C O N C E R T S 
 
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BERNE
29/05/05

Simone Nold (Konstanze)
© DR
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) 
 

DIE ENTFÜHRUNG AUS DEM SERAIL 

 Singspiel en trois actes 
Livret de Gottlieb Stephanie 
D'après une pièce de Christoph Friedrich Bretzner 

Dialogues révisés par Eike Gramss 

Daniel Ludwig* (Selim Bassa) 
Sirkka Lampimäki* (Blonde)
Simone Nold (Konstanze) 
Mehrzad Montazeri* (Belmonte)
Michael Nowak (Pedrillo)
Günter Missenhardt (Osmin)

Eike Gramss (mise en scène) 
Christoph Wagenknecht (décors) 
Catherine Voeffray (costumes)
Jacques Battocletti (éclairages) 

Berner Symphonie-Orchester 
Srboljub Dinic, direction 

Choeur du Stadttheater de Berne 
Lech-Rudolf Gorywoda, chef de choeur 

Prochaines représentations :
les 31 mai et les 2, 5, 7, 11, 15 et 17 juin 2005. 



Mozart chez les Talibans
 

Si l'opéra est aujourd'hui sous l'emprise de beaucoup de metteurs en scène soucieux de réexpliquer le fil à couper le beurre, le talent d'Eike Gramss, également directeur du Stadttheater de Berne, offre une véritable leçon de théâtre que bien de nos "grandes" signatures auraient intérêt à consulter. Dirigeant ses chanteurs dans une comédie observée jusque dans ses moindres détails, il réussit, avec cette production de L'Enlèvement au sérail, un véritable tour de force. S'autorisant toutes les audaces, il va jusqu'à reprendre les dialogues du singspiel de Gottlieb Stephanie, le librettiste de Mozart, non seulement pour les adapter à une langue plus en phase avec notre époque mais encore pour les dynamiser dans la diversité linguistique qui peuple nos jours de "mangeurs d'actualités télévisées ". 
 
 

Ainsi Konstanze est espagnole et Blonde, anglaise. Toutes deux sont retenues prisonnières par un Bassa Selim et un Osmin gardes-chiourmes afghans. Les sauveteurs des deux donzelles, Pedrillo et Belmonte, sont espagnols. Jusque-là, ce qui pouvait apparaître comme un simple choix scénique, se corse quand on découvre que chacun s'exprime dans sa langue natale. Seul le cultivé Bassa Selim baragouine tant l'espagnol que l'anglais. Sur scène, les dialogues s'élèvent alors dans un charabia linguistique (presque) totalement incompréhensible pour la plupart des spectateurs. Si l'on précise qu'aucun surtitrage n'est installé, c'est dire qu'il incombe à la seule direction d'acteurs et à la mise en scène d'illustrer l'intrigue. Et pourtant, Eike Gramss ne s'autorise aucune zone d'ombre dans le déroulement de l'action, laissant à la seule musique des gestes et des mots le soin de forcer la compréhension. Un coup de maître !


Günter Missenhardt (Osmin), Sirkka Lampimäki (Blonde)
© DR

Comme dynamisé par cette périlleuse entreprise déclamatoire, chaque protagoniste se jette à corps perdu dans l'aventure merveilleuse du talentueux conteur d'histoire qu'est Eike Gramss. Le décor (Christoph Wagenknecht), un plateau caillouteux traversé par une tuyauterie d'eau rouillée et défectueuse, s'avance sur un fond de sommets enneigés dont la lumière varie (Jacques Battocletti) au fil de la journée. De chaque côté, les loges de scène ont été réquisitionnées pour abriter le harem. Pour sa prise de rôle, le jeune et attrayant ténor iranien (!) Mehrzad Montazeri (Belmonte) aborde son personnage avec une voix parfois encore un peu trop verte pour épouser les douceurs du phrasé mozartien, mais la qualité de son émission et sa justesse demeurent des atouts certains et remarquables. Vocalement très à l'aise, la soprano finlandaise Sirkka Lampimäki (Blonde) se fait détestable à l'envi grâce à un excellent sens du comique. Michael Nowak (Pedrillo), sachant contenir la puissance de son instrument, possède son rôle à la perfection. Après quarante ans de carrière, Günter Missenhardt (Osmin) reste une basse d'une admirable santé vocale. Il fait de cet Osmin un personnage touchant par son imbécile obéissance. En sosie du président afghan Hamid Karzai, l'acteur suisse-allemand Daniel Ludwig (Selim Bassa) gère superbement ses colères, ses impatiences et ses amours déçues. S'emportant contre ses sujets, cherchant à comprendre ses prisonniers, il incarne un personnage d'une profonde magnanimité.

Si la mise en scène reste l'élément moteur de cette production, la présence solaire de la soprano Simone Nold (Konstanze) fixe la beauté du spectacle. La soprano allemande ne possède pas seulement un magnifique instrument qui sert avec brio la partition, elle est également habitée d'une sensibilité extrême qui s'exprime d'un bout à l'autre de sa prestation. Après un "Ach, ich liebte, war so glücklich." touchant de désespoir, son "Traurigkeit ward mir zum lose" rejoint des sommets de l'émotion. Favorisant alors un chant plus intérieur, plus inspiré, moins démonstratif, sa complainte, susurrée jusqu'à la limite d'un son éthéré comme le froissement d'une étoffe légère, s'inscrit comme l'un des moments les plus bouleversants, les plus poignants de cette soirée.

Lorsque résonnent les premières notes de l'ouverture, dures et saccadées, germe la crainte qu'un certain militarisme gagne le Berner Symphonie-Orchester et la direction de Srboljub Dinic. Mais bientôt le génie de Mozart s'impose et domine cette soirée d'exception. Et ce n'est pas l'enthousiasme affiché par la mezzo Agnès Baltsa, spectatrice attentive, qui nous démentira.
 
 

Jacques SCHMITT
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