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BREST
15/04/2008
Ensemble Matheus
© DR
Antonio Vivaldi (1678-1741)
La Fida Ninfa
Opéra en 3 actes sur un livret de Scipione Maffei (1732)
Veronica Cangemi : Morasto
Anna Maria Panzarella : Licori
Philippe Jaroussky : Osmino
Barbara di Castri : Elpina / Giunone
José-Manuel Zapata : Narete
Lorenzo Regazzo : Oralto / Eolo
Ensemble Matheus
Direction musicale : Jean-Christophe Spinosi
Brest, Théâtre du Quartz, le 15 avril
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Vivaldi, c'est fini !
L’ultime conquête vivaldienne de l’Ensemble Matheus aura donc été une reprise, celle de la Fida Ninfa, jouée en 2004 entre Orlando Furioso et la Griselda,
mais bizarrement ignorée par les micros. Après cette
tournée débutée à Brest, et qui se
poursuivra à Vienne, Madrid, Bruxelles, Paris et Toulouse,
l’erreur sera réparée, une intégrale
enregistrée, et le cycle Vivaldi, terminé !
A l’inverse des précédents opéras du prêtre roux défendus par Spinosi et son orchestre, la Fida Ninfa
n’est pas une alternance quasi-systématique de
récitatifs et d’airs. Au contraire, duos, trios et
ensembles parsèment l’action bien obscure de cette
œuvre où se mêlent le sacré et le
marivaudage, les tourments personnels et le bonheur des retrouvailles
collectives. Une belle manière pour l’Ensemble Matheus de
conclure toutes ces années passées en compagnie de
Vivaldi : son 35e opéra, par sa richesse musicale son
originalité, regarde vers l’avenir, les dernières
années du baroque puis le classicisme, qui seront
peut-être les prochains rivages foulés par la formation
brestoise.
Pour l’occasion, Jean-Christophe Spinosi ne se départit
pas de sa fougue habituelle. La netteté des attaques, le sens
des nuances, la mise en valeur adéquate de tel ou tel solo,
dévoile une connaissance intime du répertoire vivaldien.
L’orchestre n’est jamais le simple accompagnateur des voix,
ou même un commentateur ; il est l’un des principaux
moteurs de l’action, et fait vibrer les chanteurs pour
qu’ils se donnent entièrement au drame et à
l’œuvre.
La distribution, en conséquence, emporte l’adhésion. Veronica Cangemi (*)
sait faire briller toute la palette de ses talents avec Morasto :
la virtuosité, dans le redoutable « Destin
avaro », la sensibilité à fleur de peau, dans
« Dolce fiamma », rien ne manque à la
soprano argentine, si ce n’est un soupçon de
virilité chez ce personnage masculin (mais sans les artifices du
théâtre, il n’est pas facile de rendre
crédible un rôle travesti). Pour couronner le tout, les
variations, lors des da capo, sont remarquablement inventives, et
toujours très impressionnantes, sollicitant les extrêmes
de l’ambitus. Triomphe également, on s’en doute,
pour Philippe Jaroussky. Le
timbre, toujours cristallin, fait pourtant un Osmino à peine
moins féminin que son frère Morasto, mais là
encore, version de concert et livret abscons obligent, on retient
surtout la voix. Et quelle voix ! C’est ici la façon de
faire corps avec l’orchestre qui éblouit : à
plusieurs reprises, le chant semble littéralement
s’extraire des pupitres de l’Ensemble Matheus. La
complicité entre le chef et le contre-ténor n'est
sûrement pas étrangère à ce superbe
résultat ! Anna Maria Panzarella
est une Licori noble et racée (dont la dignité se fissure
le temps d'un admirable « Alma opressa ») et,
après un début difficultueux, Barbara di Castri impose
une agréable Elpina, puis une Junon rayonnante. Quant à Lorenzo Regazzo,
que ce soit en Oralto ou en Eolo, il est l'éloquence même,
et l'aisance vocale incarnée. Seul José Manuel Zapata
déconcerte quelque peu, avec son timbre légèrement
aigrelet et son émission hétérogène,
même s'il réussit à peindre une touchante figure de
père.
La soirée est par ailleurs transcendée par la bonne
humeur qui règne sur scène entre les interprètes,
et qui finit par s'étendre à l'ensemble de la salle. A
tel point qu'à presque minuit (la soirée débutait
à 20h30 !), devant les réclamations du public, le chef
consentit à rejouer le choeur final en guise de bis : « Il est très tard, mais vous l'aurez voulu ! » - et on en redemanderait presque !
Clément Taillia
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