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PARIS
19/06/2008
Alessandro Corbelli (Falstaff)
© Alvaro Yanez
Giuseppe Verdi (1813-1901)
FALSTAFF
Opéra en trois actes (1893)
Livret de Arrigo Boito
( D’après The Merry wives of Windsor et Henry IV de William Shakespeare)
Mise en scène, Mario Martone
Décors, Segio Tramonti
Costumes, Ursula Patzak
Lumières, Pasquale Mari
Falstaff : Alessandro Corbelli
Alice ford : Anna Caterina Antonacci
Fenton : Francesco Meli
Meg Page : Caitlin Hulcup
Nannetta : Amel Brahim-Djelloul
Mrs Quickly : Marie-Nicole Lemieux
Ford : Ludovic Tézier
Pistola : Federico Sacchi
Dr Cajus : Enrico Facini
Bardolfo : Patrizio Saudelli
Orchestre de Paris
Chœur du Théâtre des Champs-Elysées, direction Emmanuel Trenque
Direction musicale : Alain Altinoglu
Théâtre des Champs-Elysées le 19 juin 2008
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Un spectacle jubilatoire
La saison lyrique du Théâtre des Champs-Elysées s’achève en beauté avec ce Falstaff
dont la réalisation a été confiée, une fois
n’est pas coutume, à une équipe presque
entièrement italienne. (1)
Mario Martone,
actuel directeur du Teatro Stabile de Turin a transposé
l’action à l’époque de la création de
l’ouvrage comme en témoignent les ravissants costumes
d’Ursula Patzak,
notamment les robes des « commères ».
Est-ce un clin d’œil ? Trois d’entre elles
arborent les couleurs du drapeau italien : le vert pour Meg, le
blanc pour Nannetta et le rouge pour Alice.
Le dispositif conçu par Sergio Tramonti
facilite les changements de tableaux sans pour autant avoir recours au
décor unique : en fait, seule l’armature du
décor reste en place : il s’agit d’un
praticable situé à l’arrière de la
scène, doté d’une ouverture centrale avec de part
et d’autre des escaliers qui conduisent à des passerelles
sur trois niveaux où les personnages peuvent évoluer. Les
lieux sont évoqués par quelques éléments
faciles à déplacer : une grande table et des chaises
pour l’Osteria della Giarettiera, un canapé, un fauteuil
et un paravent pour l’intérieur de la maison de Ford.
Dans la scène finale, apparaît en toile de fond la
reproduction gigantesque d’une œuvre du jeune Mondrian qui
représente « un tronc tordu que le vent a
éreinté, un vieil arbre vers l’hiver de sa vie, un
majestueux chêne-Falstaff romantique et rieur. » (2)
Dans ce décor astucieux, Mario Martone signe
une mise en scène brillante et enlevée,
réglée comme un mécanisme d’horlogerie
où aucun geste n’est laissé au hasard. Il a su
tirer le meilleur de chaque interprète et fusionner tant de
personnalités différentes en une équipe
homogène dont la complicité est évidente.
Même Ludovic Tézier, si emprunté d’habitude
sur un plateau, se révèle ici excellent comédien.
Alessandro Corbelli (Falstaff)
Anna Caterina Antonacci (Alice Ford)
© Alvaro Yanez
Des seconds rôles, tous bien tenus, on relève le Pistola sonore de Federico Sacchi, fourbe à souhait et la Meg plus « british » que nature de Caitlin Hulcup, dans sa robe d’un vert anglais, acidulé comme le haut de sa tessiture.
Amel Brahim-Djelloul est
une délicieuse Nannetta qui se meut sur la scène avec la
grâce d’une ballerine. Son timbre diaphane aux aigus
cristallins convient idéalement à ce personnage de jeune
fille à peine sortie de l’adolescence. Si le volume est
assez confidentiel, la voix parvient tout de même à se
faire entendre. Cependant, il lui aurait sans doute fallu un autre
Fenton que Francesco Meli qui possède de solides
qualités vocales mais dont la tendance à chanter en force
déséquilibre quelque peu leurs duos.
Marie-Nicole Lemieux
qui s’est cassé la clavicule en faisant une chute pendant
les répétitions nous offre une Quickly inédite, le
bras en écharpe ! Cela ne l’empêche nullement
d’incarner une entremetteuse truculente mais jamais vulgaire, qui
se délecte avec gourmandises des bons tours qu’on lui fait
jouer à Falstaff. Le timbre est de bronze et les graves sonores,
sans être poitrinés à l’excès.
Anna Caterina Antonacci
trouve en Alice un rôle qui lui permet d’exploiter ses
beaux moyens sans avoir à forcer sa voix aux couleurs
chatoyantes qui peut s’épanouir ici librement. Seuls un ou
deux aigus, un rien tendus, trahissent la fréquentation de
rôles trop dramatiques pour ses moyens foncièrement
lyriques mais sa musicalité demeure sans faille et elle campe
avec élégance et un zeste d’autorité qui
justifie son ascendant sur les autres protagonistes, un personnage
espiègle et malicieux.
Ludovic Tézier,
on l’a dit, est un Ford scéniquement convaincant.
Vocalement, il offre une prestation somptueuse : le timbre,
d’une grande séduction, a gagné en
homogénéité, la ligne de chant est subtilement
nuancée et la projection sans faille. Une très
belle incarnation d’un chanteur qui a encore assurément
beaucoup à dire.
Alessandro Corbelli,
enfin, propose un Falstaff qui échappe à la caricature
dans laquelle se sont complu nombre de ses prédécesseurs.
Comme il l’affirme dans l’interview qu’il a
accordée à Forum Opéra :
« Falstaff n’est pas un personnage
bouffe. » Donc, point ici de maquillage outrancier ni de
bedaine pantagruélique. C’est un
« pancione », certes, comme le veut le livret,
mais aux proportions raisonnables. En fait ce Falstaff est avant tout
un séducteur déchu, plus pitoyable que grotesque, une
sorte de Casanova vieillissant qui a perdu la main et dont les
manigances se retournent inexorablement contre lui, ce qui le rend
infiniment touchant et crédible notamment au tableau final.
Formé à l’école de Mozart et du bel canto,
le baryton italien nous livre une caractérisation de Sir John
tout en nuances, du rire aux larmes, avec une voix saine et ductile,
bien loin des barytons aux moyens usés qui abordent le
rôle en fin de carrière. Son « Va, vecchio
John » au début du deux est à pleurer.
Alain Altinoglu
mène ce beau monde à un train d’enfer sans occulter
pour autant les moments de poésie pure que recèle
l’ouvrage. Sa direction énergique et précise met en
valeur toutes les subtilités de cette partition complexe en
créant le climat idoine pour chaque scène. Sous sa
baguette, le théâtre est également dans la fosse.
Christian Peter
Notes
(1) Né à Naples, Mario
Martone est un metteur en scène de cinéma et de
théâtre apprécié en Italie. Il a
déjà réalisé plusieurs productions
d’opéras dans son pays, notamment la trilogie Mozart/da
Ponte au San Carlo, en collaboration avec son compatriote Sergio
Tramonti et Ursula Patzac qui a fait ses études à
Bologne. Il a également travaillé ailleurs en Europe.
Devant la réussite de ce Falstaff, on se demande pourquoi Paris
fait si rarement appel à des metteurs en scène
transalpins.
(2) Extrait d’un commentaire de Sergio Tramonti dans le programme du spectacle.
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