Jubilatoire Don Pasquale
Après son assez désastreuse
mise en scène de La Capriciosa Corretta de Martin Y Soler
de l'an dernier, le retour de Rita de Letteriis sur la scène
lausannoise laissait craindre le pire pour cette production de Don Pasquale.
Des craintes alimentées par la metteur en scène elle-même
qui annonçait vouloir transposer l'action dans une époque
récente. La surprise fut aussi grande qu'agréable. Simplifiant
les décors à l'essentiel, elle aère l'espace scénique
pour favoriser à l'envi les inévitables gesticulations propres
à l'opéra bouffe. Des canapés sans dossier, pas de
table, une statue de Giacometti et un appartement bourgeois des années
cinquante sont propices au jeu des acteurs. Si on peut émettre une
certaine réserve quant à la capacité de Rita de Letteriis
de coordonner les masses (les choeurs font un peu fouillis et n'évitent
pas, dans le même temps, la convention), elle excelle dans sa direction
d'acteurs, aidée, certes, par le formidable acteur qui habite le
rôle-titre.
Parfaitement maquillé (Suzane
Pisteur) en vieux barbon magnifique et pathétique, le jeune
Lorenzo Regazzo (Don Pasquale) domine insolemment la distribution.
Pétulant, démonté, bondissant, drôle, il s'empare
de (toute) la scène pour le ravissement de chacun. Non sans rappeler
la faconde scénique et vocale d'un Gabriel Bacquier, la jeune basse
italienne, au geste aussi large que la voix, brille dans cet emploi de
basse-bouffe. Avec sa bedaine de "retour d'âge", à l'étroit
dans son costume vieux rose, il incarne un jubilatoire Don Pasquale qui
respire une antipathique bourgeoisie. Dès lors, Malatesta, Norina
et Ernesto n'auront de cesse de s'emparer de la fortune du vieux beau !
Lorenzo Regazzo, Antonino Siragusa
Toutefois, si le talent de Lorenzo
Regazzo a tendance à éclipser celui des autres protagonistes,
ceux-ci n'en déméritent pas moins. Ainsi, Josep-Miquel
Ramon (Malatesta) est un délicieux entremetteur, quand bien
même il tend à chanter son texte en force, conférant
à sa voix une sonorité souvent nasillarde. Antonino Siragusa
(Ernesto) est confronté aux mêmes problèmes dès
lors qu'il contraint sa voix. Dommage, parce que ce ténor "di grazia"
possède le phrasé idéal ainsi qu'il le démontre
dans la sérénade du dernier acte "Com'è gentil" du
dernier acte.
Lorenzo Regazzo, Raffaela Milanesi
Abonnée principalement aux rôles
mozartiens et baroques, Raffaella Milanesi (Norina) faisait son
entrée dans le monde du bel canto. La voix est belle, même
si elle est encore inégalement projetée en puissance. Le
registre grave souffre de ce manque, quant aux aigus, ils sont souvent
escamotés (l'angoisse de la première ?). Des défauts
de jeunesse qui empêchent la soprano romaine de se lover entièrement
dans la théâtralité du rôle, celui de la poison
du ménage. Obnubilée par le souci de bien chanter, elle en
oublie la moquerie du personnage.
Reste que la production lausannoise
termine la saison sur un moment de pur bonheur qui n'aurait certainement
pas été aussi chaleureusement applaudi sans la direction,
éminemment musicale, de Nicolas Chalvin à la tête
d'un Orchestre de Chambre de Lausanne très en verve.
Jacques SCHMITT