C O N C E R T S 
 
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PARIS
17/10/04

© Marie-Noelle Robert
La grande duchesse de Gerolstein

Opéra-bouffe en trois actes et quatre tableaux (1867)

Musique de Jacques OFFENBACH (1819-1880)
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy

Direction : Marc Minkowski
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Décors : Chantal Thomas
Chorégraphie : Laura Scozzi
Adaptation des dialogues et dramaturgie : Agathe Mélinand
Lumières : Joël Adam

La Grande Duchesse : Felicity Lott 
Wanda : Sandrine Piau 
Fritz : Yann Beuron 
Le Baron Puck : Franck Leguérinel 
Le Prince Paul : Eric Huchet 
Le Général Boum : François Le Roux
Le Baron Grog : Boris Grappe
Népomuc : Alain Gabriel
Iza : Maryline Fallot
Olga : Blandine Staskiewiecz
Amélie : Aurelia Legay 
Charlotte : Jennifer Tanni 
Le Notaire : Christophe Grapperon

Théâtre du Châtelet, Paris
17 octobre 2004, 16h



L'exactitude est la politesse des rois mais pas des grandes duchesses... Ce dimanche, nous avons attendu plus d'une heure avant qu'elle veuille bien paraître. Ce n'était pourtant pas la souveraine du petit état de Gerolstein qui jouait les coquettes mais la fée Electricité. Vers 15h45, la salle plongeait subitement dans l'obscurité, panne de secteur que seul un technicien EDF était habilité à débrouiller. Aux alentours de 16h30, la situation devenait alarmante. L'employé d'astreinte n'arrivait pas, la batterie donnait des signes de faiblesse, il était demandé aux spectateurs de quitter leur place pour rejoindre le foyer. Une demi-heure après, alors qu'on se préparait tristement à regagner ses pénates, la lumière revenait. Ouf ! La matinée était sauvée. Reste à a savoir si ce petit contretemps a son importance. Peut-on le tenir responsable de la déception que l'on éprouve à la sortie du théâtre ? Nous a-t-il contrarié au point de nous rendre moins réceptif aux réjouissances concoctées par le tandem Pelly Minkowski ? A-t-il par la même occasion perturbé les artistes, les empêchant de donner ensuite le meilleur d'eux-mêmes. Peut-être... Mais cela n'explique pas tout.

Reprenons à l'ouverture, à ces premières mesures derrière lesquelles on reconnaît immédiatement la patte des Musiciens du Louvre et la baguette de leur chef, à cette décharge électrique, si caractéristique de leur manière, qui annonce parfaitement l'état martial du Grand Duché imaginaire, puis à la courbe élégamment galbée du fameux dites-lui. Pas de doute, le bonheur est dans la fosse. Un peu moins sur scène lorsque le thème pimpant de La légende du verre dévoile une troupe de soldats étendus sur le sol et dans les tranchées, comme abattus par une rafale de mitraillette. Le contraste avec la musique est dérangeant. Il s'agira de la seule allusion à la guerre de 1870 dont l'oeuvre, créée trois ans auparavant, peut sembler, dans sa gaieté parodique, le sinistre augure. Mais en fait, nos bidasses sont tout simplement ivres morts. Le rire et la dérision reprennent les rênes. Ils ne les lâcheront plus, envers et contre le livret.
L'histoire de la création en a démontré les faiblesses. Nous y reviendrons.

Déjà, ce n'est pas l'épaisseur de l'action qui fait la valeur du premier acte. Mise à part la promotion subite du 2ème classe Fritz, il ne s'y passe rien. Sa principale vocation est de nous présenter, un par un, les personnages principaux et, par la même occasion, de nous donner à les apprécier. Comme le veut l'adage, la première impression sera, parfois malheureusement, la bonne.

Fritz d'abord. Yann Beuron convainc par la diction, la franchise du ton et la clarté du timbre. Son fusilier ne manque certainement pas de charme. On regrette juste un défaut de brillance, notamment dans les passages plus aigus qui, pour faire leur effet, devraient être négociés en fausset. Les tarata-ta-ta-ta de la chanson du régiment en sont le meilleur exemple.

Face à lui, la Wanda de Sandrine Piau affiche une silhouette à la Deschiens, cou tendu, épaules en avant, couettes pointées, air buté. Le personnage est campé mais hélas, on ne l'entend pas. La voix, trop petite, ne passe pas la rampe. Les ensembles surtout en pâtissent, notamment le finale de ce premier acte dont la veine parodique, privée du registre le plus aigu, ne parvient pas à totalement s'exprimer.

Fort de son désopilant Calchas dans La belle Hélène, François Le Roux coiffe le panache du Général Boum. Le rôle s'inscrirait mieux dans les cordes d'Agamemnon, le roi barbu qui s'avance, plutôt baryton-basse que simple baryton. Ce que son officier y perd en autorité est heureusement largement compensé par la noblesse du ton, la justesse du phrasé et bien sûr, l'humour.

A ses côtés, Franck Leguérinel, vêtu d'une longue tunique, semble échappé d'une production de Turandot. Son baron Grog, drôle à souhait, est vocalement irréprochable.
Le Prince Paul de Eric Huchet complète avec brio le trio des conspirateurs. Il nous gratifie en prime d'une gazette de Hollande de première facture, raffinée et sentimentale, sans mièvrerie.

Enfin, noblesse oblige, on s'incline devant la Grande Duchesse de Felicity Lott. Le personnage est superbe, d'un chic incontestable. Il faut, à la jumelle quand on est placé un peu loin, apprécier la richesse de l'expression : le sourcil relevé, l'oeil humide, la moue dépitée, autant de mimiques qui accompagnent sans vulgarité chaque réplique, chaque mot, prononcés sans une seule trace d'accent britannique. Malheureusement, le chant ne suit pas, pris en défaut par la tessiture. Le medium et le grave sont en péril, seul l'aigu surnage, impérial. Il n'est hélas pas l'apanage du personnage. L'érotisme distingué du Ah que j'aime les militaires, le Sabre de mon père, vif et précis, ne parviennent pas à racheter une modeste chanson du régiment ou une petite crise de nerf, morceau de bravoure, véritable pied de nez à Meyerbeer, qui ne supporte pas d'être ainsi étriquée.

L'acte suivant s'ouvre sur un palais alambiqué, labyrinthe comique que surplombe le trône, perché au sommet d'un haut escalier en colimaçon. Ce décor se prête aux mouvements absurdes, aux courses burlesques des comédiens qui pour passer d'un point à un autre sont obligés d'emprunter des chemins biscornus. Laurent Pelly renoue brillamment avec la manière chorégraphique qui caractérisait déjà son Gianni Schicchi de la saison précédente. Les personnages dansent plus qu'ils ne se déplacent. Le metteur en scène doit toutefois se débattre avec la trame lourdement ficelée de la version d'origine. Offenbach et ses librettistes, face à la réaction mitigée du public le soir de la première, révisèrent leur copie et raccourcirent allègrement l'oeuvre. Les deuxième et troisième actes en firent surtout les frais. Le carillon de la grand-mère et la conspiration des rémouleurs disparurent corps et âme tandis que le trio bouffe Logeons-le donc ce mirliflor était promu quatuor avec l'arrivée de la Grande Duchesse. Le retour à l'édition originelle que propose le Châtelet nous confirme la légitimité dramatique de ces coupures. D'autant plus que la musique du finale ainsi reconstitué nous laisse sur notre faim. Rossini, dans Le Barbier de Séville ou L'Italienne à Alger, pour ne citer que les plus connus, nous a habitués sur un rythme analogue à une autre science. A noter tout de même auparavant la grande classe du dites-lui. Felicity Lott nous offre à ce moment le meilleur d'elle-même.

Un ballet assure la transition avec le troisième acte. La chorégraphie de Laura Scozzi remporte un franc succès. Les rires fusent enfin sans retenue devant le spectacle de ces hommes dansant avec d'autres hommes travestis en femme. Ils éclateront plus fort encore, un peu plus tard, lorsqu'un petit soldat, bouquet rouge à la main, sera drôlement malmené par un grand noir vêtu d'une longue robe et perché sur des talons.

Dans un décor inchangé, le premier tableau est introduit par Mon charmant petit naturel, un air dont, pour le coup, on ne comprend pas la suppression habituelle. Le registre de Felicity Lott ne lui donne pas sa pleine mesure mais, confié à une autre voix, il a tout d'un "tube". La scène nuptiale met en valeur le choeur, excellent d'ailleurs d'un bout à l'autre de la pièce, au détriment des solistes.

Retour enfin au pied des tranchées pour célébrer les épousailles de son altesse. La légende du verre, toujours très appréciée du public, ne remporte pas ici le succès escompté. En revanche avec Le grief du général en chef, Yann Beuron termine sur une bonne note qui, au moment des saluts, le place en tête de l'applaudimètre, avant même sa souveraine.

En conclusion, une grande duchesse et non pas La Grande Duchesse. Car si son prénom reste évidemment Hortense pour l'éternité, plus près de nous, elle continue de s'appeler Régine (1).
 
 
 

Christophe RIZOUD
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(1) Il s'agit bien évidemment de Régine Crespin qui a gravé le rôle sous la baguette de Michel Plasson (2 CD Sony Classical) et l'a interprété avec brio sur cette même scène au début des années 80.

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