......
|
MARSEILLE
08/03/2007
© Christian Dresse
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
DIE ENTFÜHRUNG AUS DEM SERAIL
(L’enlèvement au sérail)
Opéra en trois actes
Livret de Johann Gottlieb Stephanie le jeune
d’après Christoph Friederich Bretzner
Nouvelle production
Mise en scène et scénographie, Vincent Vittoz
Assistant, Jean-Daniel Senesi
Décors, Michel Pastore
Costumes, Graziella Vincenti
Lumières, Roberto Venturi
Konstanze, Jane Archibald
Blöndchen, Brigitte Fournier
Belmonte, Juha Riihimäki
Pedrillo, Loïc Félix
Selim Pacha, Nick Monu
Osmin, Jyrki Korhonen
Quatuor vocal: Sophie Oinville, Ariane Stamboulidès, Laurent Blanchard, Frédéric Leroy
Chœur de l’Opéra de Marseille
Chef de chœur, Pierre Iodice
Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction musicale, Thomas Rösner
Marseille, 8 mars 2007-03-09
|
L’anti Così
Etonnant parcours que celui de Mozart, qui passe de l’incarnation
héroïque de la fidélité féminine
(Constance) aux faiblesses du beau sexe rassemblées dans les
deux sœurs de Così ! A 25 ans, il semble encore
croire à l’idéal qui en fait une
héroïne admirable ; dix ans plus tard, il paraît
se moquer de sa naïveté.
Pour les contemporains de la création, l’œuvre
évoque des circonstances proches de l’actualité,
réelle ou fantasmée. Pour nous, le thème de cette
piraterie et des captifs réduits en esclavage est
obsolète. Que reste-t-il, alors, sur le plan
théâtral ?
Des personnages dont l’origine peut nous rappeler quelque chose
de notre vie. Jadis, il fallait voyager pour rencontrer des
étrangers ; aujourd’hui nous les côtoyons et
les confrontations à propos des différences de
mœurs contenues dans l’œuvre nous sont
familières.
Des personnages dont le comportement peut inspirer le nôtre ou au
moins susciter notre réflexion. Un homme tenté
d’user de la force contre une femme et qui y renonce. Une femme
courtisée de près par un bel homme et qui ne lui
cède pas au nom d’une valeur pour elle absolue, la
fidélité. Le serviteur du premier qui déteste les
étrangers, les exterminerait avec plaisir, et souhaite asservir
les femmes. Le premier homme en position de se venger d’un ennemi
de façon exemplaire et qui choisit de n’en rien faire,
magnanimement. En somme, c’est l’humanité dont
Mozart nous présente des formes, des plus nobles aux moins
engageantes. Quand on sait combien il intervint pendant la confection
du livret, profitant des retards successifs apportés aux
représentations, il n’est pas excessif
d’écrire que les valeurs qui triomphent – le respect
d’autrui et la clémence – sont celles du
compositeur. En fait, ce divertissement porte déjà le
message que développeront La Flûte et La Clémence de Titus.
Mais, justement, il s’agit d’un singspiel et la
difficulté consiste à associer ce contenu sérieux
avec une atmosphère d’amusement et de plaisir. Si le
musicien y est magnifiquement parvenu, en particulier grâce
à la musique « à la turque »,
créatrice d’exotisme et délicieux titillement de la
mémoire pour ses contemporains – l’œuvre est
créée pratiquement pour le centenaire de la
défaite des Turcs aux portes de Vienne –, dans cette
nouvelle production de l’Opéra de Marseille, le
mélange de gravité et de drôlerie ne paraît
pas très bien dosé.
© Christian Dresse
Vincent Vittoz avait mis en scène joliment Madame de,
de Jean-Michel Damase, à Genève. Hélas, il ne
renouvelle pas cette réussite. S’il ne fait subir aucune
transposition outrageante à l’œuvre, ni dans le
temps ni dans l’espace, le spectacle, divisé en deux
parties( la première enchaînant les actes I et II
jusqu’à l’air de Constance « Martern
aller Arten » qui termine la scène trois), semble se
traîner jusqu’à l’entracte. Pourtant les
costumes sont seyants et mis en valeur par de beaux éclairages.
Pourtant le dispositif scénique offre de belles images, avec la
grille moucharabieh en fond de scène qui devient balustrade
ouverte sur l’horizon et la grille mobile qui transforme
l’espace en cage réelle ou virtuelle selon qu’elle
le ferme en s’abaissant à l’aplomb de la
scène ou qu’elle le surplombe, projetant son ombre. Mais
pourquoi le plan incliné central est-il si aride ? Cette
cour nue où n’apparaissent que cette fontaine et ce banc
en forme de sépulcre aurait charmé Pierre Loti mais on
comprend que Constance n’ait pas le moral. La séduction du
lieu, un jardin luxuriant, est censée justifier chez Pedrillo sa
relative liberté d’action et chez Blöndchen
l’acceptation d’une situation qui pourrait être pire.
Pourquoi les réduire à des orangers bonzaï qui
apparaîtront brièvement avant de finir en coulisse
après avoir servi de projectiles ?
En réalité, ce sont les personnages qui n’emportent
pas la conviction. Faut-il y voir l’impact sur les
interprètes de la fatigue et de la baisse de tonus qui suit
parfois la première ? Le stress pour le ténor venu
à la rescousse remplacer Belmonte souffrant ? Est-il
pertinent de faire chanter son air d’entrée à
celui-ci tout en s’escrimant contre les moustiques et en cassant
la croûte ? Osmin n’a pas de bâton mais un
fouet ; soit. Mais le gag du coup qu’il se donne en voulant
frapper Pedrillo est non seulement téléphoné mais
réitéré. Vincent Vittoz déclarait vouloir
faire ses mises en scène pour des gens allant à
l’opéra pour la première fois. Qu’auront-ils
compris à l’apparition de Blöndchen surgissant non du
balcon mais d’un souterrain ? Quant au mélange des
bouteilles de vin auquel elle se livre de manière intempestive,
est-il censé amuser ?
A ces réticences, il faut ajouter celles suscitées par le
plateau. Juha Riihimaki, Belmonte de substitution, est un chanteur qui
aborde les difficultés du rôle sans tricher, mais elles
semblent excéder ses moyens. Le timbre n’a pas de charme
particulier. Les aigus extrêmes sont donnés en voix
naturelle, sans recours à la voix mixte ou au fausset, mais le
résultat n’est pas des plus agréables. Jyrki
Korhonen, dont les cheveux flottants évoquent Raspoutine et dont
la tunique boutonnée retenue par une large ceinture prend des
airs de soutane à la Basilio, impressionne dans son air
d’entrée par ses graves, un véritable Osmin.
Dommage qu’ensuite on ne l’entende plus,
jusqu’à son dernier air. Les notes sont là, mais la
projection fait défaut.
En revanche, Loïc Félix, plutôt en retrait au
début, finit par donner à Pedrillo l’impertinence
et la vivacité souhaitables, sans démériter
vocalement. Brigitte Fournier se tire sans dommage des acrobaties
dévolues à Blöndchen. Nick Monu, comédien
d’origine nigériane, prête sa prestance
athlétique au Pacha victorieux de la concupiscence. Enfin, Jane
Archibald, qui remporte un triomphe, est quasiment
irréprochable. A aucun moment les difficultés qui
hérissent le rôle de Constance ne la mettent en
difficulté et hormis deux ou trois notes plus graves la voix
passe parfaitement. Elle pourrait néanmoins progresser sur le
plan de l’émotion, peut-être en dépassant le
contrôle strict qu’elle semble exercer sur toute sa
prestation.
Le maître d’œuvre, le jeune Thomas Rösner,
obtient de l’Orchestre une légèreté de
touche rarement entendue ; par moments, les tempi nous ont
semblé un peu lents, en particulier dans la première
partie, effet peut-être de « la deuxième
représentation ». En tout cas le chef est très
attentif aux chanteurs et la deuxième partie du spectacle gagne
en dynamisme. Pour finir, une note cocasse : à Marseille,
il y a des femmes janissaires. Les chœurs de
l’Opéra, après une entrée plutôt
stridente de quelques soprani dans leur première intervention,
ont contribué de leur mieux à chanter le glorieux Selim.
Maurice SALLES
|
|