A sa création la saison dernière,
le Don Quichotte de Gilbert Deflo n'avait pas fait l'unanimité.
Ses références au cirque en avaient agacé plus d'un,
considérant qu'elles privaient l'oeuvre de sa poésie. Sergio
Segalini, très nuancé comme à son habitude, avait
même parlé de "tape-à-l'oeil vulgaire"... La reprise
à laquelle nous venons d'assister me confirme dans une opinion contraire.
Il faut tout d'abord reconnaître que le travail de Deflo reste très
cohérent au fil des 5 actes, aidé en cela par la permanence
de ce décor circulaire et par une direction d'acteurs très
précise. C'est un numéro de cirque que nous offre le chevalier,
c'est son dernier tour de piste et l'image au 5e acte de Rossinante et
Grison relégués au magasin d'accessoires ne manque pas d'émotion.
Le spectacle est terminé, c'était notre dernière représentation...
Les bonnes idées abondent (la scène des moulins traitée
avec toute la fantaisie à laquelle nous invite la musique) ainsi
que les belles images (les danseurs de flamenco apparaissant par transparence
au début du 4e acte). Certains auraient préféré
une vision plus sérieuse de l'oeuvre, mais il ne faut pas oublier
toute la fantaisie que Massenet a apportée à la partition
de cette "Comédie héroïque" dont l'humour est une composante
primordiale. Du reste, la mise en scène de Gilbert Deflo laisse
sa part à l'émotion dans la scène des brigands où
Don Quichotte parait soudain illuminé, et dans celle de la mort
que le dépouillement scénique rend encore plus poignante.
A la baguette, Stéphane Denève
nous offre une lecture nerveuse et colorée, n'hésitant pas
à adopter des tempos assez vifs mais prenant plaisir à mettre
en valeur le moindre détail d'orchestration. Il croit visiblement
à cette partition sans chercher à en masquer certaines facilités.
Il nous convainc davantage que le trop sage James Conlon de la saison passée.
Mentionnons encore la bonne prestation des choeurs, le remarquable violoncelliste
solo, justement salué par une ovation du public au début
du 5e acte, et les excellents danseurs de la Compagnie Antonio Marquez,
qui illuminent le spectacle. Un bon quatuor de prétendants bénéficie
du soprano très frais de Jael Azzaretti, promise sans doute à
un bel avenir. Béatrice Uria-Monzon est la plus séduisante
des Dulcinée : sa grande beauté et son timbre riche conviennent
merveilleusement à ce personnage et, si la diction est comme souvent
perfectible, elle parvient à nous éblouir puis à nous
émouvoir dans son aveu du 4e acte. José Van Dam nous impressionne
toujours par sa parfaite musicalité, un timbre assez bien préservé
et une parfaite identification au personnage. Son Don Quichotte sublime
et dérisoire, superbement intériorisé, constitue l'une
des incarnations scéniques les plus abouties à laquelle j'ai
assisté. Même si ses meilleures années sont désormais
derrière lui, il nous offre une grande leçon de théâtre
et de chant. Merci Monsieur Van Dam ! Alain Vernhes a (enfin) obtenu un
triomphe sur la première scène française, et c'est
justice. Tout y est : une diction qui constitue un modèle, la puissance
nécessaire, un timbre riche, une grande verve scénique pour
camper un Sancho proche de l'idéal. Il est tant que l'on reconnaisse
à sa juste valeur cet excellent chanteur.
En conclusion : il y a des jours où
l'on se laisserait convaincre que le bonheur existe !