L'opéra
le plus célèbre au monde - avec la Carmen de Bizet
bien sûr - a attendu vingt-cinq ans avant de retrouver le soleil
monégasque et a soulevé une petite tempête de protestations
au baisser de rideau. Preuve de son éternelle jeunesse !
Bien que basé sur la seule première
partie de l'oeuvre de Goethe, l'ouvrage concentre l'action autour du personnage
de Marguerite. Ce n'est pas pour rien que les Allemands l'ont rebaptisé
Margarete...
Le plébiscite parisien et les
louanges d'un Debussy ou d'un Berlioz à la création
en 1864 (tous deux y virent une source d'inspiration inépuisable
de joies mélodiques) ont très tôt attiré les
foudres d'un autre public. Celui qui considère cet incontestable
chef-d'oeuvre comme un grandiose monument de poussière et d'ennui
avec un massacre en règle du mythe - profondément métaphysique
- réduit à une banale histoire d'amour. Le caractère
pompier de certaines pages apportant de l'eau à leur moulin. Il
est vrai aussi que le personnage de Méphisto ne figure ici qu'un
Diable de carton-pâte et paraît la caricature de celui de Berlioz,
d'une toute autre complexité...
Il faut donc une sacrée dose
de culot à tout metteur en scène pour s'attaquer à
ce pilier du répertoire sans verser dans le ridicule ou la bondieuserie
saint-sulpicienne (grosso do tout ce qui, dans l'Hexagone, se fait
en province).
© DR
David Mc Vicar donne un salutaire coup
de balai à tout cela. Du dépoussiérage efficace, drôle
parfois, un somptueux livre d'images fortes avec, toutefois, une pointe
de déjà vu pour certains globe-trotters lyriques : Méphisto
en distributeur de billets de banques dans la Ronde du Veau d'Or (Carsen),
un Siebel boiteux (Joël), une Marguerite tondue et un Faust en double
vestimentaire de son Mentor (Lavelli), une Nuit de Walpurgis qui tourne
à la partouze avec son Diable en travelo (Ronconi ou Russel ?)...
On en passe et des meilleurs.
Finalement, pas de quoi fouetter un
chat. Annoncé comme sulfureux, le spectacle n'a certainement pas
ébranlé le Rocher avec sa timide bronca toute méridionale
au salut final.
Vocalement, le spectateur n'est pas
toujours à la fête. Grippé, le Bulgare Orlin Anastassov
sauve le spectacle et y laisse ses plumes noires d'Ange Maudit. Dans un
français approximatif, l'acteur l'emporte sur le chanteur, pourtant
capable ça et là de donner un certain relief aux morceaux
tant attendus.
Sans doute le plus mauvais Faust
de la discographie, Paul Charles Clark (sévèrement sanctionné
par le public), là encore dans un français indigne, pas toujours
dans la portée, voix d'opérette promue un soir demi caractère,
nous fait regretter les Vanzo, Gedda et autre Chauvet.
Avec Angela Gheorghiu, le malaise s'installe
dès l'acte du Jardin. Ports de voix à la pelle, graves abyssaux,
vocalises approximatives pour un tristounet Air des Bijoux (Guiot
!), trio final sans vraie projection, chant vériste à la
nausée. Molle de diction, minaudant ou hystérique, la belle
Roumaine s'enlise totalement dans un minimum syndical indigne. A-t-elle
vraiment approfondi son personnage et travaillé la partition depuis
ses représentations londoniennes ? Qu'importe finalement. Son brelan
d'admirateurs lui a fait un triomphe sonore et sans doute téléphoné.
Carole Wilson, truculente, sympathique
Dame Marthe érotisée à l'extrême, Jean-François
Lapointe, Valentin macho et cynique à souhait, et la toujours parfaite
car efficace Marie-Ange Todorovitch en Siebel claudiquant, pathétique
et sonore, relevaient par bonheur le niveau de l'ensemble.
Même Jean-Claude Casadesus ne
semblait guère convaincu à son pupitre. Entre gris clair
et gris foncé, sa direction chaloupée, bien peu visionnaire
(on dirait parfois du plus mauvais Meyerbeer), manquait souvent de poésie
et de rigueur.
Christian COLOMBEAU