C O N C E R T S 
 
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VENISE
20 & 22/06/03
MARINO FALIERO

Opéra de Gaetano DONIZETTI

Mise en scène : Daniele Abbado
Décors : Gianni Carluccio
Costumes : Carla Teti
Lumières : Guido Levi
Chorégraphie : Giovanni Di Cicco
 

Marino Faliero : Michele Pertusi
Elena : Mariella Devia
Fernando : Rockwell Blake
Israele Bertucci : Roberto Servile
Steno : Enric Giuseppe Lori
Leoni : Massimiliano Tonsini
Irene : Elisabetta Martorana
Vincenzo : Enrico Masiero
Un gondoliere : Patrizio Saudelli

Direction musicale : Bruno Campanella

Venise, Teatro Malibran, les 20 et 22 juin 2003


Laisse les gondoles à Venise
 

En janvier 2002, le Teatro Regio de Parme créait l'événement en remontant dans une distribution exceptionnelle le rare Marino Faliero de Gaetano Donizetti. On ne peut que féliciter La Fenice d'avoir saisi au vol cette reprise et de nous la proposer dans le cadre sobre, mais intime du Teatro Malibran, dans la même mise en scène et avec le même "carré d'as" vocal qu'à Parme.

Quoique reprise sporadiquement, l'oeuvre est loin de faire partie des standards de la Donizetti Renaissance; aussi est-il nécessaire d'en résumer l'intrigue. Pour une analyse détaillée de l'oeuvre, on se référera à l'exceptionnelle étude de Yonel Buldrini.

L'action s'articule autour de quatre protagonistes et deux rôles mineurs vocalement, mais importants sur le plan de l'intrigue.

Celle-ci dérive d'épisodes historiques totalement sans rapport qui remontent à 1354 (l'honneur de la femme du Doge mis en doute par le jeune patricien Steno) et 1355 (une révolte populaire).

Marino Faliero est le Doge : c'est un homme mûr (historiquement, il est élu à 70 ans) qui connut son heure de gloire à la bataille de Zara.

Elena, sa femme, a eu quelques faveurs (lesquelles ? ce n'est pas bien clair au début) pour Fernando Faliero, neveu du Doge.

Israele Bertucci, chef de l'Arsenal et conspirateur en devenir, représente ici le Peuple, scandalisé du comportement de l'élite patricienne; c'est un ardent partisan du Doge qu'il suivit à Zara.

L'action démarre alors que Steno (amoureux éconduit d'Elena) vient de commettre une inscription injurieuse à l'égard de celle qui l'a rejeté, mettant en doute sa fidélité au Doge (ce qui n'est pas faux ...).

Ce même Steno s'attire l'inimitié des ouvriers de l'Arsenal quand il leur reproche de ne pas avoir terminé sa gondole alors que tous travaillent sans relâche à la réparation de bateaux de guerre.
Outré, Israele, après s'être remémoré le passé (air) jure de se venger des patriciens (cabalette).

A la scène suivante, nous découvrons Fernando: ne pouvant supporter l'outrage fait à la Dogaresse (air), il a décidé de quitter Venise (cabalette (1) ). La Dogaresse a le bon goût d'arriver à ce moment là, ce qui nous vaut ... un beau duo étranger à la progression de l'action et au terme duquel on en reste là : Fernando s'en va et tout le monde est bien triste.

De son côté, le Doge n'est pas content : l'insulteur Steno a été identifié, mais sa condamnation est ridiculement légère, une preuve supplémentaire du mépris des patriciens (guidés par Leoni) envers ce Doge.

Israele vient alors conter ses griefs envers le même Steno : hélas, comment le Doge pourrait-il lui rendre justice alors qu'il ne peut le faire pour lui-même ? A l'issue du duo (2), Israele convainc le Doge de participer au complot que ses partisans élaborent : rendez-vous au Palais de Leoni, à l'occasion du bal masqué organisé le soir même par celui-ci.

Steno, pourtant condamné à un bref exil, s'est invité au bal et se fait connaître de Leoni (ça ne le gêne pas plus que ça).

Israele et Faliero complotent : le plébéien a près de 300 hommes derrière lui (dont Beltramo, un sculpteur un peu louche) . Rendez-vous est fixé pour le soir même.

Elena arrive sur ces entrefaites. Un homme la suit depuis son arrivée au bal; on découvre bien vite qu'il s'agit de Steno ; ceci qui nous vaut un bel ensemble (comparable au sextuor de Lucia) au terme duquel Fernando provoque Steno en duel. Celui-ci se tiendra la nuit même, et par une coïncidence hautement opératique, à proximité du lieu de rendez-vous des conjurés.

A l'acte II, après air et cabalette du ténor, Fernando et Steno se massacrent joyeusement : pendant ce temps, les comploteurs complotent (air de Faliero) jusqu'à ce qu'on découvre les combattants et que Fernando meure dans les bras de Tonton (cabalette). 

A l'acte III, Faliero annonce la nouvelle à son épouse qui réagit comme il se doit (3) .

Dans la scène suivante, Leoni annonce qu'un complot met en péril les patriciens : c'est en fait un piège (les conjurés ont été entre temps trahis par Beltramo) et le Doge se dévoilant comme conjuré, signe ainsi sa perte.

A l'issue d'un rapide jugement, Israele (air) est condamné à mort (cabalette) avec tous les conjurés. Le Doge aussi (air et ... pas de cabalette); avant de mourir, il aura le temps d'apprendre, de la bouche même d'Elena, son infortune conjugale : bon Doge, il pardonne après un premier moment de colère.

Quand on lui coupe la tête, sa femme tombe évanouie et le rideau tombe, histoire de frustrer ceux qui misaient sur une scène de folie finale.

Comme on le voit, on peut affirmer avec une probabilité avoisinant la certitude, que Gérard Mortier ne montera jamais Marino Faliero à l'Opéra de Paris (ni même dans le cadre du Festival de la Ruhr, d'ailleurs).Pour une fois, on ne lui en voudra pas complètement : l'oeuvre, malgré les beautés et les originalités (4) manifestes que détaille Yonel Buldrini dans son analyse, souffre de deux maux bien réels.

Le premier, c'est un livret compliqué où l'exposé des situations se fait au détriment de l'évolution des personnages : 

Fernando est amoureux,
L'insipide Elena devient hystérique pour sa grande scène
Israele n'aime pas les patriciens,
Le Peuple n'arrête pas de râler,
Et le Doge est cocu (actes I, II, III et IV s'il y en avait un) 

Difficile dans ces conditions d'accorder beaucoup d'intérêt à des personnages aussi monolithiques et mal construits.

Le second, c'est la musique de Donizetti : sans doute peu inspiré par ce livret anti-dramatique, le grand Gaetano construit une partition dont les originalités mêmes viennent mettre en évidence la convention.

Si on est surpris d'entendre du "jeune Verdi" (certains passages préfigurent étonnamment Attila), on préférerait quand même entendre ... du Donizetti !

A l'inverse, les cabalettes de Fernando flirtent effrontément avec Rossini (l'interprétation de Blake n'y est pas non plus pour rien). Enfin, mélodiquement parlant, on est loin de Lucrezia qui pourtant le précède immédiatement.

A ces réserves près, il faut bien reconnaître que l'on passe une soirée assez exceptionnelle, tant est grand l'engagement des interprètes envers l'ouvrage.

A tout seigneur tout honneur : j'avoue que Michele Pertusi m'a surpris. Insolence vocale, projection, beauté et autorité de la voix, aigus généreux, variations intelligentes et audacieuses ... voilà un chanteur qui progresse à son rythme (je l'avais entendu pour la première fois en 1989 face à Joan Sutherland et Alfredo Kraus dans de mémorables Lucrezia justement), et vers les plus hauts sommets. Peut-être découvrirons-nous en lui dans une dizaine d'années le "mieux chantant" des Philippe II ... (5)

Que dire de Rockwell Blake, sinon qu'il ne peut être comparé ... qu'à Rockwell Blake.
Le critique est impuissant à décrire un art vocal de ce niveau (6) . Même si une légère baisse vocale est indéniable (les aigus sont moins généreux, le souffle un peu plus court qu'il y a 10 ans, le grave un rien fragile (7) ... ), qui donc est capable de sortir des ré bémol avec la facilité d'un sol chez Domingo, ou d'enchaîner les vocalises sans sembler jamais reprendre sa respiration ? Et que dire de ces variations stupéfiantes ou de cette virtuosité dans le jeu des registres de tête ou de poitrine ?

Enfin, si la voix est moins puissante, elle suffit amplement dans le cadre du Teatro Malibran.

Mariella Devia est une Elena de très grande classe et on reste confondu devant une telle aisance vocale : certes, la tendance à couvrir systématiquement les sons est un peu frustrante, les suraigus sont plus rares que par le passé ... mais la voix a gagné en épaisseur dramatique et les vocalises restent hallucinantes. Sutherland est plus impressionnante ? Les sons filés et le timbre de Caballé sont supérieurs ... Peut-être : en attendant, c'est aux plus grandes que l'on doit comparer Mariella Devia.
 

En putchiste, Roberto Servile est un chanteur frustre en situation : même si cela gène moins le personnage, on attendrait quand même un chant d'une autre qualité dans ce contexte musical; la vocalisation est imprécise (à la première, Servile frôle le désastre à son entrée, obligé de marquer de la main le tempo dans l'espoir de chanter en mesure avec l'orchestre).

Parmi les seconds rôles bien tenus, mentionnons Massimiliano Tonsini, excellent en Leoni : je ne sais pas si ce chanteur saura ultérieurement aborder de grands rôles, mais nous serions amplement satisfaits si nous trouvions en lui un nouveau Piero di Palma.

Enfin, les choeurs sont proprement exceptionnels, avec un Conseil des Dix qui résonne comme 100 !

Les choses se gâtent un peu avec l'orchestre. Sans gâcher le spectacle, Campanella reste inférieur à ses interprètes, besogneux là où l'on attend des nuances, sans toutefois être franchement mauvais. C'est d'autant plus dommage qu'il dispose d'un orchestre de grande qualité (on est loin de La Fenice d'il y a 20 ans), carrément irréprochable pour cette série.

La mise en scène, assez conventionnelle, a le mérite de donner un maximum de consistance dramatique à l'oeuvre. En ce qui concerne les décors, les plus beaux sont directement inspirés de l'Otello de Pier Luigi Pizzi.

En définitive, le grand mérite de ce spectacle, c'est de finalement nous prouver que tous les ouvrages de Donizetti méritent certainement une reprise de qualité : malgré ses défauts, Marino Faliero demeure une belle oeuvre recelant quelques perles uniques du génie donizettien qui valent d'être sorties de l'ombre.
 
 
 

Placido Carrerotti



1. D'accord, c'est pas tout à fait ça mais c'est l'esprit...
2. A quoi tiennent les révolutions !
3. C'est à dire par un air suivi d'une cabalette.
4. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer mon bref exposé, la partition recèle maintes surprises.
5. J'ai l'air de prendre des risques, mais dans 10 ans, qui se souviendra de cette critique !
6. Je ne peux pas ne pas faire le rapprochement avec le chant d'Alfredo Kraus : avec le temps, celui-ci perdait en souffle et en richesse de timbre mais, de la même manière, progressait dans sa maîtrise vocale, touchant lui aussi, quoique dans un ordre différent, au sublime.
A noter toutefois qu'une poignée de spectateurs ont injustement chahuté Blake à l'issue de a première cabalette : sans doute une conséquence stupide d'un anti-américanisme de saison...
7. Dans les rôles trop exposés dans le grave, Blake peut avoir tendance à "graillonner" : peut-être est-ce la raison pour laquelle la seconde s ne comprend qu'un couplet, ornementé directement dans l'aigu ?
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