C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
NAPLES, SAN CARLO
27/03/04

(© Luciano Romano)
Charles GOUNOD (1818-1893)

FAUST 

Drame lyrique en cinq actes sur un livret de Jules Barbier
et Michel Carré d'après le Faust de Goethe 

Direction musicale : Yves Abel
Mise en scène : Jean-Louis Martinoty
Décors : Hans Schavernoch
Costumes : Daniel Ogier
Lumières : Luigi Saccomandi
Choeurs et Orchestre du San Carlo
Chef de choeurs : Ciro Visco

Faust : Marcelo Alvarez
Marguerite : Darina Takova
Méphistophélès : Ruggero Raimondi
Valentin : Franco Vassallo
Siebel : Anna Bonitatibus
Marthe : Marianna Cappellani
Wagner : Alex Esposito

Théâtre du San Carlo de Naples

Nouvelle production

Représentation du 27 mars 2004



Etre original et dépoussiérer un Nième Faust n'est certes pas facile !

Jean-Louis Martinoty a habitué le public de l'Opéra de Paris à des mises en scène nouvelles, dérangeantes, parfois exagérément. Il s'en est donné à coeur joie dans cette nouvelle production du San Carlo de Naples, voulant sans doute marquer de sa patte cette oeuvre comme l'avait fait en son temps Lavelli à Bastille.

Dès le lever du rideau, l'attention est captée par un décor en triptyque : à gauche l'Eden, avec jardin, bosquets, fleurs, à droite l'Enfer, avec bacchanale et personnages hideux, au centre, la ville de Naples, figurée par l'entassement d'immeubles, les fouilles de la colline du Vomero et sans doute une éruption du Vésuve.
Une partie du décor s'ouvre sur un gourbi genre étude notariale des siècles passés aux clercs penchés sur leurs grimoires. Au premier plan, un Faust vieux, grimaçant, fumant, marche péniblement. On réalise assez vite que la voix sourde et sans éclat qui vient du fond du plateau n'est pas celle de ce vieillard qui chante. Cette astuce scénique destinée à accentuer la transformation, le rajeunissement de Faust est intéressante, mais il faut bien admettre que c'est la porte ouverte au play-back, totalement impensable à l'opéra !


(Marcelo Alvarez)
© Luciano Romano

La kermesse du deuxième acte est un pastiche des concours de danse retransmis à la télévision avec des danseurs qui portent un numéro dans le dos. Ils tourbillonnent dans une valse "endiablée" puis les protagonistes en frac sont peu à peu remplacés par des squelettes...

L'acte III dit du jardin est assez réussi, créant l'atmosphère par un jeu de panneaux où sont peintes de grandes fleurs exotiques. Marguerite apparaît sur un petit balcon qui s'ouvre dans le haut du décor. Le parallèle entre les scènes de séduction des deux couples est assez innovant : alors que Méphisto occupe Dame Marthe pour détourner son attention des amoureux, on peut lire sur les lèvres de Faust les paroles que Mephisto est en train de chanter. L'envoûtement de Marguerite par ce machiavélique et très subtil diable, physiquement présent, est figuré par l' enveloppement de la jeune fille à l'aide d'un sautoir de grosses perles de plusieurs mètres et par un étincelant collier à tête de serpent.

La scène de l'église est très forte même si, selon le Corriere della sera, Martinoty a dû édulcorer sa mise en scène après la protestation d'une quinzaine de choristes qui refusaient de chanter si un passage où le crucifix se voyait piétiné n'était pas supprimé. Le jeu des panneaux et des lumières fait apparaître une immense nef en croix, toute noire, l'assistance priant de chaque côté en tournant le dos à la salle. Mephisto empêche Marguerite d'entrer dans le lieu saint, les fidèles se retournent en brandissant leurs chaises, lui font barrage et la font trébucher puis tomber en transe.

Le retour des soldats à l'acte IV est évoqué par un cercueil couvert d'un drapeau et porté par quatre soldats qui lui rendent les honneurs militaires, suivis des éclopés, blessés à vie, puis viennent les valides, tristes, désabusés, comme dans une vraie guerre en somme ! L'esclandre entre Mephisto et Valentin qui veut se battre contre le séducteur est suggéré par un habile jeu d'épées qui apparaît et disparaît, transformant Faust en assassin malgré lui.

La Nuit de Walpurgis, sans son ballet, devient une parodie de la Cène au cours d'un banquet où Mephisto a réuni autour de lui douze "Reines de beauté de l'antiquité",qui sont autant de mannequins de cire. Il rompt le pain et offre à boire à Faust dans un calice ; certes, on est en enfer, mais quel sacrilège aux yeux des chrétiens. Il n'y a pas que le monde du cinéma qui choque les croyants actuellement ! Le fantôme de Marguerite, autre mannequin de cire, apparaît dans un rayon lumineux, Mephisto le chasse ... et lui décolle le chef d'un revers de main.


(Marcelo Alvarez & Darina Takova)
© Luciano Romano

Le comble du mauvais goût est justement atteint au final lorsqu'on assiste à la décapitation de Marguerite sur un échafaud, en hauteur, afin que tous puissent profiter du spectacle du bourreau, son propre frère, qui l'exécute. La tête de Marguerite se désolidarise de son corps, tombe sur la scène avec un son mat et sourd. On se croirait au "boulevard du crime"... Ce passage grand-guignolesque, parfaitement inutile et déplacé, est encore renforcé par le geste de Siebel au moment de l'apothéose de Marguerite absoute. L'éternel amoureux ramasse la tête de Marguerite, la dépose religieusement dans une châsse dorée puis conduit une procession de fidèles !
Sur le plan vocal, Darina Takova (soprano bulgare) interprète magnifiquement le rôle de Marguerite, articulant fort bien le français qu'elle ne parle absolument pas. Sa voix est ronde, le médium et l'aigu bien projetés sans excès, avec des demi-teintes qui accentuent la jeunesse du personnage. Elle livre une ballade du Roi de Thulé intériorisée et son air des bijoux, si souvent galvaudé, est donné avec douceur et éclat.

Le Faust de Marcelo Alvarez s'avère brillant, avec un aigu somptueux. Sa cavatine, où il tient le fameux contre-ut plusieurs secondes et son si dièse dans l'accompagnement de l'air final "anges purs, anges radieux", lui valent une ovation méritée du public. On ne peut que regretter sa relative gaucherie comme acteur.

Le rôle de Méphisto n'a plus aucun secret pour Ruggero Raimondi qui pourtant l'endosse pour la première fois dans ce magnifique théâtre San Carlo. Son registre grave est appauvri, mais on souhaite à beaucoup de barytons-basses de conserver ce médium et cet aigu. Sa tenue de scène est unique tant il est crédible, se meut avec aisance, et parvient à traduire le machiavélisme du rôle par ses intonations, ses gestes précis sans jamais être emphatiques. Il reste un comédien très convaincant.

Franco Vassallo défend bien le rôle de Valentin, souvent confié à un baryton sans grande envergure, et triomphe particulièrement dans l' air "ô sainte médaille". Sa voix est sans doute un peu ténorisante, mais elle est claire, sonore et percutante.

Yves Abel assure la direction de l'orchestre du San Carlo. Ce chef canadien qui jouit maintenant d'une réputation internationale a commencé sa carrière au festival Rossini de Pesaro et a déjà dirigé Faust à Bastille. Il sait tirer des musiciens de Naples une sonorité moelleuse, ample quand il le faut tout en évitant de sombrer dans le pompiérisme qui plombe parfois le retour des guerriers ("gloire immortelle de nos aïeux"), et caractérise les émotions, souligne les climats de la partition avec une justesse de ton remarquable.

Finalement, le principal intérêt de cette production réside dans le parti pris original de Martinoty, qui a voulu faire de son Mephisto la figure centrale de Faust. Le diable se révèle un élément idéologique positif, sinon sympathique, parce qu'il lutte contre la vanité bourgeoise, l'hypocrisie religieuse, la stupidité des guerres, l'illusion du paranormal et des paradis artificiels. La puissante incarnation de Raimondi et son intelligence dramatique sont évidemment pour beaucoup dans l'émergence de cette lecture relativement inédite.
 
 

E.G. SOUQUET
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]