerto Köln
Choeur du Théâtre des Champs Elysées
Direction musicale, Evelino Pido
Paris, TCE, ce 15 juin 2006
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Don Giovanni à Hawaï, Anna au 7e ciel
Faut-il, pour rendre compte du spectacle, rouvrir le débat sur
les manipulations des données d’une œuvre par les
metteurs en scène ? Bornons-nous à dire
qu’André Engel ne conçoit pas Don Giovanni
comme un violeur. Il en découle que la scène initiale,
où Donna Anna, d’après le livret et la musique,
lutte dans la pénombre avec son agresseur pour
l’empêcher de s’enfuir, devient le transport
d’une femme qui veut empêcher le départ du
partenaire qui l’a comblée.
Quant à la scène finale, où les survivants
à la disparition du dévoyé qui menaçait les
structures de la société mesurent le vide qu’il
laisse et tentent de se rassurer en chantant, elle est vidée de
son sens par la réapparition de Don Giovanni bondissant comme un
diable hors de l’armoire qui avait été pour lui la
porte de l’enfer.
Outre ces « libertés », le metteur en
scène transpose l’époque et le lieu. Le
décorateur imagine une « villa » de nobles
proportions mais décrépite, à l’image des
valeurs aristocratiques auxquelles le Commandeur croit peut-être
encore et que Don Giovanni utilise comme un leurre en les bafouant
à chaque instant. Que le Commandeur y fasse irruption, soit, en
principe il est chez lui, mais pourquoi Donna Elvira ?
D’autant que le décor du
« casinetto » où Don Giovanni donne sa
fête et celui du dernier repas sont les mêmes à
très peu près. S’agit-il de dire qu’au fond
le vieux et le jeune se ressemblent ? Et se valent ?
Don Ottavio, Donna Elvira, Leporello, Don Giovanni
© Alvaro Yañez
Foin de cadre agreste, de jardins, c’est sur une plage
dominée par un portique en béton, sous lequel
s’ouvre un lieu indéfini qui tient du sous-sol
d’immeuble, que se déroulent la rencontre avec les
villageois, la sérénade à la camériste,
l’arrestation de Leporello…On s’attend à voir
surgir Pasolini.
L’ensemble de la réalisation visuelle et scénique
va dans le même sens, avec un belle cohérence ; les
costumes fin des années 50, le twist que dansent les
péquenots, la chemise hawaïenne de Don Giovanni, tout est
en place et tout se tient : la serviette abandonnée sur la
plage est du rouge qu’il faut pour provoquer chez Donna Anna la
vision du sang paternel lorsqu’elle vient de reconnaître
Don Giovanni. Bref, de la recherche, qu’on eût aimé
voir appliquer à l’œuvre en soi.
Si néanmoins dramatiquement l’ensemble fonctionne,
c’est grâce au travail accompli avec les chanteurs, qui
réussissent presque tous à incarner leur personnage de
façon saisissante. La difficulté pour nous est
d’apprécier la composition de Lucio Gallo : Don
Giovanni, s’il est un ruffian, devrait avoir les façons
d’aristocrate que son éducation lui a apprises, et dont il
joue au gré des situations. De l’interprète ou du
directeur d’acteurs, à qui imputer le
déficit ? Aux deux ? Vocalement,
l’autorité n’est pas sans défaut, au
début, et la tenue n’est pas exemplaire.
Tous les autres sont bons, c'est-à-dire justes, et quand le
ramage s’unit à l’abattage scénique, cela
devient excellent. Le public a particulièrement
fêté Patrizia Ciofi, Donna Anna engagée et
sensible, et Anna Bonitatibus, Zerlina charmante et émouvante,
mais la première gagnerait probablement à se reposer. Sa
maîtrise technique est connue, ses dons d’interprète
aussi, mais le voile qui s’étend rapidement sur le timbre
prive la voix de son éclat. L’autre dame, Alexandrina
Pendatchanska, ne démérite pas sur le plan
interprétatif, soigné à souhait, mais par moments
la voix semble bien petite et les graves à peine audibles.
Convaincant en Commandeur malgré sa jeunesse par la vertu
d’un maquillage efficace, Giovanni Battista Parodi,
naguère apprécié à Gênes dans La Favorite,
et bien en place le Masetto qui ne s’en laisse pas conter
d’Alessandro Luongo. Légère déception en
revanche pour l’Ottavio de Francesco Meli, entendu avec plaisir
à Pesaro mais apparemment peu familier du chant mozartien
même si le personnage se tient.
La plus grande satisfaction, c’est le Leporello de Lorenzo
Regazzo qui nous la donne. A sa troisième incarnation en trois
ans, dans des mises en scène différentes, il se plie avec
souplesse aux consignes et, comble de l’art, semble chanter comme
on respire. Peut-être est-ce seulement cette pratique des
rôles qui manque à certains ?
Honorable participation du chœur du TCE. Le choc ressenti
d’autres fois à découvrir le Mozart du Concerto
Köln ne s’est pas reproduit. Cela tient-il aux
musiciens ? Réduisant le continuo à une participation étique Evelino Pido dirige probablement, comme cela lui arrive parfois, avec des tempi
différents de ceux des répétitions et cela
crée quelques flottements entre la scène et la fosse. Le
rythme est privilégié au détriment de la couleur
et cela fait regretter que l’ensemble allemand semble
sous-employé.
Mais le bonheur d’entendre malgré tout le chef
d’œuvre l’emporte probablement sur toute autre
considération et c’est un succès indiscutable qui
salue le rideau final. Un enregistrement devrait être
diffusé sur France-Musique.
Maurice Salles
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