C O N C E R T S 
 
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GENEVE
17/06/05
Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)

FIDELIO 

 Opéra en deux actes
Livret de Joseph et Georg Friedrich Sonnleithner,
d'après le drame de Jean Nicolas Bouilly

Nouvelle production 

Coproduction avec l'Opéra de Leipzig, 
Den Norske Opera (Oslo) et le Theater Erfurt
 

Clive Bayley (Don Fernando)
Eike Wilm Schulte (Don Pizarro)
Kim Begley (Florestan)
Lisa Livingstone (Leonore)
Duccio Dal Monte (Rocco)
Regina Klepper (Marzelline)
Peter Marsh (Jacquino)

Stein Winge (Mise en scène)
Kari Gravklev (Décors)
Jorge Jara (Costumes)

Woldemar Nelsson (Direction musicale)
Ching-Lien Wu (Cheffe des choeurs)
Orchestre de la Suisse Romande
Choeur du Grand Théâtre

Genève, 17 Juin 2005



Le temps suspendu et les parasites.

Cette nouvelle production de Fidelio de Beethoven oppose le temps suspendu de moments musicaux sublimés aux parasites d'une mise en scène décevante. Le temps suspendu des tempi d'une lenteur presque excessive imposée à un Orchestre de la Suisse Romande subjugué par l'esprit viennois exhalant de la direction de Woldemar Nelsson et les parasites d'une mise en scène peu subtile de Stein Winge remplissant l'espace de personnes étrangères à l'action là où seule la musique devrait régner. Insupportable matrone desservant une table de sa vaisselle pendant que se chante le sublime quatuor "Mir ist so wunderbar". Détestable Jaquino laissant tomber ridiculement ses colis alors que Marzelline s'imprègne de son "O wär'ich schon mit dir vereint". Parasites encore que ces gens déambulant entre les prisonniers alors que s'élève l'inspiré "O welche Lust !". C'est manquer de respect à l'oeuvre à laquelle Beethoven a travaillé près de dix ans pour que de sa déjà très belle Léonore sorte le Fidelio que nous connaissons.

Dans un décor (Kari Gravklev) de hall de gare aux murs sombres, la cafétéria de la prison servira de bureau, de cour où les prisonniers admireront une verrière blafarde en chantant "Oh quel plaisir de respirer à l'aise et à l'air libre !" avant de se retourner non sans avoir (bien à propos?) chanté "Adieu, chaude lumière du soleil".

En outre, c'est sans vergogne que le metteur en scène norvégien cultive le "déjà-vu". Ainsi, l'arrivée des prisonniers est (mal) copiée sur la scène qu'avait dirigée Johannes Schaaf dans un inoubliable (celui-là) Fidelio au Grand-Théâtre de Genève en mai 1989, repris en février 1994. Le metteur en scène allemand disait un saisissant univers carcéral que le Norvégien ne ressent pas. Autre "déjà-vu", cette avancée du choeur habillé de T-shirts sur lesquels sont inscrits le nom de prisonniers politiques de notre époque ressemble à ce que Robert Carsen montrait dans Macbeth de Verdi à Genève en 1989 quand une troupe de "folles de mai" marchait vers le devant de la scène portant entre leurs mains la photographie de leur mari ou de leur enfant disparu. Les images du metteur en scène canadien avaient une bien autre allure que cette pantomime d'humanisme !

Sorti de cette pantalonnade prétentieuse, le choix des voix s'avère pourtant assez convaincant à une exception près. Ainsi dans le rôle-titre, le vibrato trop large, les gestes et les attitudes de la soprano américaine Lisa Livingstone (Leonore) ne concourent pas à la crédibilité du jeune homme déguisé imaginé par Beethoven. A l'opposé, la fraîcheur vocale de Regina Klepper (Marzelline) fait mouche et la clarté du timbre de Peter Marsh (Jacquino) convient bien à l'esprit du rôle de jeune amoureux. Duccio Dal Monte (Rocco) offre une voix bien conduite imposant la figure du maître de la prison avec une belle autorité. Quant à Kim Begley (Florestan), il possède une jeunesse vocale superbe contrastant avec un personnage scénique incompréhensible. Pourquoi l'attifer comme un moine septuagénaire (marié à une Léonore de quarante ans sa cadette) ?
 
Si un élément de cette production devait rester dans la mémoire des Genevois, c'est la prestation de Eike Wilm Schulte (Don Pizarro). Campant le personnage le plus abject de l'intrigue, le baryton allemand domine aussi bien vocalement que scéniquement. Confiné dans l'espace restreint d'une chaise roulante (encore du "déjà vu"), il est "sublimement" odieux. Ricanant, le tronc sautillant nerveusement sur sa chaise, il cultive l'antipathie du personnage avec un art immense du théâtre. Projetée avec la plus grande véhémence, sa voix jamais ne souffre de la moindre stridence. Même en force, elle conserve une diction et une limpidité remarquables. Artiste authentique, Eike Wilm Schulte s'installe dans le théâtre vivant. Dans "son" opéra.

Il devient presque banal de souligner l'excellence des choeurs du Grand-Théâtre. Précision, nuances, vocalité sont les maîtres mots revenant de prestations en prestations. La transformation opérée au sein de cet ensemble en l'espace de quelques années pourrait relever du miracle si on ne savait la part qu'y tient le talent de la jeune chef des choeurs chinoise Ching-Lien Wu.
 
 

Jacques Schmitt
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