C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
18/11/2006
  
© DR

Pascal Dusapin (né en 1955)

FAUSTUS, THE LAST NIGHT


Opéra en une nuit et onze numéros (2006)
Livret du compositeur d’après
The tragical History of Doctor Faustus
de Christopher Marlowe (1588)

Mise en scène : Peter Mussbach
Décors : Michael Elmgreen et Ingar Dragset
Costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Lumières : Sven Hogrefe
Live electronics  : Thierry Coduys – La Kitchen
Dramaturgie : Ilka Seifert

Georg Nigt : Faustus
Urban Malmberg : Mephistopheles
Robert Wörle : Sly
Jaco Huijpen : Togod
Caroline Stein : The Angel

Direction musicale : Jonathan Stockhammer
Orchestre de l’Opéra national de Lyon

Paris, Théâtre du Châtelet, le 18 novembre 2006

Godot es-tu là ?


Plus que celui de Christopher Marlowe, inspirateur déclaré du livret, plus que celui des Faust de la littérature et des célèbres ouvrages lyriques qui ont précédé, c’est clairement l’esprit de Samuel Beckett qui a hanté Dusapin durant la composition de ce Faustus. L’œuvre a été créée cette année à Berlin en janvier, reprise à l’Opéra National de Lyon en mai, puis donnée trois fois à Paris au Théâtre du Châtelet devant un public attentif mais assez froid.

À mi-chemin entre la représentation théâtrale et le ballet-pantomime Faustus, the Last Night s’impose, impressionne, force l’admiration, sans toutefois émouvoir tant les personnages — à l’exception de celui de Sly, témoin parachuté dans l’action comme son homonyme shakespearien dans La Mégère apprivoisée — apparaissent désincarnés.

L’unique décor est un immense cadran de pendule en plan incliné qui sert efficacement la mise en scène de Peter Mussbach d’une rigueur et d’une précision horlogère. Cette surface lisse, glissante où rien ne peut rester stable, accentue l’expression allégorique du problème existentiel tourmentant Faustus « Pour qui suis-je ? ». Tout en symbolisant le temps qui passe, les deux aiguilles géantes que les chanteurs tentent parfois de chevaucher s’avèrent indomptables. Dans cet univers glacial, sont parachutés des accessoires décalés comme le petit ballon blanc gonflé d’hélium sensé représenter le cosmos, le grand sac en papier de magasin de luxe où se réfugie, toujours présent mais impuissant, l’ange de lumière vêtu comme Marlène Dietrich, le rutilant appareil ménager en acier chromé d’où s’échappent des sons familiers de notre époque. Et avant de conclure, comble d’autodérision face à la grande question métaphysique qui sera enfin résolue par l’absurde, les costumes de gros lapins en peluche revêtus par Mephistopheles et Togod (anagramme de Godot, bien évidemment !)

La musique est une nappe sonore intersidérale qui s’étire en continuum. Voix, instruments d’orchestre et sons électroniques live se mêlent, se superposent, s’écoulent en donnant la sensation qu’il n’existe aucune raison pour que cela cesse. Arrivent du néant : bribes de phrases dans un anglais parlando rarement compréhensible, coups de boutoir, de maillet, de gong, claquements de mains, plaintes humaines chantées en solo ou en canon avec cris déchirants, spasmes psychotiques, rires sardoniques et visqueux, notes tenues, cuivres clownesques, craquements, onomatopées, bruits de liquides agités, marche funèbre orchestrée avec emphase. C’est un éternel retour sur soi, exprimé par des phrases sonores inachevées, prolongées en écho, voire différées. Un balancement perpétuel.

Costumes, coiffures et maquillages répondent à l’esthétique de la mise en scène ; les éclairages très bien maîtrisés sont souvent superbes. Renforçant l’attention que l’on porte à la musique, le traitement visuel est ici plus qu’un complément : une nécessité. Les voix des barytons (Faust et Togod), de la basse (Mephistopheles), du soprano colorature (l’Ange) et du ténor (Sly) sont tellement imbriquées avec les parties instrumentales des deux orchestres et la musique synthétisée que l’on se refuse à les dissocier, à les décrire et encore plus à les évaluer.

Peu à peu, on comprend que tous les possibles sonores se trouvent dans le Grand Tout à la fois si attachant et si terrifiant pour l’homme. Grincements, grognements, gémissement, gargouillis, ronflements se tarissent. « Where should this music be ? » La question reste entière.


Brigitte CORMIER
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]