Saluons
l'heureuse initiative de l'Opéra Royal de Wallonie qui peut s'enorgueillir
avec cette nouvelle production de La Donna del Lago d'avoir assuré
la création de l'ouvrage en Belgique.
Point ici de transposition hasardeuse,
c'est bien dans les brumes d'Ecosse, au Moyen-âge, que se déroule
l'action : les soldats arborent fièrement kilts et tartans, en particulier
les partisans de Malcolm qui semblent tout droit sortis du film Braveheart,
les bardes sont curieusement enrubannés de rouge et parmi les solistes,
vêtus de couleurs sombres, se détachent les robes immaculées
d'Elena.
Sans être d'une folle originalité,
les décors de Dominique Pichou ont le mérite d'être
efficaces : un immense escalier bleu emplit l'espace scénique, permettant
de distinguer précisément les personnages parmi les nombreux
choristes, en toile de fond un ciel nuageux évoque les horizons
nordiques. Des éléments surgissant des cintres ou des côtés
: arbres stylisés, rochers, épées... qui complètent
astucieusement l'ensemble, nimbé de teintes aquatiques.
Hélas, Claire Servais n'a pas
su tirer parti de cet ingénieux dispositif : sa mise en scène,
par trop statique, manque singulièrement d'imagination : les chanteurs,
qui semblent livrés à eux-mêmes, adoptent des poses
stéréotypées, d'un autre temps. En outre, au second
acte, les choses se gâtent : la vision "gore" d'un champ de bataille
où gisent des corps décapités et un cheval éventré
prête surtout à sourire !
Changement radical à vue pour
le rondo final : la scène représente une salle de
concert au 19ème siècle, les courtisans, au milieu desquels
trône Uberto, sont les spectateurs face auxquels Elena chante son
air dans la lumière d'un projecteur. Est-ce pour souligner qu'il
s'agit d'un morceau de bravoure attendu? Le résultat crée
une rupture dramatique qui laisse perplexe et que seule une interprétation
époustouflante de l'aria eût pu justifier.
Sur le papier, la distribution, on
ne peut plus alléchante, réunissait quelques uns des spécialistes
de ce répertoire : le plus grand ténor rossinien de sa génération,
une mezzo qui a triomphé en Malcolm à Montpellier et Salzbourg
l'été dernier, un jeune lauréat du concours Opéralia
à la carrière prometteuse, et un chef pour qui la musique
du Cygne de Pesaro n'a pas de secrets.
Le résultat pourtant, n'est
pas tout à fait à la hauteur de nos attentes.
Oublions l'Albina fade, à l'aigu
aigrelet d'Emilienne Coquaz, et soulignons les qualités des membres
de la troupe de l'Opéra Royal de Wallonie, notamment l'excellent
Douglas de Léonard Graus, autoritaire et bien chantant.
Daniella Barcellona souffrante ayant
différé ses débuts attendus sur la scène liégeoise,
c'est à la mezzo polonaise Agata Bienkowska qu'échoit la
lourde tâche de la remplacer . N'accablons pas cette jeune cantatrice
qui fait ses premiers pas ici dans des conditions difficiles et pour qui
Malcolm est de surcroît une prise de rôle, mais il faut bien
reconnaître que la justesse est approximative - elle a par moment
tendance à chanter trop haut - et si l'aigu est clair et solide,
le bas médium et le grave sont affligés de désagréables
sonorités dans les joues. En outre, son jeu se limite à quelques
poses convenues, faute d'une direction d'acteur inventive.
Bien connue des mélomanes depuis
sa Sémiramis à Pesaro en 1992 qui a fait l'objet d'un enregistrement
remarqué, Iano Tamar arbore un timbre sombre qui convient mieux
à la reine de Babylone qu'à la douce Elena, mais sa prestation
convainc tant sur le plan scénique que vocal, du moins jusqu'au
rondo final qui n'est pas le feu d'artifice attendu et suggéré
par la mise en scène : tempo ralenti, vocalises prudentes, tout
est chanté mezzo forte comme si elle craignait d'aborder
cette page brillante à pleine voix.
Tout oppose les deux prétendants
malheureux de la belle : si l'Almaviva de Bruce Fowler à Bastille
avait déçu, son Rodrigo est plus calamiteux encore ! La vocalisation
est approximative et l'aigu conclusif de son air d'entrée lui reste
dans la gorge. Fatigue passagère ? On ose l'espérer s'agissant
d'un artiste dont le répertoire comporte des emplois belliniens
aussi tendus qu'Ernesto du Pirate ou Arturo des Puritains
qu'il compte aborder prochainement. Reste à son actif un timbre
séduisant qui serait davantage mis en valeur dans des rôles
moins périlleux que ceux qu'il chante, à l'évidence
trop prématurément.
La beauté du timbre, en revanche,
n'a jamais été la qualité première de Rockwell
Blake, et force est de constater que le temps a fait son oeuvre sur une
voix qui n'a plus tout à fait l'insolence d'autrefois. Néanmoins,
l'aigu, même négocié avec précaution, est toujours
là, et la technique reste magistrale : son air du deux "O fiamma
soave" demeure un modèle d'interprétation, accueilli
par l'immense ovation d'un public littéralement sous le charme.
Ces acclamations d'où émergeait le cri d'enthousiasme d'un
jeune fan énamouré ont-elles dopé le ténorissimo
? A partir du duo avec Elena et jusqu'à la fin de l'ouvrage, nous
avons presque retrouvé le grand "Rocky" d'autrefois, salué
au rideau final par une salle debout.
On ne dira jamais assez l'importance
de la contribution d'Alberto Zedda à ce répertoire qu'il
affectionne particulièrement. Cependant, il faut reconnaître
que sa direction a quelque peu déçu : si l'on retrouve ici
la précision et la dynamique auxquelles le maestro nous a
habitués, on peut regretter qu'il ait surtout souligné l'aspect
martial -pour ne pas dire tonitruant - de la partition au détriment
des passages poétiques qui manquent cruellement de délicatesse
et d'abandon. Quelques fausses notes dans les pupitres des vents, en particulier
les cors, très sollicités dans cet ouvrage, s'estomperont
sans doute au fil des représentations.
Les choeurs, enfin, ont vaillamment
assuré leur partie si essentielle, les hommes en particulier, avec
une belle homogénéité vocale.
Une soirée somme toute mitigée
dont le grand triomphateur est encore et toujours le divin Rockwell.
Christian Peter
(Dominique Vincent)
Autres représentations
: les 21, 23, 25, 27 février et le 1er mars à Liège.
Le 5 mars à Bruxelles à
la Société philharmonique en version de concert.
Les 16 et 18 mars 2003 à l'Opéra
d'Avignon avec Ewa Podless en Malcolm.