AVANT DE
QUITTER CES LIEUX...
En 1975, l'Opéra de
Paris accueillait une nouvelle production de Faust, mise en scène
par Jorge Lavelli, espoir prometteur d'une nouvelle génération
d'artistes destinés à révolutionner l'image traditionnelle
de l'art lyrique au travers de lectures décapantes.
Aussitôt, c'est la
fureur : chez les ankylosés de la tradition, allergiques au dépoussiérage,
comme chez les furieux de modernité, maniaques du "tout-nouveau-tout-beau".
Hués et hourras, polémiques et bagarres dans la grande tradition
française de tolérance : c'était le bon temps !
30 années ont presque
passé et les exclus d'hier flirtent avec les honneurs officiels
: Lavelli est fait Chevalier de l'Ordre du Mérite, Chéreau,
autre vache sacrée, dirige un théâtre subventionné,
Serge July roule en Mercedes ... on n'attend plus que la "panthéonisation"
(toute ressemblance avec La Ferme des animaux d'Orwell ...)
30 ans ont passé,
mais la production de Faust est toujours là, indéboulonnable,
conservée dévotement telle une précieuse relique de
l'époque glorieuse, régulièrement exposée à
l'admiration des foules, telle le Saint Suaire de Turin ... en un mot,
la voilà devenue respectable.
Le hasard de la programmation
la fait alterner avec une autre icône, la production des Noces de
Figaro par Giorgio Strehler, encore plus ancienne. Le contraste est saisissant
entre ces deux spectacles : si le second trouve toujours son public, on
est plus réservé sur le premier.
C'est qu'il ne suffit pas
de se poser "contre" pour s'inscrire dans la durée : en réaction
à des traditions surannées, Lavelli supprimait "Plume au
chapeau", source pinardière miraculeuse ... tout le fatras de la
mise en scène littérale. Il introduisait ce que l'époque
considéra comme des audaces : blancheur virginale des draps, défilé
de soldats éclopés.
Il se trouve que depuis 30
ans, nous avons vu pire !
Ainsi, entre des audaces
qui n'en sont plus et un dépoussiérage à la limite
du nettoyage par le vide, le spectateur qui découvre aujourd'hui
cette mise en scène ne peut qu'être sceptique.
La rumeur publique annonce
que cette reprise sera la dernière : nous ne pouvons que nous en
réjouir.
Espérons au plus
vite une nouvelle approche de ce chef-d'oeuvre, qui mérite d'ailleurs
mieux qu'une exécution amputée de plus d'une demi heure de
musique !
Côté chanteurs,
j'attendais avec impatience le Faust de Rolando Villazon, chanteur dont
la carrière internationale démarre sur les chapeaux de roues.
J'ai été déçu par une voix qui reste d'une
ampleur limitée, un style plutôt relâché comparativement
à son récent Alfredo, une tendance à chanter bas,
une caractérisation un peu enfantine. A son actif : une bonne prononciation
du français et un suraigu généreux.
Dans cette version tronquée,
Mary Mills tire son épingle du jeu : les passages plus dramatiques
(coupés dans cette version) lui auraient posé problème;
ici, cette voix, essentiellement lyrique, surmonte sans difficulté
le rôle : colorature assurée dans l'Air des Bijoux, engagement
dans le trio final. On a entendu des voix plus belles, mais cela reste
d'un bon niveau.
Kristinn Sigmundsson chante
Mephisto comme le bottin : pas le moindre effet vocal (on a le droit d'éviter
l'histrionisme, mais là !), couleur invariable. L'ennui total.
Le Siebel de Karine Deshayes
est un petit miracle de justesse dramatique et de musicalité : on
souhaite à cette jeune artiste la belle carrière qu'elle
mérite. Dalibor Jenis est un Valentin sonore et bien chantant. On
retrouve enfin avec plaisir la Dame Marthe de Martine Mahé.
Bonne surprise dans la fosse,
de la part du vieux routier Gary Bertini, dont je n'attendais pas grand
chose : les tempi sont bien choisis, l'ensemble assez théâtral;
mais, surtout, Bertini parvient à faire ressortir de cette partition
que je m'imaginais trop connaître, des subtilités et des détails
d'orchestration parfaitement originaux.
Placido Carrerotti