Cette
production de l'Elisir de Mario Gas avait été vue
il y a sept ans au Théâtre Victoria, à l'époque
où le Liceo était en reconstruction. Le directeur catalan
transpose l'action dans l'Italie des années 1930, une transposition
sage qui ne nuit pas à la lisibilité de l'intrigue. Les soldats
qui accompagnent Belcore et qui traversent le parterre avant de monter
sur scène ressemblent aux miliciens de Mussolini; Dulcamara arrive
sur scène dans un side-car de cette période. Au début
du 2e acte, le chef d'orchestre n'est pas dans la fosse mais sur scène
tandis qu'on entend une chanson italienne de l'époque du gramophone.
Le Liceo a programmé un grand
nombre d'Elisir cette saison avec une alternance allant jusqu'à
cinq Adina ou Nemorino différents! Fidèle à sa politique
d'ouverture à tous les publics, le Liceo présente ce 27 avril
une "deuxième distribution" avec des billets moitié moins
chers. C'est aussi l'occasion de présenter des jeunes chanteurs
moins connus et de leur offrir ainsi l'opportunité de se faire un
nom. Au mois de mai, reviendront des artistes dits de "première
distribution" avec, par exemple, Gheorghiu et Villazón sous la direction
de Callegari.
Josep Caballé-Domenech n'a pas
une grande expérience de chef lyrique, ce qui explique sans doute
quelques petits décalages avec le plateau. Sa direction est un peu
lente à se chauffer (justement dans les passages lents) mais développe
heureusement un bel entrain par la suite. En tout cas, c'est un chef qui
sait maintenir l'équilibre entre la fosse et la scène et
qui ne pratique pas de coupures dans la partition. Prestations correctes
du choeur et de l'orchestre.
L'opéra donizettien est par
essence très vocal et au service du bel canto. Ce dernier
est justement aux abonnés absents en ce qui concerne le Belcore
de Christopher Schaldenbrand, desservi pas une voix sans projection et
qui n'offre rien de l'abattage requis par le personnage. La vocalisation
n'est pas sûre, l'aigu difficile ; c'est incontestablement le point
faible de la soirée.
On retrouve un niveau décent
dans la Giannetta de Khibla Gerzmava et le Dulcamara de Simón Orfila.
Il manque toutefois à ce dernier une assurance qui viendra peut-être
avec les années. Nos regards se tournent donc vers le couple de
protagonistes formé ici par deux jeunes chanteurs.
Le ténor maltais Joseph Calleja
se révèle emprunté dans son jeu. A vrai dire, ce n'est
point trop gênant quand on joue le simplet du village Nemorino et
qu'on doit sembler pataud. À son crédit, un timbre doux,
voire mielleux, qu'on entendait plus souvent il y a cinquante ou soixante
ans chez certains ténors. En revanche, à partir du la, l'aigu
perd en puissance quand chez ses confrères la voix se corse et gagne
en force. En fait, concernant la partie supérieure de la tessiture,
on ne l'entendra pas du tout ce 27 avril. Il est curieux tout de même
que ce ténor soit capable d'émettre le contre-ut, voire le
contre-ré en studio (son récital chez Decca) et qu'il tremble
devant un si bémol sur scène...
Nous suivons depuis quelques années
la jeune et rondouillette Andalouse Mariola Cantarero. On ne peut dire
que les robes qu'elle porte la favorisent, mais son jeu reste piquant.
Son timbre ne fait pas l'unanimité; certains peuvent le trouver
ingrat ou acide sur certaines notes. Par contre, l'artiste a pour elle
une technique indéniable et solide, elle sait ce que respirer et
phraser veulent dire. Le volume est égal du grave à l'aigu
et la voix se plie aux crescendo et decrescendo sans difficultés.
Cantarero est capable de vaillance et sait prendre des risques (longues
notes tenues, contre-mi bémol ajouté à la fin du premier
acte par exemple). Il y a tellement de soprani au timbre parfois plus flatteur,
mais incapables de soutenir une longue phrase qu'on ne peut que saluer
une musicienne qui sait chanter dans les règles de l'art.
Après le rideau final, chose
assez rare, Dulcamara bisse ses couplets alors que le public ponctue le
refrain de ses applaudissements.
Valéry FLEURQUIN