P-a-r-f-a-i-t
! mais...
"L'ennui naquit un jour de l'uniformité",
affirmait le dramaturge et critique Antoine Houdar de la Motte (1672-1731).
C'est un peu l'impression que laisse le récital proposé par
le choeur de chambre Les Eléments. Non pas que la qualité
vocale, le chant de cet ensemble puissent être mis en cause, mais
sans doute en raison du choix des oeuvres présentées. Qu'il
s'agisse de Fauré, de Debussy ou de Poulenc, leurs musiques pour
choeur (du moins par cet ensemble) semblent calquées les unes sur
les autres. Il fallait être un mélomane très averti
pour reconnaître les compositeurs. Cette apparente uniformité
tient peut-être aux sonorités du groupe.
Les Eléments. Vingt-trois chanteurs,
douze hommes, onze femmes. Plantés sur deux rangs de lutrins, complets
vestons noirs, impeccablement cravatés, robes également noires
et strictes, les protagonistes semblent moulés dans le même
idéal de chant. Un chant de perfectionnistes, un chant d'une précision
horlogère. Impeccable, irréprochable, admirable. Rien ne
dépasse, rien ne choque, rien n'est excessif. Tout est dans la règle.
Quel que soit le registre, chacun prononce le mot pour être compris
de tous. Pas un départ de note qui ne souffre d'une quelconque hésitation.
Pas une phrase qui ne se termine dans une approximation. Tout cela est
parfait. P-a-r-f-a-i-t ! Une perfection qui ressemble à une boule
de verre soufflé qu'aucune bulle d'air ne serait venue troubler.
La transparence d'un chant désincarné.
Incontestablement, le choeur produit
une musique idéale pour un laboratoire musicologique. D'une partition,
ils dissèquent chaque note, lui donnent très probablement
l'exacte valeur recherchée par le compositeur. Les nuances s'expriment
sans à-coups, les registres sont si bien équilibrés
qu'il est souvent difficile, voire impossible de déceler le passage
des ténors aux altos, des altos aux sopranos. P-a-r-f-a-i-t ! mais...
est-ce bien ce que l'on attend d'un concert ? Comme l'affirmait Duke Ellington
: "It don't mean a thing if you ain't got that swing !"
Et c'est bien là que le bât
blesse. Cette musique parfaite ne "swingue" pas. Elle peine à véhiculer
l'émotion. Cette émotion qu'on espère du plus bel
instrument : la voix ! Est-ce le but de Joël Suhubiette d'affadir
les couleurs de la musique et de niveler les affects que recèlent
les poèmes graves de Paul Eluard ?
Jacques SCHMITT