Cette
coproduction fut créée au Liceo l'an dernier ; dire qu'elle
avait laissé un souvenir impérissable dans ses aspects scéniques
serait mentir. García Valdés a conçu un décor
unique polyvalent : un grand rocher gris devient montagne ou grand tronc
d'arbre en fonction des actes. Costumes (d'inspiration médiévale)
et lumières s'inscrivent dans une tradition sans surprise.
Le changement principal est que Rizzi
Brignoli dirige vraiment La Favorite, alors qu'au Liceo Richard
Bonynge avait manipulé (empruntant parfois à la version italienne
traduite) et surtout coupé dans la partition. Nous entendons ici
toutes les cabalettes avec reprise mais aussi un final de l'acte III complet.
Seul le ballet demeure aux oubliettes. Dès l'ouverture, sa direction
montre une vivacité convaincante. La prestation des choeurs se hausse
à un très bon niveau, excepté la prononciation du
français, perfectible. Ce reproche peut s'étendre à
l'ensemble des solistes.
L'alternance de deux distributions
permettait des comparaisons intéressantes.
Du côté des voix masculines,
Manuel Lanza assurait les deux représentations, et l'on regrette,
en entendant son timbre souvent engorgé l'interprétation
de son compatriote Carlos Alvarez, dont l'émission est plus solide.
Lanza semble peu à l'aise dans l'aigu, qu'il chante fréquemment
en dessous. Stefano Palatchi, seul Baltasar programmé, présente
un médium et un grave riches et bien timbrés ; il est donc
dommage que l'aigu perde en harmonique, sonne voilé et enlève
de l'impact à la colère du personnage.
Deux ténors alternaient dans
le rôle de Fernand. Raúl Giménez possède un
timbre assez agréable et sa ligne de chant est soignée ;
toutefois l'air d'entrée le montre tendu (il évite le contre-ut
dièse) et il sera annoncé souffrant, curieusement après
le deuxième entracte. La voix de José Bros est un peu nasale
mais suffisamment projetée. Pendant toute la représentation,
il fait preuve d'un phrasé élégant appuyé sur
un bon contrôle du souffle. Les aigus sont assurés avec crânerie,
l'ut dièse (ou l'ut du dernier acte) est tenu. Bros a bien progressé
depuis sa Favorite d'il y a cinq ans au Palau de la Musica de Barcelone.
Scéniquement, les deux ténors sont comparables et restent
assez statiques.
Côté féminin,
saluons d'abord la voix fruitée et juvénile de Susana Cordón,
Inès idéale, mais rôle fort court, hélas. La
comparaison de nos deux Léonore devient particulièrement
excitante. Sonia Ganassi chante une Favorite très musicale, assez
retenue dans son jeu. Les graves et le bas médium manquent un peu
de corps. Il faut dire que l'autre Léonore est une Dolora Zajick
d'une santé vocale insolente, capable de piani, de demi-teintes
mais aussi voix torrentielle quand elle le veut. Les graves sont puissants,
l'aigu triomphant. La direction énergique de Rizzi Brignoli dans
"Ô mon Fernand" et la cabalette qui suit oblige la mezzo à
se surpasser. Elle intercale même un ut dièse avant la reprise
de "Mon arrêt descend du ciel" : comment rivaliser avec un tel don
de la Nature ?
Sans nul doute une cantatrice à
l'apogée, éclipsant toute rivale à l'heure actuelle.
Valéry Fleurquin