Sans tomber dans l'alarmisme ou dans
la sensiblerie outrancière, il est légitime de s'interroger
sur le bien fondé d'un Bassa Sélim islamiste et de sa cour,
priante et voilée de la tête aux babouches. Dans le contexte
actuel, était-il réellement nécessaire de nier ce
qui est écrit dans le livret : Bassa Selim est "eine renegat", Pedrillo
l'explique en début d'oeuvre, il n'a rien d'un islamiste fondamentaliste.
Que dire alors face à ces femmes voilées lisant des textes
coraniques imprimées sur feuille verte (la couleur de l'islam),
de ces prières grotesques, de ce croissant lunaire omniprésent,
comme si le rapport des occidentaux à l'islam était la clé
de l'Enlèvement au Sérail. C'est pousser la relecture un
peu loin, surtout - je le répète - à l'heure où
l'islam est victime des agissement d'une poignée de terroristes
aussi éloignés de la logique coranique qu'il se peut. En
gros, cette mise en scène - outre la grossièreté de
ses traits - m'aura paru idéologiquement douteuse... ou en tout
cas très maladroite.
Cette remarque mise à part,
réjouissons-nous de l'arrivée à l'Opéra royal
de Wallonie du grandiose décorateur Roland Aeschlimann, collaborateur
régulier de Trisha Brown, initié à la dramaturgie
asiatique et auquel on doit les décors des fabuleuses productions
de l'Orfeo (Monteverdi) et de Luci Mie Traditrici (Sciarrino) à
la Monnaie. Son travail est comme d'habitude remarquable de dépouillement
et de linéarité : une vague en bois, une perspective de marches
jaunes et deux échelles font un décor haut de gamme qui est
aussi un délice pour les yeux. À ceci viennent se greffer
les costumes incohérents de Swen Bindseil qui habille Belmonte comme
un comte Almaviva de l'avant-guerre, Pedrillo comme Billy Budd, Osmin en
pirate des Caraïbes et Blondchen en banlieusarde plouc. Pas très
habile.
Vocalement, la palme revient aux seconds
rôles : Johannes Preissinger est un Pedrillo de très bonne
tenue, tout juste lui reprochera-t-on un léger manque de puissance,
Artur Korn un Osmin sonore, agile, acteur remarquable qui malheureusement
s'effondre complètement dans l'émission des graves de son
air final, rien d'inhabituel pour un rôle qui finalement n'aura été
totalement convaincant que chanté par Talvela et Moll. Incontestablement,
c'est lui qui obtiendra la palme à l'applaudimètre. Laure
Delcampe se heurte au contre-mi de Blondchen, ce cri mis à part,
le timbre est clair, la voix agile et la jeune chanteuse pleine de promesses.
On apprécie encore une fois le travail de troupe de l'ORW. Petite
remarque tout de même : son allemand catastrophique qui aura beaucoup
fait sourire mon germanophone de voisin. Donald George, de son côté,
est un Belmonte anodin qui, plutôt que de se fatiguer à vocaliser,
préfère laisser aller sa voix à quelques gargarismes
disgracieux. Cécile Perrin, élevée à l'opéra
de Lyon et chanteuse de grand talent s'est complètement fourvoyée
dans le rôle de Konstanze : elle n'en a ni les aigus, ni la pâte
vocale, ni même le dramatisme. Cette expérience douloureuse
(le public liégeois est très poli et ne hue que très
rarement, mais aux saluts, l'accueil est relativement frais) tendra peut-être
à l'orienter vers un répertoire plus à sa portée.
Enfin - choix cocasse - le Bassa Selim de Léonard Grauss, basse
en résidence à l'Opéra royal de Wallonie qui habituellement
se contente de rôles de comprimarii mais qui là se prête
volontiers à une tâche d'acteur. Pourquoi pas ?
Reste la direction musicale de Friedrich
Pleyer qui n'aura pas franchement enthousiasmé le public liégeois...
et pourtant ! quelle classe : à l'heure où les baroqueux
de la terre entière s'attaquent au plus connu des singspiel de Mozart
avec plus ou moins de succès, il était téméraire
d'adopter des tempi d'une telle lenteur. Et pourtant, jamais l'orchestre
n'est lourd, au contraire, il s'attarde sur une très belle partition
avec une certaine élégance. Les cordes qu'on a connues catastrophiques
sont pleines de vies. Vraiment, M. Pleyer fait un travail remarquable avec
son orchestre et c'est de très bonne augure pour l'avenir de la
maison wallonne.
Camille de Rijck