Création originale au Palais
des Beaux-Arts de Bruxelles ce vendredi soir; création dont nous
subissions les répétitions depuis près de trois mois
: la grande symphonie concertante pour toux, pastilles pour la gorge déballées
bruyamment et vieilles dames qui s'étranglent et tentent de sortir
de la salle en se cognant contre les portes; appelée aussi "improvisations
sur le thème du public le plus grossier d'Europe". Cette fois c'est
vraiment grave, jamais de ma vie je n'ai eu autant envie de baffer deux
mille personnes (c'est du travail !) De Paris à Milan, de Londres
à Berlin, aucun public n'a aussi peu de considération pour
le travail des artistes, pour leur concentration; profitant du moindre
blanc pour faire valoir ces toux grasses et vulgaires, ces glaires bondissantes
et joyeuses, leurs montres qui sonnent, leurs portables qui s'oublient,
leurs lamentables commentaires chuchotés à voix assez haute
pour que le voisinage puisse admirer la science. Il est temps aussi que
les responsables de cette salle apprennent au public qu'à partir
du moment où le premier violon donne le la, l'exercice commence
pour les instrumentistes. Ce n'est pas pour faire joli, c'est pour s'accorder
et s'accorder au milieu d'un marché aux légumes ce n'est
pas ce qu'il y a de plus efficace.
Entre les improvisations diatoniques
(dia-toux-niques) du public : la symphonie de Franck et le Requiem de Fauré,
version grand orchestre. Lors de sa création, la symphonie en ré
mineur a subi les foudres d'une critique particulièrement remontée;
très clairement il lui fut tout de suite reproché son instrumentation
massive, la grossièreté de ses thèmes et -plus anecdotique-
la présence d'un cor anglais dans le contingent orchestral. On sait
qu'entre-temps l'oeuvre a pris une belle revanche sur ses détracteurs
en étant soignée par de grands chefs et assez souvent gravée.
Est-ce de l'inculture ou de la surdité mais je ne puis que donner
raison à mes méchants confrères de l'époque.
S'il n'y avait pas ce très joli second mouvement, presque tout en
pizzicati, cette symphonie m'aurait littéralement endormi. Inutile
d'exposer mes arguments, ils sont à l'image de ceux cités
plus haut, à une importante nuance près : ce solo de cor
anglais est une véritable merveille, qui tire la partition de son
aphasie. À cet égard, Raphaël Pallacios a fait montre
d'une belle maîtrise de son cor anglais et, malgré un son
légèrement couvert (pas uniquement par les toux), a séduit
l'assemblée. Philippe Herreweghe montre une belle maîtrise
du découpage des sons, par contre ses cordes sont vraiment brouillonnes
ce qui ne fait que plomber encore un peu plus la symphonie du pauvre Franck.
Le Requiem de Fauré, par contre,
met en évidence la maîtrise presque sublime que Philippe Herreweghe
a obtenu de ses choeurs. Stephan Genz le beau baryton allemand est couvert
par l'orchestre dans sa première intervention; peut-être n'est-il
pas acoustiquement idéal de placer les deux solistes derrière
les violoncelles et les altos. Dans sa deuxième intervention, sa
voix prend de l'ampleur et tient tout à fait la mesure face aux
choeurs. Reste la petite Johanette Zomer qui a un peu de mal à contenir
son vibrato dans le forte et qui abuse du détimbrement pour amplifier
la juvénilité de son Pie Jesu (prononciation étrange
du latin au lieu de "Iésou", elle dit Gésu...)
Voilà donc une conclusion bien
sentie : si Philippe Herreweghe était chef de choeurs, il serait
le meilleur; en attendant on restera sceptique face à ses capacités
de chef symphonique; si vous voulez devenir riche, investissez dans les
pastilles Vicks (l'action va grimper en flèche après la publication
de cet article.) Soirée démoralisante...
Hélène
MANTE
qui remercie Benoît Jacquemin