Biondi
débridé
C'est à Naples, sa ville natale,
que Nicola Conforto connaît ses premiers succès en tant que
compositeur d'opéras. Après s'être essayé avec
bonheur au genre buffa, il se tourne vers l'opera seria avec
Antigono, sur un livret de Metastasio dont la création au
San Carlo en 1750 obtient un triomphe tel que sa réputation s'étend
au-delà des frontières. C'est alors que le castrat Farinelli,
qui était à cette époque au service du roi d'Espagne
Ferdinand VI, lui commande un opéra sur un autre livret de Metastasio,
Le Cinesi, que Caldara avait déjà mis en musique en
1735 (1). L'oeuvre fut représentée en
1751, le jour de la Saint Ferdinand, en l'honneur du souverain, sous le
titre La Festa cinese, le librettiste ayant pour l'occasion remanié
son texte. Conforto devint par la suite compositeur de la cour jusqu'en
1758, il y donna pas moins de sept opéras, presque tous sur des
livrets de Metastasio.
L'action se déroule en Chine.
Dans son salon richement décoré, Lisinga reçoit deux
amies : Sivene et Tangia. Les trois femmes décident, pour passer
le temps, de faire du théâtre, "un art qui n'est commun qu'aux
pays d'Europe", sous l'oeil intéressé de Silango, le frère
de Lisinga. Celle-ci prône la supériorité de la tragédie
et propose un monologue d'Andromaque. Sivene préfère l'innocence
d'une fable pastorale mettant en scène un berger et une bergère
dans un décor bucolique. Silango en profite pour lui donner la réplique,
au grand dam de Tangia qui a un faible pour lui et qui, son tour venu ,
vante les mérites de la comédie "qui sait montrer les travers
des hommes" avant de se lancer dans un portrait moqueur du jeune homme.
Soudain, Lisinga s'avise que ce jour est celui de la fête du roi
d'Espagne et ne sachant lequel des trois thèmes choisir pour célébrer
l'événement, tous optent finalement pour le ballet.
Ce livret offre au compositeur la possibilité
d'exploiter les différentes facettes de son art en juxtaposant des
scènes de styles extrêmement divers voire diamétralement
opposés au sein d'une oeuvre aux proportions réduites, le
tout dans la tradition de l'opéra napolitain.
Pour défendre cet ouvrage le
Festival de Montpellier a réuni autour de Fabio Biondi un quatuor
vocal d'une belle homogénéité : Maria Grazia Schiavo
campe une Sivene délicate et sensible. Son timbre clair de soprano
léger illumine la scène champêtre qu'elle chante avec
Silango. On lui pardonnera volontiers un soupçon d'acidité
dans le haut de la tessiture, d'autant qu'ici chaque personnage n'a qu'une
scène pour faire ses preuves.
Marta Almajano est une Lisinga de grande
classe dont le monologue tragique "Il barbaro m'affretta alla scelta crudel"
est déclamé avec une émotion contenue et une impeccable
ligne de chant.
Lucia Cirillo, qui a déjà
à son répertoire des rôles tels que Idamante (Idoménée)
et Isolier (Le Comte Ory), possède une voix chaude et sensuelle
qui convient bien au rôle travesti de Silango, notamment quand il
joue les bergers amoureux. Assurément, une interprète dont
on reparlera.
Enfin, Silvia Tro Santafé prête
son timbre d'airain à Tangia dont elle restitue finement le dépit
amoureux puis l'ironie mordante.
Fabio Biondi dirige avec fougue et
précision cet opéra miniature dont il parvient à traduire
les affects variés tout en préservant son unité musicale.
l'Europa galante offre de somptueuses sonorités, notamment le pupitre
des cordes, d'une grande virtuosité, en particulier dans l'ensemble
final qui sera bissé.
Un seul regret cependant, la brièveté
du concert - une heure à peine, bis compris - laisse le public sur
sa faim. On aurait souhaité une première partie avec quelques
pages orchestrales ou, pourquoi pas, une autre version du livret, celle
de Caldara par exemple ?
France-Musiques retransmettra cette
soirée le 3 septembre prochain.
Christian PETER
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(1) Trois ans après Conforto,
Gluck mettra à son tour Le Cinesi en musique : l'ouvrage,
créé à Vienne en 1754, a été gravé
par René Jacobs et vient de ressortir chez Deutsche Harmonia Mundi.