C O N C E R T S
 
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LONDRES
26/06/2004

© DR
FAUST

Opéra en 5 actes de Charles GOUNOD
Livret de Jules Barbier et Michel Carré

Mise en scène : David McVicar 
Décors : Charles Edwards
Costumes : Brigitte Reiffenstuel
Lumières : Paule Constable

Faust : Roberto Alagna
Marguerite : Angela Gheorghiu
Méphistophélès : Bryn Terfel
Valentin : Simon Keenlyside
Siebel : Sophie Koch
Dame Marthe Schwerlein : Della Jones
Wagner : Matthew Rose

Choeurs, Orchestre
et Ballet du Royal Opera House
Direction : Antonio Pappano

Londres, le 27 juin 2004



DIABLEMENT RÉJOUISSANT

Après une absence de la scène londonienne de près de 20 ans, cette nouvelle production du Faust de Gounod, ouvrage cher au public britannique, constituait sans nul doute l'événement le plus attendu de la saison du Royal Opera.

Guichets pris d'assaut, marché noir, retransmission en direct : l'attente des spectateurs était au rendez-vous. Du reste, la compagnie n'avait pas lésiné sur les moyens, alignant une distribution "de rêve", avec un couple lyrique très médiatique et un baryton-basse assez "people" lui aussi. Qui plus est, un DVD était prévu en porte-clef : hélas, les appétits financiers du ténor français l'ont malheureusement fait capoter.

Le résultat est en grande partie à la hauteur des attentes : malgré ses défauts, voilà une série dont on se souviendra, et en particulier grâce à la mise en scène très spectaculaire de David McVicar qui, à l'inverse de l'insipide Faust parisien, assume toutes les conventions du genre (et même toutes les élucubrations du livret).

Au premier acte, nous découvrons une loge d'avant scène côté jardin, un orgue et les arcs-boutants d'une église côté cour, une malle au premier plan dont le coffre s'ouvre pour devenir le miroir entouré d'ampoules où Faust se démaquillera afin de rajeunir ; une toile (au travers de laquelle apparaîtra Marguerite) clôt la scène rappelant le grand rideau stylisé du Palais Garnier : pour un peu, on croirait assister au Phantom of the Opera, le musical d'Andrew Lloyd Weber qui triomphe sur West End depuis une vingtaine d'années.
La providentielle malle fournira tout le long de la soirée le matériel nécessaire : coupe, fourche diabolique et même un pied-de-biche qui sera très utile à Méphisto pour ramener à Marguerite "un trésor plus riche encore que ceux qu'elle a vus en rêves" !
En fait, comme on le comprendra par la suite, l'ingénieux décor (modulable) représente... une représentation de Faust sur la scène de l'Opéra de Paris à la création de l'oeuvre.
Ainsi, et dans la grande tradition, Méphisto émerge du sol dans un nuage de fumée, arborant "l'épée au côté, l'escarcelle pleine, un riche manteau sur l'épaule".
Une fois rajeuni, Faust exécute une roue digne d'un gymnaste, gratifie Méphisto d'un coup de fourche sur le postérieur, et quitte la scène dans un éclat de rire.

Le rideau de fond se lève pour le deuxième acte, s'ouvrant sur une perspective pisseuse d'immeubles vétustes : la foule, habillée comme en 1870, porte un Christ en procession tandis que des enfants courent de part et d'autre en criant "Vive la guerre" et en lapidant une effigie du Kaiser.
Entourés d'inquiétants diablotins mi-acteurs, mi-acrobates, Méphisto fait jaillir du vin du flanc du Christ, s'en repaissant avec délice ; après un duel où Valentin brise son épée tandis que le Christ s'effondre simultanément, la foule se retire en se protégeant d'une croix, ce qui ne suscite qu'un sourire méprisant et sarcastique de Méphisto.
Nouveau changement de décor pour la "Valse" qui termine l'acte : nous voici au cabaret "L'Enfer", dans l'entrelacs des piliers de la Tour Eiffel ; en fait de valse, nous auront droit à un french cancan endiablé. Pour l'occasion, Faust abandonne sa fourche pour une canne, ses cornes pour un haut de forme et son pourpoint pour un frac !

L'acte III est de facture plus convenue, l'appartement misérable de Marguerite apparaissant au milieu du décor de la première scène de l'acte II.

Au début du IV, Marguerite prie au pied d'une gigantesque statue (vous aurez deviné qu'il s'agit de Méphisto lui-même) tandis que c'est Faust lui-même qui joue de l'orgue.
A la scène suivante, le "Gloire immortelle" est exécuté par une troupe militaire dont le piteux état provoque les sarcasmes de nos diablotins ; quand tous sont partis, seule reste en scène une triste femme, une fillette à la main, éphémère moment d'émotion de la soirée. Le reste est très classique, la mort de Valentin ne semblant pas avoir inspiré McVicar.
La production bascule avec la Nuit du Valpurgis : les "Reines de Beauté de l'Antiquité" sortent elles aussi du sol, accueillies par un Méphisto travesti en Comtesse de Castiglione, sorte de "drag queen" barbue, habillée en Reine Victoria avec diadème et gants mi-bras.

Tandis que Faust est "en plein trip" (les injections de drogue sont à la mode en Angleterre, depuis Sherlock Holmes), le ballet attaque le premier mouvement dans une chorégraphie démarquée de "Giselle" au milieu d'un décor de toiles peintes vues de derrière, le fond de la scène étant fermé par une peinture représentant la salle de l'Opéra.

Pour le second mouvement, une ballerine blonde (Marguerite) vient se glisser parmi ses consoeurs qui, bien vite, remarquent son état et la raillent en hurlant "Enceinte ! Elle est enceinte !".

Au troisième mouvement, entourée des "sylphides", Marguerite danse avec Faust une parodie de ballet romantique : les figures usuelles du vocabulaire du ballet classique sont dévidées alors que Marguerite se tord de douleur sous l'effort.

Au dernier mouvement, Marguerite est chassée par ses consoeurs, transformées en véritables harpies ; Valentin (le vrai cette fois, Simon Keenlyside) apparaît ensanglanté et, dans une variation finale, s'écroule une seconde fois transpercé sous les coups d'épée des ballerines.

Comme on voit, une série de scènes choc, dont on sort mal à l'aise ; un véritable coup de poing à l'estomac.

L'ambiance retombe avec la scène de la prison où l'on retrouve le décor de l'acte I et une grille qui sépare Faust et Méphisto de quelques démentes habillées et coiffées à l'identique ; la scène qui suit le trio est assez énigmatique : cet ange aux ailes noires est-il un envoyé de Dieu ou du diable ? On ne sait : Marguerite sombre dans sa folie, Méphisto redescend aux enfers alors que ses diables gémissent et Faust retourne à sa malle pour reprendre son apparence initiale.

Défaut majeur de tout ceci : un incontestable manque de cohérence, un certain nombre de passages à vide et peu d'émotions. Au positif, une production incontestablement spectaculaire qu'on reverra avec plaisir et qui tranche passablement avec l'ordinaire de la maison.

Mais, nous le disions plus haut, tout l'intérêt du public était fixé sur la prestation des chanteurs. Comme nous allons voir, chacun se situe à un très haut niveau et on en regrette d'autant plus les coupures pratiquées : scène 1 de l'acte IV ("Air de la Chambre" de Marguerite et air de Siebel qui suit) et les couplets bachiques de Faust à l'acte V ; bizarrement, quelques mesures supplémentaires sont octroyées à Valentin pour sa scène finale.
Dans le rôle du Docteur Faust, Roberto Alagna est tout simplement superbe de style et de phrasé. Maîtrisant parfaitement le souffle, il incarne une tradition quasi belcantiste du rôle titre, dans la lignée d'un Alfredo Kraus. Les suraigus sont de toute beauté (et parfois tenus au-delà du raisonnable, mais ne boudons pas notre plaisir), la diction impeccable : un régal.
L'artiste peine en revanche à varier les couleurs de la voix : à la longue, il finit même par lasser un peu, un comble eut égard à la qualité de son chant.
Scéniquement, nous retrouvons le cabotinage habituel dont nous gratifie trop régulièrement cet artiste : la main sur le coeur, l'oeillade assassine à destination de la bouchère du premier rang, le sourire ravageur du démonstrateur de colle pour dentiers... Heureusement, David McVicar réutilise ces défauts pour transformer notre Faust jeune en joyeux fêtard à la limite du meneur de revue : en frac et chapeau haut de forme, noeud papillon dénoué et canne sur l'épaule, notre ténor a tout du Maurice Chevalier de la belle époque.
En définitive, du beau chant, mais guère de noblesse et aucun sentiment : ce Faust nous épate plus qu'il ne nous émeut.

Angela Gheorghiu est presque à l'exact opposé : la voix n'est pas aussi à l'aise, avec quelques trous dans le bas medium, la diction n'est pas toujours très claire, les vocalises sont un peu à l'arrachée : seulement voilà, il suffit qu'elle ouvre la bouche pour que l'émotion passe ; une morbidezza unique, une variation constante des couleurs de la voix, un jeu généralement sans outrance (un ou deux effets à la limite du vérisme tout de même) : voilà une magnifique incarnation de la pitoyable héroïne de Goethe.


(Bryn Terfel) © DR

En Méphisto, Terfel peaufine son incarnation de méchant déjà proposée aux spectateurs parisiens dans Les Contes d'Hoffmann (tout récemment publiés en DVD) : dominant son entourage de sa stature imposante, il n'éprouve pas le besoin de forcer sa caractérisation pour être inquiétant ; l'inconvénient c'est que, les yeux fermés, il ne se passe plus grand-chose et l'on reste quelque peu sur sa faim dans une réécoute sans support visuel ; à quelques moments parfois, il se relâche inexplicablement, nous gratifiant notamment d'une "sérénade" indigne, les valeurs n'étant même plus respectées dans des éclats de rire plus proches de l'aboiement que du chant.

Le Valentin de Simon Keenlyside remporte l'unanimité des suffrages du public : scéniquement de belle prestance, dispensant une voix magnifique avec juste ce qu'il faut d'émotion, c'est un véritable luxe.

On peut en dire largement autant du Siebel claudiquant de Sophie Koch, pourtant moins applaudi ("tubes" obligent) : dans ce rôle habituellement sacrifié à des jeunesses peu aguerries ou à des vétérans à bout de souffle, la mezzo française offre tout ce qu'on peut attendre de mieux : mezza voce, pianissimi, aigus forte, les moyens sont au rendez-vous ; ils sont utilisés avec intelligence et finesse : rarement le personnage un peu falot de Siebel nous aura paru aussi humain et touchant.

Matthew Rose est un Wagner efficace, sonore et bien chantant ; plus problématique se révèle la Dame Marthe de Della Jones, au timbre par trop juvénile, mais qui fait bien son âge dès lors que ses moyens vocaux sont effectivement sollicités.

Antonio Pappano dirige avec ardeur un orchestre et des choeurs en progrès : on aurait sans doute pu imaginer davantage de raffinement, mais, comme on l'aura compris, ce n'était pas vraiment ni le lieu ni le moment. Sa direction revigorante sait, à défaut d'émotion, communiquer beaucoup de plaisir et d'enthousiasme. Une lecture qui se défend et que la réussite globale de la soirée justifie totalement.
 
 
 

Placido CARREROTTI
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