L'exactitude est la politesse des
rois mais pas des grandes duchesses... Ce dimanche, nous avons attendu
plus d'une heure avant qu'elle veuille bien paraître. Ce n'était
pourtant pas la souveraine du petit état de Gerolstein qui jouait
les coquettes mais la fée Electricité. Vers 15h45, la salle
plongeait subitement dans l'obscurité, panne de secteur que seul
un technicien EDF était habilité à débrouiller.
Aux alentours de 16h30, la situation devenait alarmante. L'employé
d'astreinte n'arrivait pas, la batterie donnait des signes de faiblesse,
il était demandé aux spectateurs de quitter leur place pour
rejoindre le foyer. Une demi-heure après, alors qu'on se préparait
tristement à regagner ses pénates, la lumière revenait.
Ouf ! La matinée était sauvée. Reste à a savoir
si ce petit contretemps a son importance. Peut-on le tenir responsable
de la déception que l'on éprouve à la sortie du théâtre
? Nous a-t-il contrarié au point de nous rendre moins réceptif
aux réjouissances concoctées par le tandem Pelly Minkowski
? A-t-il par la même occasion perturbé les artistes, les empêchant
de donner ensuite le meilleur d'eux-mêmes. Peut-être... Mais
cela n'explique pas tout.
Reprenons à l'ouverture, à
ces premières mesures derrière lesquelles on reconnaît
immédiatement la patte des Musiciens du Louvre et la baguette de
leur chef, à cette décharge électrique, si caractéristique
de leur manière, qui annonce parfaitement l'état martial
du Grand Duché imaginaire, puis à la courbe élégamment
galbée du fameux dites-lui. Pas de doute, le bonheur est
dans la fosse. Un peu moins sur scène lorsque le thème pimpant
de La légende du verre dévoile une troupe de soldats
étendus sur le sol et dans les tranchées, comme abattus par
une rafale de mitraillette. Le contraste avec la musique est dérangeant.
Il s'agira de la seule allusion à la guerre de 1870 dont l'oeuvre,
créée trois ans auparavant, peut sembler, dans sa gaieté
parodique, le sinistre augure. Mais en fait, nos bidasses sont tout simplement
ivres morts. Le rire et la dérision reprennent les rênes.
Ils ne les lâcheront plus, envers et contre le livret.
L'histoire de la création en
a démontré les faiblesses. Nous y reviendrons.
Déjà, ce n'est pas l'épaisseur
de l'action qui fait la valeur du premier acte. Mise à part la promotion
subite du 2ème classe Fritz, il ne s'y passe rien. Sa principale
vocation est de nous présenter, un par un, les personnages principaux
et, par la même occasion, de nous donner à les apprécier.
Comme le veut l'adage, la première impression sera, parfois malheureusement,
la bonne.
Fritz d'abord. Yann Beuron convainc
par la diction, la franchise du ton et la clarté du timbre. Son
fusilier ne manque certainement pas de charme. On regrette juste un défaut
de brillance, notamment dans les passages plus aigus qui, pour faire leur
effet, devraient être négociés en fausset. Les tarata-ta-ta-ta
de la chanson du régiment en sont le meilleur exemple.
Face à lui, la Wanda de Sandrine
Piau affiche une silhouette à la Deschiens, cou tendu, épaules
en avant, couettes pointées, air buté. Le personnage est
campé mais hélas, on ne l'entend pas. La voix, trop petite,
ne passe pas la rampe. Les ensembles surtout en pâtissent, notamment
le finale de ce premier acte dont la veine parodique, privée
du registre le plus aigu, ne parvient pas à totalement s'exprimer.
Fort de son désopilant Calchas
dans La belle Hélène, François Le Roux coiffe
le panache du Général Boum. Le rôle s'inscrirait mieux
dans les cordes d'Agamemnon, le roi barbu qui s'avance, plutôt baryton-basse
que simple baryton. Ce que son officier y perd en autorité est heureusement
largement compensé par la noblesse du ton, la justesse du phrasé
et bien sûr, l'humour.
A ses côtés, Franck Leguérinel,
vêtu d'une longue tunique, semble échappé d'une production
de Turandot. Son baron Grog, drôle à souhait, est vocalement
irréprochable.
Le Prince Paul de Eric Huchet complète
avec brio le trio des conspirateurs. Il nous gratifie en prime d'une gazette
de Hollande de première facture, raffinée et sentimentale,
sans mièvrerie.
Enfin, noblesse oblige, on s'incline
devant la Grande Duchesse de Felicity Lott. Le personnage est superbe,
d'un chic incontestable. Il faut, à la jumelle quand on est placé
un peu loin, apprécier la richesse de l'expression : le sourcil
relevé, l'oeil humide, la moue dépitée, autant de
mimiques qui accompagnent sans vulgarité chaque réplique,
chaque mot, prononcés sans une seule trace d'accent britannique.
Malheureusement, le chant ne suit pas, pris en défaut par la tessiture.
Le medium et le grave sont en péril, seul l'aigu surnage, impérial.
Il n'est hélas pas l'apanage du personnage. L'érotisme distingué
du Ah que j'aime les militaires, le Sabre de mon père, vif
et précis, ne parviennent pas à racheter une modeste chanson
du régiment ou une petite crise de nerf, morceau de bravoure, véritable
pied de nez à Meyerbeer, qui ne supporte pas d'être ainsi
étriquée.
L'acte suivant s'ouvre sur un palais
alambiqué, labyrinthe comique que surplombe le trône, perché
au sommet d'un haut escalier en colimaçon. Ce décor se prête
aux mouvements absurdes, aux courses burlesques des comédiens qui
pour passer d'un point à un autre sont obligés d'emprunter
des chemins biscornus. Laurent Pelly renoue brillamment avec la manière
chorégraphique qui caractérisait déjà son Gianni
Schicchi de la saison précédente. Les personnages
dansent plus qu'ils ne se déplacent. Le metteur en scène
doit toutefois se débattre avec la trame lourdement ficelée
de la version d'origine. Offenbach et ses librettistes, face à la
réaction mitigée du public le soir de la première,
révisèrent leur copie et raccourcirent allègrement
l'oeuvre. Les deuxième et troisième actes en firent surtout
les frais. Le carillon de la grand-mère et la conspiration des rémouleurs
disparurent corps et âme tandis que le trio bouffe Logeons-le
donc ce mirliflor était promu quatuor avec l'arrivée
de la Grande Duchesse. Le retour à l'édition originelle que
propose le Châtelet nous confirme la légitimité dramatique
de ces coupures. D'autant plus que la musique du finale ainsi reconstitué
nous laisse sur notre faim. Rossini, dans Le Barbier de Séville
ou
L'Italienne à Alger, pour ne citer que les plus connus, nous
a habitués sur un rythme analogue à une autre science. A
noter tout de même auparavant la grande classe du dites-lui.
Felicity Lott nous offre à ce moment le meilleur d'elle-même.
Un ballet assure la transition avec
le troisième acte. La chorégraphie de Laura Scozzi remporte
un franc succès. Les rires fusent enfin sans retenue devant le spectacle
de ces hommes dansant avec d'autres hommes travestis en femme. Ils éclateront
plus fort encore, un peu plus tard, lorsqu'un petit soldat, bouquet rouge
à la main, sera drôlement malmené par un grand noir
vêtu d'une longue robe et perché sur des talons.
Dans un décor inchangé,
le premier tableau est introduit par Mon charmant petit naturel,
un air dont, pour le coup, on ne comprend pas la suppression habituelle.
Le registre de Felicity Lott ne lui donne pas sa pleine mesure mais, confié
à une autre voix, il a tout d'un "tube". La scène nuptiale
met en valeur le choeur, excellent d'ailleurs d'un bout à l'autre
de la pièce, au détriment des solistes.
Retour enfin au pied des tranchées
pour célébrer les épousailles de son altesse. La
légende du verre, toujours très appréciée
du public, ne remporte pas ici le succès escompté. En revanche
avec Le grief du général en chef, Yann Beuron termine
sur une bonne note qui, au moment des saluts, le place en tête de
l'applaudimètre, avant même sa souveraine.
En conclusion, une grande duchesse
et non pas La Grande Duchesse. Car si son prénom reste évidemment
Hortense pour l'éternité, plus près de nous, elle
continue de s'appeler Régine (1).
Christophe RIZOUD
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(1) Il s'agit bien évidemment
de Régine Crespin qui a gravé le rôle sous la baguette
de Michel Plasson (2 CD Sony Classical) et l'a interprété
avec brio sur cette même scène au début des années
80.