Le premier Don Giovanni lyrique
Créé à Rome
durant les festivités du carnaval de 1669, en présence notamment
de Christine de Suède, L'empio punito connaît immédiatement
un vif succès. Son auteur, Alessandro Melani, est issu d'une famille
de musiciens renommés, originaires de Pistoia. Il se rend à
la cour du pape Clément IX en compagnie de son Frère Jacopo
(également compositeur). Là, les deux hommes se mettent au
service des princes Colonna qui leur commandent à chacun un opéra.
Alessandro composera L'empio punito sur un livret de Filippo Acciaiuoli,
par ailleurs imprésario et concepteur de machines de théâtre.
Il semble que l'ouvrage soit la première mise en musique du mythe
de Don Juan, même si les noms des lieux et des personnages ont été
changés.
L'action se situe en Macédoine
à la cour d'Atrace. Ipomene, la soeur du monarque, aime Cloridoro.
Les deux jeunes gens chantent leur amour. Apparaît ensuite Atamira,
fille du roi de Corinthe qui est à la recherche de son mari volage,
Acrimante. Soudain elle l'aperçoit accompagné de son valet
Bibi. Tous deux sont rescapés d'un naufrage. Insensible aux plaintes
de sa femme, Acrimante s'éloigne et jette son dévolu sur
Ipomène tandis que Bibi courtise avec succès Delfa, la nourrice
de l'infante. De son côté Atrace s'éprend d'Atamira
qu'il croit libre (acte 1). Une nuit, Bibi s'introduit par le balcon chez
Delfa, vêtu du manteau d'Acrimante. Atrace et Cloridoro l'aperçoivent.
S'en suitune série de quiproquos qui conduisent Cloridoro à
repousser Ipomène par qui il se croit trompé et Atrace à
faire condamner à mort Acrimante. Atamira, qui malgré ses
trahisons aime encore son époux, lui sauve la vie en insistant pour
lui administrer elle-même un poison qui n'est en fait qu'un puissant
somnifère (acte 2). Acrimante, que tout le monde croit mort, apprend
par son valet qu'Ipomène a un rendez-vous avec Cloridoro dans les
jardins du palais. Il s'y rend sans tarder pour surprendre la jeune fille.
Celle-ci hurle en le reconnaissant. Surgit alors son précepteur,
Tidemo, qui provoque en duel Acrimante et se fait tuer. L'ambassadeur Telefo
vient annoncer que le roi de Corinthe menace de déclarer la guerre
et que seul un mariage entre Atrace et Atamira peut éviter ce conflit.
Atamira refuse. Pendant ce temps, dans un cimetière, Acrimante oblige
Bibi, terrorisé, à inviter la statue de Tidemo à souper.
La statue accepte et entraîne Acrimante dans les enfers. Bibi raconte
alors à tout le monde ce qui s'est passé. Altamira, désormais
veuve, peut donc mettre fin aux menaces de guerre en épousant Atrace
qui, de son côté, consent aux noces d'Ipomene et de Cloridoro.
Bibi accepte la main de Delfa et l'ouvrage se conclut par un choeur joyeux
: "Così punisce il ciel chi il cielo offende" (Ainsi le ciel
punit qui l'offense).
On reconnaît aisément
Don Giovanni, Leporello et Donna Elvira sous les traits d'Acrimante, Bibi
et Atamira ainsi que Donna Anna, Don Ottavio et le Commandeur sous ceux
d'Ipomene, Cloridoro et Tidemo.
Quant à la musique, citons
le
commentaire
de Christophe Rousset dans le programme: "Parfaitement conforme au style
de l'opéra italien du XVIIème siècle, elle est héritière
du dernier Cavalli, de Rossi et de Cesti. Musique d'alternance entre des
ritournelles [...], des récitatifs aux coloris tout florentins,
des ariosos, des airs de type "canzonetta", d'airs de vastes proportions
[... Elle] utilise une rythmique extrêmement variée qui caractérise
de façon irrésistible les personnages populaires de Bibi
et Delfa, qui donne lieu à de sublimes lamenti pour les personnages
tragiques."
La version qui nous est proposée
comporte quelques coupures, mais elles ne nuisent pas à l'intelligibilité
de l'action et donnent à l'ouvrage, qui dure plus de quatre heures
à l'origine, des proportions acceptables *.
Côté féminin,
la distribution est dominée par la magnifique Atamira d'Anne-Lise
Sollied qui campe une héroïne émouvante et digne. Son
timbre fruité et son chant nuancé, tout en délicatesse,
confère une grande émotion aux nombreux airs de déploration
qu'elle interprète. A ses côté, Gaëlle Le Roi
ne parvient pas à convaincre tout à fait dans le rôle
d'Acrimante. Non que ses talents soient en cause, bien au contraire. Elle
sait traduire tous les affects de ce personnage complexe qu'elle joue avec
panache et conviction, cependant son timbre de soprano léger est
peu propice à évoquer - du moins pour nos oreilles habituées
au héros mozartien - le séducteur aux mille et une conquêtes
qu'elle est censée incarne. Sans doute une voix plus sombre ou mieux,
un interprète masculin, aurait davantage convenu dans ce rôle
créé par un castrat. Salomé Haller se révèle
une Ipomene bien prosaïque, au timbre acide et avare de nuances. En
revanche, la jeune soprano suédoise Kristina Hansson est un Cloridoro
touchant et fort bien chantant.
Les voix masculines n'appellent aucun
reproche. Saluons la performance de la basse Joao Fernandez dont les moyens
sont considérables : timbre de bronze, égal sur toute la
tessiture et graves abyssaux. Son Atrace a toute l'autorité et la
noblesse qu'on attend d'un roi et il parvient à se montrer également
convaincant dans ses épanchements amoureux.
Le "couple" Evgueniy Alexiev et
Emilano Gonzales-toro remporte lui aussi tous les suffrages, tant leurs
duos d'amour sont désopilants. Le premier excelle dans son rôle
de valet malicieux, opportuniste et un tantinet couard, tout comme le second
en vieille nourrice quelque peu portée sur la "chose". Belle prestation
également de Robert Getchell dans son double rôle épisodique.
Christophe Rousset conduit son orchestre
des Talens Lyrique avec fougue et un sens du théâtre qu'on
ne lui a pas toujours connu. Il parvient à restituer idéalement
les contrastes entre les morceaux sérieux et les scènes de
comédie, rendant parfaitement justice à une partition foisonnante
et aux affects bien différenciés.
Un seul regret, mais de taille :
pourquoi le Festival de Montpellier n'a-t-il pas proposé une version
scénique de cet ouvrage qui le méritait amplement ? Question
de budget ? Il aurait pourtant été judicieux d'inviter la
production de Leipzig déjà dirigée par Rousset en
mai 2003.
Souhaitons pour conclure qu'un enregistrement
discographique préserve cet opéra qui, outre ses beautés
musicales incontestables, constitue un apport non négligeable à
notre connaissance du mythe de Don Juan et à celle de la musique
baroque.
Christian Peter
____
* Ainsi disparaissent,
outre de nombreux récitatifs, la scène où Acrimante
est recueilli par des pêcheur après son naufrage et celle
où il courtise une villageoise ainsi que l'intermède qui
conclut l'acte 1, l'apparition du démon au 2 et l'arrivée
de Charon qui vient chercher Acrimante dans sa barque au 3.