Les dernières
tentatives de la Monnaie pour rendre hommage à l'opéra italien
du XIXe siècle furent plutôt laborieuses; on se souvient d'un
Turco in Italia massacré par Philippe Jordan et une équipe
de chanteurs techniquement désastreux. On se souvient aussi d'une
Cenerentola d'un niveau plus acceptable mais bâclée dans l'ensemble.
Avec ce Don Pasquale La Monnaie prouve qu'elle n'a pas pour ce répertoire
que des sentiments sadiques.
Reprise d'un spectacle extra-muros
qui venait clôturer une très belle saison 1997-98 parallèlement
au Turn of the Screw de Pappano, ce Don Pasquale aura été
avant tout redistribué de pied en cape: Alessandro de Marchi à
la place de Philippe Jordan, Giovanni Furlanetto pour Alberto Rinaldi,
Roman Trekel pour Garry Magee, Diana Damrau pour Dorothea Röschmann,
la Beethoven academy pour l'orchestre de la Monnaie et le choeur de l'opéra
studio pour le choeur de la maison. Restent le notaire de Bernard Villiers
et l'Ernesto de Juan Jose Lopera qui cèdera sa place pour les dernières
représentations au jeune Joseph Calleja.
Pétillant, vif, drôle,
exubérant, cocasse, excentrique... ce sont à peu près
les qualificatifs que nous inspire ce spectacle; François de Carpentries
démontre dans chacune de ses mises en scène qu'il est possible
d'occuper la scène intelligemment sans pour autant charger la comédie
de blagues maladroites. Parfois le trait est poussé un peu loin,
comme ce spectre qui rôde autour de Don Pasquale pour lui rappeler
à quel point sa fin est proche, mais c'est là un détail.
Flanqué de chanteurs qui sont également de très bons
acteurs, de Carpentries balance Don Pasquale dans un imbroglio de couleurs
excentriques régies par un choeur de décorateurs hystériques.
Avant de parler du chant et de la direction
d'orchestre, notons le travail remarquable de Peter Tomek et de ses jeunes
choristes. Investis d'une mission relativement lourde, ceux-ci nous offrent
une prestation en tous points remarquable et avec quel enthousiasme !
Giovanni Furlanetto est un Don Pasquale
trentenaire; il est issu de cette génération de jeunes basses
bouffes italiennes qui crèvent les planches (voir notre dossier
consacré à Alfonso Antoniozzi.) Belle assurance sur scène,
diction intelligente, virtuosité syllabique appréciable...
bref, il s'agit là d'un Don Pasquale de très bon niveau.
Diana Damrau est absolument incroyable; d'ailleurs comme dit Joseph Calleja
"c'est également une Norina à la ville". Sa manière
de passer du registre grave (poitriné) à l'extrême
aigu (contre-mi claironnant dans le finale du II) est très impressionnante,
son aisance sur scène et son dynamisme bondissant font presque oublier
la belle prestation de Dorothea Röschamnn. Roman Trekel, qui est attaché
à la troupe de l'opéra de Berlin est un Malatesta sombre,
névrosé, à la limite du sinistre, on lui reprochera
son manque d'agilité (cruel dans le finale du I et dans son duo
avec Don Pasquale dans le II) mais la projection est très belle
et le personnage bien dessiné.
Deux ténors chantaient en alternance:
Juan José Lopera, sorte d'hybride de Luigi Alva et de Nicola Monti
qui sauve sa prestation par un engagement scénique total et Joseph
Calleja qu'on surnomme déjà le jeune Pavarotti qui expose
son miracle de voix avec une telle insolence qu'une ou deux jeunes filles
se seraient volontiers pendues à son cou. Un chanteur à suivre.
Alessandro de Marchi nous offre une
lecture archi complète de la partition, la cabalette du ténor
qui généralement est coupée nous est livrée
dans son intégralité (da capi compris) mais ni Lopera ni
Calleja ne se risquent au contre-re final. Dommage. La Beethoven academy
se plie relativement bien aux tempi brillants du chef et assure le rythme
avec une belle vaillance.
Un spectacle réjouissant !