Euryanthe
de Weber fait partie de ces oeuvres dont le livret, d'un romantisme exacerbé,
oblige le metteur en scène à faire preuve d'une prudence
de Sioux pour ne pas tomber, à chaque coin de phrase, dans le grand
guignol. Le moins qu'on puisse dire du travail de l'Anglais David Pountney,
c'est que le pari est perdu et ce à un point tel que le courageux
critique hésite presque à se saisir de sa plume pour commenter
son travail.
L'action d'Euryanthe est pour
le moins linéaire : fidèle bras droit du roi Louis VI, Adolar
n'aspire qu'à quitter le champ de bataille (où - bien sûr
- il s'est montré le plus brave) pour rejoindre sa belle et fidèle
aimée, Euryanthe. Le méchant Lysiart, lui, ne pense qu'à
briser le magnifique couple et promet à Adolar de lui démontrer
l'infidélité de sa belle. Notre héros, fou de rage,
s'engage à laisser tous ses biens à l'homme qui fera la démonstration
d'une telle absurdité. Pendant ce temps, au Pays, Euryanthe confie
à la perfide Eglantine que chaque soir elle s'échappe du
Château pour aller se recueillir sur la tombe de la soeur d'Adolar,
qui s'est empoisonnée par amour; et dont son courageux Adolar, en
gage d'amour, lui a offert la bague ; laquelle bague qu'Euryanthe va, à
son tour, confier à Eglantine et ce afin de lui prouver sa tendre
amitié. Mais Eglantine est une jalouse compulsive et, très
vite, elle va s'allier à Lysiart pour démonter le beau couple.
Pour ce faire, elle lui confie la bague d'Adolar. Le moment venu, Lysiart
va sortir ladite bague de sa poche et l'agiter sous le nez d'Adolar en
prétendant qu'Euryanthe la lui a offerte entre deux caresses coupables.
Au comble du désespoir, Adolar s'engage à errer sur les routes
pour mendier, mais avant son départ, il tient absolument à
exterminer la perfide qui lui a brisé le coeur. Animé de
ces sombres desseins, dans une sombre forêt, il conduit la pauvre
et innocente Euryanthe pour la transpercer de son sombre glaive. A cet
instant, le spectateur pousse un soupir de soulagement, sentant le dénouement
approcher. Las, au moment où l'histoire pourrait se terminer, le
librettiste vicieux fait apparaître un monstre redoutable qui menace
d'occire le brave Adolar. Folle de peur, Euryanthe se précipite
vers le monstre et permet à Adolar de se ressaisir et de faire rendre
gorge à la créature. Ému par le courage d'Euryanthe,
Adolar décide de lui laisser la vie et de gentiment l'abandonner
dans la forêt. Seule, errant dans le froid, sans vivre et sans téléphone
cellulaire, Euryanthe délire et raconte son histoire dans un air
très enlevé. Heureusement, comble de la fortune ou, comme
Verdi le dira plus tard, force du destin, les troupes du roi Louis VI passent
par là et le monarque saisissant le récit d'Euryanthe, décide
de la ramener au Pays. Une fois de retour, au cours d'une terrible scène
de confrontation, l'affreuse Eglantine confesse - à moitié
folle - sa culpabilité à la cour entière. Relativement
insatisfait de cette indiscrétion, le méchant Lysiart l'assassine
avant de se faire embrocher par le vaillant Adolar. Lieto fine oblige,
la gentille Euryanthe se précipite dans les bras du preux, le roi
les unit et tout le monde est heureux, surtout les spectateurs, car le
spectacle est enfin terminé.
Sur le plan de l'interprétation,
la soirée commence plutôt bien avec une ouverture enlevée,
que l'orchestre du Concertgebouw exécute avec ferveur sous l'impulsion
d'un Klaus Peter Flor des grands soirs. Tout juste peut-on regretter, pour
une telle pièce, que la fosse d'orchestre n'ait pas été
un peu rehaussée, initiative qui eut permis aux sonorités
de ne pas se perdre dans l'acoustique cotonneuse du Nederlandse Opera.
Le rideau s'ouvre sur l'atrium enneigé d'un palais très XVIIIe
où les sujets et soldats du roi Louis VI se lamentent auprès
de cercueils de soldats tombés pour la patrie. L'image est indéniablement
belle.
La suite de la conception graphique
n'est hélas pas à l'avenant. Premier problème (il
s'agit du plus délicat), les danseurs d'Andrew George se meuvent
sur une gestique empruntée à la manière Wilson qui,
dans ce contexte, ne prête à rien d'autre qu'au sourire. Plus
tard, lors du ballet bucolique du troisième acte, de jeunes vierges
se livrent à une danse de l'éveil des sens, légèrement
teintée de libertinage et de frivolité. La nervosité
s'installe dans le public et quelques spectateurs ont beaucoup de mal à
retenir leur rire; la politesse étant de mise aux Pays-Bas, on ne
pense pas à huer, mais les éternuements, quintes de toux,
éclats de rires (nerveux, sans doute) d'une partie du public attestent
de l'insatisfaction générale. Plus globalement, David Pountney
a parsemé sa mise en scène d'images risibles, comme l'apparition
du monstre (qu'on ne voit pas) annoncée par des danseurs qui s'agrippent
amoureusement aux colonnes du palais et dandinent leurs popotins gracieux
pendant près d'un quart d'heure. Comble de l'horreur, la délicate
Euryanthe, pendant son monologue délirant de l'acte III, s'enfonce
un débris de verre dans le clitoris (faut savoir viser), un peu
comme Isabelle Huppert dans La Pianiste et ce pour montrer à
quel point cette méprise heurte sa féminité.
La distribution vocale est tout à
fait inégale. Du vaillant Adolar campé par le Finnois Jorma
Silvasti, à la lamentable Euryanthe de Gabriele Fontana, n'ayant
pour plaire que des piani qu'elle n'a l'occasion d'exhiber qu'à
deux reprises, il y a un gouffre. Mais qui aujourd'hui peut s'attaquer
à ce rôle fait d'un lyrisme bouleversant et d'envolées
dramatiques dignes d'Elektra ? En Lysiart, le vétéran
Wolfgang Brendel exhibe un organe robuste ayant échappé aux
méfaits du temps alors que Frode Olsen déçoit en Roi
Louis ; il faut à cette belle voix des phrases plus lyriques pour
exposer ses grandioses atouts. Enfin, la délirante Eglantine de
Charlotte Margiono obtient un triomphe bien mérité tant l'interprète
fait montre d'une aisance dans tous les registres du rôle, et ceux-ci
sont vastes.
Au finale, une oeuvre rare, pas désagréable
à écouter, mais qui gagnerait à être montée
en version de concert (si possible sans surtitre) ou dans une lecture déjantée,
qui fasse appel au second degré du spectateur.
Hélène
Mante