Fascination
de la beauté
Si la mise en scène de L'Enlèvement
au Sérail par Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff
mérite de devenir une référence incontournable, elle
ne pourra l'être qu'en comptant sur le Selim Bassa de Shahrokh Moshkin
Ghalam. Lors d'une précédente et très réussie
production du Grand-Théâtre de Genève, le metteur en
scène suisse Dieter Kaegi avait imaginé un Selim Bassa nanti
d'un immense yacht, sorte d'Onassis dont Konstanze appréciait la
splendeur et la richesse. Ici, les regrets de Konstance à quitter
son pacha s'expriment à propos d'un homme d'une finesse naturelle
et d'une beauté physique rare. Tout, dans ses attitudes, dans ses
gestes, dans ses regards, semble inspiré, habité de la beauté
universelle. En mouvement, il est beau. Immobile, il est beau. Il illumine
chaque scène et sa beauté exerce une fascination quasi insoutenable.
Comme si de le voir, de le regarder devait nous attirer la malédiction
d'Orphée.
Pourtant, même si ce personnage
est au centre de leur idée scénique, les metteurs en scène
français n'oublient jamais Mozart, ni le livret. Dans un sérail
de pacotille, ressemblant plus au camp retranché d'un corsaire qu'au
palais d'un pacha, des personnages de provenances diverses (extraordinaire
et désopilant légionnaire romain émacié sorti
d'un album d'Astérix) épient faits et gestes des candidats
à l'évasion d'une prison arabisante. Occasion rêvée
pour une avalanche de gags qui se multiplient dès le début
de l'opéra au point d'envahir parfois l'oeuvre. Passés ces
premiers instants déstabilisants, le spectateur focalise son attention
sur les personnages principaux de l'intrigue. C'est alors que le sublime
Mozart reprend sa place.
© Opéra de Lausanne
Christophe Rousset, après une
ouverture heurtée et sans grand relief, s'investit superbement dans
l'accompagnement des solistes. Alimentant la partition mozartienne de quelques
courtes pauses musicales, il taille le texte avec bonheur pour souligner
une phrase, une intention, un mot. Dans cette lecture particulière,
Topi Lehtipuu (Belmonte) s'envole et donne le ton à un personnage
épris d'amour. Avec sa voix rappelant, dans le phrasé comme
dans l'intonation, le splendide Léopold Simoneau, le ténor
finlandais chante Mozart avec une intense simplicité et une pureté
d'émission admirable. Dans sa redingote rouge, il revêt Mozart.
Il est Mozart. Quant à la soprano Sine Bungaard (Konstance), il
faudra attendre son "Welcher Wechsel herrscht in meiner Seele" pour qu'elle
entre dans le ton de l'intrigue et se débarrasse de quelques stridences
produites dans son premier air. Ce n'est pas le cas de sa compatriote Ditte
Andersen (Blonde), dont la fraîcheur vocale ensorcelle son entourage.
A commencer par son sbire et geôlier, Fernand Bernadi (Osmin), qui,
parfois, cache de légères insuffisances techniques derrière
un jeu de scène du plus haut comique. De son côté,
Martin Thörnqvist (Pedrillo) est un plaisant meneur de jeu. Avec une
voix qu'il aurait intérêt à laisser s'ouvrir, il pourrait
offrir des moments plus lyriques et plus vivants que son trop terne "In
Mohrenland...".
En résumé, une grande
et belle soirée. Mozart était à Lausanne. Conquis,
le public lui a réservé un triomphe et plus particulièrement
à ses serviteurs, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff,
laquelle avait quelque peine à dissimuler son émotion devant
un tel succès.
Jacques SCHMITT
Prochaines représentations
:
Les 2, 4, 7, 9 et 12 janvier 2005