......
|
BARCELONE
21/02/2008
© Antonio Bofill
Richard Strauss
ELEKTRA
Tragédie en un acte (1909)
Livret de Hugo von Hofmannsthal
d’après l’œuvre de Sophocle
Nouvelle coproduction en partenariat
avec le Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles
Mise en scène, Guy Joosten
Décors et costumes, Patrick Kimmonth
Lumières, Manfred Voss
Klytemnestre : Eva Marton
Elektra : Deborah Polaski
Chrysothémis : Ann-Marie Backlund
Egisthe : Graham Clark
Oreste : Albert Dohmen
Le précepteur d’Oreste : Knut Skram
La confidente de Klytemnestre / seconde servante : Claudia Schneider
La porteuse de la cape royale / quatrième servante : Michelle Marie Cook
Un jeune serviteur : Charles Heins
L’intendante : Renate Behle
Première servante : Lani Poulson
Troisième servante : Mireia Pinto
Cinquième servante : Henrikka Gröndahl
Chœur du Grand Théâtre du Liceu
Directeur du chœur, José Luis Basso
Orchestre Symphonique du Grand théâtre du Liceu
Direction musicale, Sebastian Weigle
Barcelone le 21 février 2008
|
Touche pas à mon chef d'oeuvre !
A chacun son dû. Dans sa brièveté, cette formule
définit exactement la justice. Nous pouvons la faire nôtre
aussi bien qu’Elektra,
qui veut que les assassins de son père soient punis. C’est
à son frère Oreste qu’incombe ce devoir ; or
il a disparu, on est sans nouvelles, et s’il revenait ce serait
bien risqué : les coupables ont pris le pouvoir. Mais
Elektra ne peut renoncer à attendre qu’il vienne
châtier ceux qu’elle voit jouir jour après jour de
leur forfait tandis qu’elle est dévastée par les
images sanglantes du meurtre.
L’attente et la souffrance l’épuisent, et
l’impunité des criminels la scandalise tant que, à
la fois par désespoir et pour protester elle refuse de jouer le
jeu du paraître et du faire semblant. En négligeant son
apparence, cette femme qui ne se possède plus étale un
désordre choquant qui maintient sous les yeux des coupables son
statut et sa douleur de victime et contribue ainsi à les
dénoncer. Du reste, dès le prologue les servantes
clabaudent à son sujet et l’on apprendra bientôt que
sa mère et l’amant de celle-ci ont décidé de
l’enfermer.
Pardon pour ce préambule : il s’agit simplement de
rappeler que cet opéra sous-titré tragédie en a
conservé les caractères, à savoir un
déroulement inéluctable et une signification
édifiante. C’est bien ce qui en fait le chef
d’œuvre que nous connaissons : Hofmannsthal et Strauss
ont donné le jour à une cérémonie
sacrificielle qui saisit le spectateur d’horreur et
d’admiration comme les œuvres de Sophocle en leur temps. Et
si nous faisons ce rappel, c’est que la lecture proposée
par M. Joosten, pour fouillée qu’elle soit, dilue souvent
l’essentiel sous l’anecdotique quand elle ne passe pas
à côté.
Le dispositif scénique nous conduit de l’extérieur
vers l’intérieur du palais de Mycènes.
Evidemment il n’est pas question de reconstitution
archéologique. La façade extérieure
s’inspire d’une photographie de l’Hôtel
Richelieu à Paris en 1900 et présente des arcades
qui ont été aveuglées par des parpaings.
L’espace intérieur révèle d’abord le
vestiaire du personnel, garni d’armoires
métalliques ; à gauche un escalier conduit, on le
découvre ensuite, dans un vaste espace qui semble être un
entrepôt, en fait une cour encombrée de matériaux
divers et de bidons ; là encore des ouvertures
obturées par des panneaux de tôle ondulée.
L’impression générale est un mélange
d’état de siège, avec la présence d’un
mirador et la présence de plusieurs sentinelles, et de laisser
aller tant cet espace semble négligé.
Sous le mirador une méridienne ; une jeune femme semble
lire. Cette méridienne deviendra plus tard la chaise longue de
Clytemnestre lors de son bain de soleil ; on y verra la
mère et la fille assises côte à côte et
trinquant. Tout cela est très cohérent ; mais cela
nous semble étranger à l’esprit des situations
évoquées par le texte et au climat créé par
la musique. Mais, plus dommageable le choix de présenter Elektra
non comme la demi-folle raillée par les servantes mais en jeune
fille rangée, plutôt bcbg dans la tenue dont la
sobriété pourrait aussi bien dire le refus des ornements
en période de deuil qu’une certaine conception du chic aux
antipodes de celle de sa mère. Du coup, la charge passionnelle
du personnage semble très faible jusqu’à
l’annonce de la mort d’Oreste. Or cette charge est forte
dès le départ et elle ne cesse de croître, puisque
c’est de cette intensité que Strauss et Hofmannsthal
choisissent de faire mourir Elektra au paroxysme de la danse finale, en
une auto-consumation.
Il est vrai que M. Joostens change aussi la fin ; ce n’est pas une surprise, il avait déjà revu et corrigé Le Freichütz.
Mais ici comme là son intervention modifie la pureté du
dénouement voulu par les auteurs ; foin de danse finale,
Elektra se précipite à l’intérieur du palais
et la dernière image la montre dans un décor
néo-classique pâmée sur les genoux de son
frère assis sur le trône et l’embrassant à
pleine bouche avant de soupirer le nom d’Oreste et
d’expirer. Du coup l’admirable justesse de la symbiose
entre les mouvements exaltés d’Elektra et la musique
disparaît et le dernier mot n’est pas à
Chrysothémis. Faut-il tellement manquer de modestie pour
corriger les auteurs ?
Deborah Polaski Albert Dohmen
© Antonio Boffil
Il serait inutilement fastidieux de détailler encore les choix
qui desservent une exécution musicale et vocale par ailleurs
presque sans défaut. Efficaces servantes et serviteurs, à
l’exception du jeune messager qui s’égosille
laidement. Graham Clark est un Egisthe remarquable de projection et de précision. L’Oreste d’Albert Dohmen est un luxe de présence vocale et scénique, d’une concentration magnétique. Ann-Marie Backlund
compose une Chrysothémis des plus crédibles, rendant
sensible la féminité du personnage, son impatience, ses
craintes, avec une voix ductile et puissante dont les aigus faciles ont
un peu fait pâlir ceux de Deborah Polaski,
au chant parfois précautionneux mais globalement satisfaisant
même si le personnage, du fait de la conception proposée,
n’atteint pas toujours l’intensité émotive
possible et désirable. Quant à Eva Marton,
même si de son propre aveu les graves du rôle lui donnent
du mal, l’état de sa voix lui permet encore de beaux
éclats et elle contrôle bien son vibrato. Sa Clytemnestre, on s’en doutait, a une présence indéniable.
Régulièrement au programme du Liceo, Elektra trouve dans les forces permanentes du Théâtre des interprètes convaincus et en Sébastien Weigle
un chef des plus attentifs, qui réussit le tour de force
d’en respecter les dynamiques et les rutilances sans noyer le
plateau sous un torrent sonore. Les musiciens et le plateau – en
l’absence du metteur en scène, fraîchement accueilli
le soir de la première – ont été longuement
ovationnés, Deborah Polanski la première. On se prend
à rêver de cette distribution dans d’autres
conditions…
Maurice SALLES
|
|