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MONTPELLIER
23/07/04

Anne-Lise Sollied
L'empio punito

Alessandro Melani (1639-1703)

Opéra en trois actes
Livret de Filippo Acciaoli
Version de concert
Création en France

Gaële Le Roi : Acrimante
Anne-Lise Sollied : Atamira
Kristina Hansson : Cloridoro
Salomé Haller : Ipomène
Evgueniy Alexiev : Bibi
Joao Fernandez : Atrace
Emiliano Gonzalez-toro : Delfa
Robert Getchell : Telefo et la statue de Tedemo

Les talens lyriques

Christophe Rousset,
direction, clavecin et orgue positif

Concert donné le vendredi 23 juillet 2004
Opéra Comédie
Festival de Radio France et Montpellier



Le premier Don Giovanni lyrique

Créé à Rome durant les festivités du carnaval de 1669, en présence notamment de Christine de Suède, L'empio punito connaît immédiatement un vif succès. Son auteur, Alessandro Melani, est issu d'une famille de musiciens renommés, originaires de Pistoia. Il se rend à la cour du pape Clément IX en compagnie de son Frère Jacopo (également compositeur). Là, les deux hommes se mettent au service des princes Colonna qui leur commandent à chacun un opéra. Alessandro composera L'empio punito sur un livret de Filippo Acciaiuoli, par ailleurs imprésario et concepteur de machines de théâtre. Il semble que l'ouvrage soit la première mise en musique du mythe de Don Juan, même si les noms des lieux et des personnages ont été changés.

L'action se situe en Macédoine à la cour d'Atrace. Ipomene, la soeur du monarque, aime Cloridoro. Les deux jeunes gens chantent leur amour. Apparaît ensuite Atamira, fille du roi de Corinthe qui est à la recherche de son mari volage, Acrimante. Soudain elle l'aperçoit accompagné de son valet Bibi. Tous deux sont rescapés d'un naufrage. Insensible aux plaintes de sa femme, Acrimante s'éloigne et jette son dévolu sur Ipomène tandis que Bibi courtise avec succès Delfa, la nourrice de l'infante. De son côté Atrace s'éprend d'Atamira qu'il croit libre (acte 1). Une nuit, Bibi s'introduit par le balcon chez Delfa, vêtu du manteau d'Acrimante. Atrace et Cloridoro l'aperçoivent. S'en suitune série de quiproquos qui conduisent Cloridoro à repousser Ipomène par qui il se croit trompé et Atrace à faire condamner à mort Acrimante. Atamira, qui malgré ses trahisons aime encore son époux, lui sauve la vie en insistant pour lui administrer elle-même un poison qui n'est en fait qu'un puissant somnifère (acte 2). Acrimante, que tout le monde croit mort, apprend par son valet qu'Ipomène a un rendez-vous avec Cloridoro dans les jardins du palais. Il s'y rend sans tarder pour surprendre la jeune fille. Celle-ci hurle en le reconnaissant. Surgit alors son précepteur, Tidemo, qui provoque en duel Acrimante et se fait tuer. L'ambassadeur Telefo vient annoncer que le roi de Corinthe menace de déclarer la guerre et que seul un mariage entre Atrace et Atamira peut éviter ce conflit. Atamira refuse. Pendant ce temps, dans un cimetière, Acrimante oblige Bibi, terrorisé, à inviter la statue de Tidemo à souper. La statue accepte et entraîne Acrimante dans les enfers. Bibi raconte alors à tout le monde ce qui s'est passé. Altamira, désormais veuve, peut donc mettre fin aux menaces de guerre en épousant Atrace qui, de son côté, consent aux noces d'Ipomene et de Cloridoro. Bibi accepte la main de Delfa et l'ouvrage se conclut par un choeur joyeux : "Così punisce il ciel chi il cielo offende" (Ainsi le ciel punit qui l'offense).

On reconnaît aisément Don Giovanni, Leporello et Donna Elvira sous les traits d'Acrimante, Bibi et Atamira ainsi que Donna Anna, Don Ottavio et le Commandeur sous ceux d'Ipomene, Cloridoro et Tidemo.

Quant à la musique, citons le commentaire de Christophe Rousset dans le programme: "Parfaitement conforme au style de l'opéra italien du XVIIème siècle, elle est héritière du dernier Cavalli, de Rossi et de Cesti. Musique d'alternance entre des ritournelles [...], des récitatifs aux coloris tout florentins, des ariosos, des airs de type "canzonetta", d'airs de vastes proportions [... Elle] utilise une rythmique extrêmement variée qui caractérise de façon irrésistible les personnages populaires de Bibi et Delfa, qui donne lieu à de sublimes lamenti pour les personnages tragiques."

La version qui nous est proposée comporte quelques coupures, mais elles ne nuisent pas à l'intelligibilité de l'action et donnent à l'ouvrage, qui dure plus de quatre heures à l'origine, des proportions acceptables *

Côté féminin, la distribution est dominée par la magnifique Atamira d'Anne-Lise Sollied qui campe une héroïne émouvante et digne. Son timbre fruité et son chant nuancé, tout en délicatesse, confère une grande émotion aux nombreux airs de déploration qu'elle interprète. A ses côté, Gaëlle Le Roi ne parvient pas à convaincre tout à fait dans le rôle d'Acrimante. Non que ses talents soient en cause, bien au contraire. Elle sait traduire tous les affects de ce personnage complexe qu'elle joue avec panache et conviction, cependant son timbre de soprano léger est peu propice à évoquer - du moins pour nos oreilles habituées au héros mozartien - le séducteur aux mille et une conquêtes qu'elle est censée incarne. Sans doute une voix plus sombre ou mieux, un interprète masculin, aurait davantage convenu dans ce rôle créé par un castrat. Salomé Haller se révèle une Ipomene bien prosaïque, au timbre acide et avare de nuances. En revanche, la jeune soprano suédoise Kristina Hansson est un Cloridoro touchant et fort bien chantant.

Les voix masculines n'appellent aucun reproche. Saluons la performance de la basse Joao Fernandez dont les moyens sont considérables : timbre de bronze, égal sur toute la tessiture et graves abyssaux. Son Atrace a toute l'autorité et la noblesse qu'on attend d'un roi et il parvient à se montrer également convaincant dans ses épanchements amoureux.
Le "couple" Evgueniy Alexiev et Emilano Gonzales-toro remporte lui aussi tous les suffrages, tant leurs duos d'amour sont désopilants. Le premier excelle dans son rôle de valet malicieux, opportuniste et un tantinet couard, tout comme le second en vieille nourrice quelque peu portée sur la "chose". Belle prestation également de Robert Getchell dans son double rôle épisodique.

Christophe Rousset conduit son orchestre des Talens Lyrique avec fougue et un sens du théâtre qu'on ne lui a pas toujours connu. Il parvient à restituer idéalement les contrastes entre les morceaux sérieux et les scènes de comédie, rendant parfaitement justice à une partition foisonnante et aux affects bien différenciés.

Un seul regret, mais de taille : pourquoi le Festival de Montpellier n'a-t-il pas proposé une version scénique de cet ouvrage qui le méritait amplement ? Question de budget ? Il aurait pourtant été judicieux d'inviter la production de Leipzig déjà dirigée par Rousset en mai 2003.

Souhaitons pour conclure qu'un enregistrement discographique préserve cet opéra qui, outre ses beautés musicales incontestables, constitue un apport non négligeable à notre connaissance du mythe de Don Juan et à celle de la musique baroque.
 
 

Christian Peter
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* Ainsi disparaissent, outre de nombreux récitatifs, la scène où Acrimante est recueilli par des pêcheur après son naufrage et celle où il courtise une villageoise ainsi que l'intermède qui conclut l'acte 1, l'apparition du démon au 2 et l'arrivée de Charon qui vient chercher Acrimante dans sa barque au 3.

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