ENLEVEZ !
"Voilà un Enlèvement
au Sérail qui avait tous les atouts pour être passionnant,
et qui laisse cependant une impression d'insatisfaction, voire d'irritation.
[...] Peut-être aurait-fallu, précisément, que les
idées de Dieter Kaegi fussent un peu moins brillantes, et plus confiantes
dans les vertus de la musique de Mozart". Ces lignes on été
écrites par Philippe Andriot à l'occasion des représentations
de l'Enlèvement données à Genève en mars 1996
mais elles s'appliquent parfaitement à la nouvelle production proposée
à Nancy. Pourtant, le paquebot de luxe des années 30 a laissé
la place ici à un studio d'enregistrement. Nous sommes dans les
années 60 et Dieter Kaegi a rêvé que Maria Callas y
enregistrerait une Konstanze d'anthologie. Il souhaite nous convaincre
ainsi de la parfaite modernité de l'oeuvre, qui possède tous
les atours de la parfaite turquerie mais nous parle en réalité
de bonheur, de fidélité et de clémence.
La représentation s'ouvre sur
un décor de studio : l'orchestre est sur scène, les techniciens
à leur place, les solistes arrivent les uns après les autres,
Konstanze est une diva en manteau de fourrure qui promène son petit
chien ridicule et le directeur artistique (un très bon Till Fechner),
qui joue le rôle du pacha Selim, donne ses instructions depuis le
poste de commande. Ses interventions provoquent malheureusement des ruptures
dans la continuité de l'oeuvre et contribuent à faire de
la première moitié du spectacle une simple suite de séquences.
On apprécie la qualité du travail effectué par le
metteur en scène mais on cherche en vain son Mozart... Soumis à
tel régime, l'opéra perd son unité, sa cohérence
et une grande partie de son charme. Le rideau tombe brutalement juste avant
Martern aller Arten sur l'évanouissement de Konstanze à laquelle
Selim vient de promettre non la mort mais les plus terribles tourments.
A la reprise, l'orchestre a réintégré la fosse, le
studio s'est vidé et Konstanze semble sortir d'un rêve. Pour
autant, les costumes et les décors continuent à évoquer
les années 60 et le final verra tout notre petit monde se remettre
en place pour achever la séance d'enregistrement. La dernière
image sera le baiser échangé entre la diva/Konstanze et le
producteur/Selim. Intéressant travail certes, mais pas forcément
toujours convaincant.
La distribution est dominée
par l'Osmin de Hans Peter Konig, très belle voix de basse au timbre
profond à laquelle il ne manque que les extrêmes graves de
Triumphieren. Comme l'acteur est également excellent, nous gageons
que l'on entendra reparler de lui d'ici peu. On se demande bien en revanche
pourquoi Cécile Perrin chante Konstanze : l'émission est
forcée, l'aigu strident, la diction approximative et l'interprète
n'apporte aucune grâce au personnage, ne parvenant pas même
à nous émouvoir dans Traurigkeit. Sine Bundgaard possède
un physique de star mais une voix assez modeste. Le timbre ingrat de Shawn
Mathey le destine davantage à Pedrillo qu'à Belmonte et il
vocalise de façon assez laborieuse, Alexandre Krawetz campant de
son coté un Pedrillo de tout petit format. Le chef Enrique Mazzola
nous offre une remarquable direction tout en nuances mais l'orchestre peine
à le suivre dans tous les raffinements exigés.
En définitive, beaucoup d'intentions
pour un spectacle assez frustrant. Chose rarissime : le metteur en scène
a été accueilli par des huées du public nancéien,
d'ordinaire pourtant extrêmement bienveillant et ouvert à
la nouveauté. Sans doute l'a-t-on sanctionné pour avoir trop
ostensiblement ignoré le génie dramatique du jeune Mozart.