Par ces temps de grisaille hivernale,
le Grand Théâtre a eu la bonne idée d'égayer
l'esprit des Tourangeaux en présentant cette petite perle musicale
qu'est l'Étoile d'Emmanuel Chabrier.
Les librettistes, Eugène Leterrier
et Albert Vanloo auxquels il faut adjoindre la participation de Paul Verlaine
ont élaboré un livret amusant aux vers bien écrits.
Verlaine, grand ami de Chabrier, fut
l'auteur des paroles de deux opéras bouffes inachevés, Vaucochard
et fils 1er et Fisch-Ton-Kan, dont certains couplets des plus connus (la
romance de l'Etoile, le choeur du pal) se retrouvent tels quels ou légèrement
modifiés dans l'Étoile.
La musique de Chabrier est audacieuse,
étonnante de modernité pour l'époque de la création
(1877) et on comprend que le public du théâtre des Bouffes
Parisiens ait pu être quelque peu décontenancé.
Jean-Yves Ossonce nous précise
que Chabrier, qui passait à la fin de sa vie de très longues
périodes en Touraine, avait cherché à faire jouer
l'Étoile à Tours sans jamais y parvenir : ainsi, cette nouvelle
production répare en quelque sorte le manque d'intérêt
d'un lointain prédécesseur ! (sic).
Le manque de précision du livret
concernant le lieu de l'action (la capitale des Trente-six royaumes) a
visiblement stimulé l'imagination de Michel Vittoz.
Le metteur en scène se rappelle
son enfance et imagine un hangar au fond d'un jardin (ici un jardin désertique
fait de dunes) où chacun d'entre nous a pu rêver d'un monde
imaginaire, merveilleux et multicolore, et se projeter dans des histoires
abracadabrantes peuplées d'êtres extravagants.
Le rêve de Michel Vittoz , concrétisé
par les décors et les costumes un tantinet surchargés de
Philippe Léonard, se situe à la frontière entre un
pays du Maghreb et d'Afrique noire.
Ouf 1er a quelque chose d'un chef berbère
avec un petit soupçon de roi africain du Burkina, le visage est
peinturluré comme celui des Masaïs en état de guerre.
L'idée est amusante, on peut
cependant reprocher à Mr Vittoz d'avoir tendance à tirer
un peu trop le jeu des acteurs vers la bouffonnerie et la grosse farce,
ainsi la poésie qui parsème l'oeuvre est complètement
reléguée au second plan pour ne pas dire éclipsée
( je vous épargnerai donc la description très significative
du pal dont le choeur aurait pu parfaitement s'accommoder des vers originaux
de Verlaine) .
Vocalement, on reste sur sa faim.
Georges Gautier est un vétéran
du rôle d'Ouf 1er (il avait déjà participé dans
le même rôle aux représentations lyonnaises de 1984
ainsi qu'à l'intégrale dirigée par John Eliot Gardiner),
vingt ans après la voix n'accuse pas d'usure et le timbre est toujours
aussi plaisant à l'oreille.
Si on ajoute à cela une interprétation
cocasse, sans jamais tomber dans la vulgarité, il est véritablement
la clef de voûte du spectacle.
Satisfaisantes également les
voix de Caroline Mutel, soprano léger aux jolis aigus, qui affronte
sans difficultés le rôle de Laoula, et de Hjördis Thébaut,
mezzo au timbre chaud qui rend le personnage d'Aloès attachant.
En revanche, le Lazuli de Claire Brua
déçoit beaucoup : voix ténue, inaudible dans l'aigu
et le grave (au point qu'on ne l'entendait plus dans le rondeau du colporteur),
timbre métallique désagréable, bref un Lazuli bien
pâle qui ne restera pas dans nos souvenirs.
Les prestations de François
Nicolas Geslot, Till Fechner et Thierry Vallier, alias Hérisson,
Siroco et Tapioca n'appellent pas de remarques particulières, leurs
interventions vocales étant plutôt réduites.
La direction de Jean-Yves Ossonce est
inégale (j'en attendais mieux surtout dans l'interprétation
de Chabrier), parfois l'orchestre sonne bruyant et lourd couvrant un peu
trop les voix, puis soudain l'équilibre revient et l'on retrouve
une orchestration légère, éthérée, poétique
qui nous vaut de beaux moments (je pense au divin quatuor des baisers).
On notera ici et là quelques
décalages de l'orchestre avec les voix, remarqués par exemple
dans le quatuor de l'acte 1.
Je finirai par un très grand
bravo aux Choeurs de l'opéra de Tours admirables à tous points
de vue et qui ont la part belle dans cette oeuvre.
Je pardonne donc à Mr Craven,
chef des Choeurs et mon voisin ce vendredi soir, ses rires gras et sonores
qui ont contrepointé l'orchestre pendant toute la soirée,
pour l'excellence de son travail.