Dans la brochure pliée en 8
qui fait désormais office de programme, comme dans d'autres Opéras
qui cherchent à faire des économies, nous lisons avec surprise
une "Lettre du metteur en scène au spectateur" qui nous indique
que le metteur en scène , Bernard Broca, n'a pas souhaité
figurer dans le programme. En effet, ce Fidelio, est une reprise d'un spectacle
de 1994. La mise en scène que Bernard Broca avait conçue
alors présentait en effet une particularité étonnante:
elle faisait figurer dès le début de l'ouvrage le grand air
de Léonore, qui apparaissait d'abord en femme, pour se retrouver
travestie en homme à la fin de la scène. Bernard Broca voulait
ainsi mettre en avant la figure de "cette femme d'exception chantant son
amour, sa rage, sa haine enfin" et faire de cet air une sorte de "credo".
Belle idée je trouve, et certainement
images saisissantes de voir entrer sur scène une femme, et d'en
voir ressortir un homme... Le sacrifice et la détermination de Léonore
n'apparaissant que plus forts encore par la suite. Mais voilà, cette
idée qui avait trouvé l'accord du chef et de la chanteuse
de la création de cette production, ne l'a pas retrouvé en
la personne du chef de cette reprise, Marco Zambelli. "J'ai choisi la tempérance
et la conciliation, abandonnant de ce fait ce qui me tenait très
à coeur" nous dit Bernard Broca dans ce texte courageux, qui nous
rappelle qu'une production d'opéra est un travail d'équipe,
une symbiose, et non une simple somme de talents.
Le spectacle actuel a-t-il eu à
souffrir de cette modification ? Je crois que non, tant le fameux chef,
Marco Zambelli, mettait superbement en relief tous les ressorts dramatiques
de l'oeuvre avec une direction très tendue et vivante qui convient
très bien à cette partition. La Philarmonie de Lorraine qu'il
dirigeait est pour moi un mystère. Comment cet orchestre peut il
être sûr, très professionnel, absolument superbe de
son et de prestance en concert, et être si rêche et approximatif
à l'Opéra ? Est-ce dû aux solistes, différents
selon le lieu ?, aux chefs ?, à l'acoustique des salles (sèche
à l'Opéra, très petite salle, magnifique et légèrement
réverbérée dans la grande salle de l'Arsenal) ? Toujours
est-il que l'orchestre a paru en petite forme, ou/et pas assez préparé,
et le pupitre des cors, si sollicité dans cette oeuvre, manquait
singulièrement de puissance et d'assurance. Quelques décalages
fosse-scène ternissaient également la prestation.
Distribution "maison" si je puis dire
puisque nous retrouvions des artistes que nous avons déjà
entendus dans d'autres productions de l'Opéra de Metz (qui, rappelons-le,
est un des rares Opéras de France à renouer avec la tradition
de troupe, puisqu'il accueille chaque année de jeunes "artistes
en résidence" qui se distinguent dans les différentes productions
de la saison). Cette distribution brillait par ses seconds rôles,
du vétéran François Loup, très beau et humain
Rocco, au très jeune, et prometteur Florian Laconi (24 ans) en Jaquino,
en passant par les beaux baryton et basse de Patrice Berger en Pizzaro
et Eric Martin-Bonnet en Fernando.
Quant aux rôles principaux, ils n'ont pas totalement convaincus du
fait d'un timbre très nasal et un peu étranglé dans
l'aigu de John Uhlenhopp (Florestan) et d'une prestation très inégale
de Lisa Houben en Léonore, avec une voix aux aigus parfois courts
et tendus, parfois plus épanouis (surtout dans les ensembles), mais
belle de timbre. Les choeurs comme souvent à Metz étaient
très beaux. Il est heureux de constater que même dans de "petites
maisons" comme l'est l'Opéra de Metz, cet
élément n'est pas sacrifié
(je préfère que ce soit les programmes !!).
Mais revenons-en à cette fameuse
mise en scène de Bernard Broca, qui personnellement ne m'a pas enthousiasmé.
Elle offrait une transposition de l'action
au XX° siècle, avec Gouverneur en costume noir trois pièces,
entouré de soldats en treillis, et décor représentant.....quoi
d'ailleurs ? Un escalier en ciment ou figurent quelques fauteuils de cinéma,
des murs sales et délabrés, des déchets à droite
à gauche: cadre d'une prison de fortune dans une ville dévastée
par une guerre ? Tout celà n'est pas bien beau et convaincant. Celà
fait un peu "tape-à-l'oeil" et n'apporte pas grand chose à
l'oeuvre de Beethoven, si ce n'est son universalité, et son intemporalité.
Mouais, bon... Reste cependant une certaine efficacité dramatique
par un rythme et une direction d'acteurs qui font qu'on ne s'ennuie pas.
Bref, une soirée d'un niveau
qui n'est pas transcendant, mais d'où vient alors cette sensation
de bien-être à la sortie ? Les réactions de bonheur
du public font plaisir à entendre, un public conquis peut-être
plus par l'oeuvre que par le spectacle lui-même. Un bonheur qui n'est
pas injustifié (rien n'était indigne) et qui s'explique par
le fait que l'Opéra, c'est aussi le plaisir d'écouter "en
vrai" de la musique, d'être touché par une émotion
qui vient d'êtres de chair et de sang qui se trouvent devant vous,
et non par l'intermédiaire d'un écran. C'est aussi ça
la magie du spectacle vivant.
Pierre-Emmanuel Lephay